Syndrome du choc toxique menstruel chez une jeune patiente

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Diane Elate-Lea1, Florence Dive2, Frédéric Feye3 Publié dans la revue de : Décembre 2021 Rubrique(s) : Urgences
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Résumé de l'article :

Une jeune patiente de 20 ans, sans comorbidité, est admise dans le service des urgences en état de choc. Initialement, un diagnostic de choc septique à point de départ urinaire est posé. La patiente présente un tableau de douleurs abdominales associées à une leucocyturie et à un antécédent récent de cystite non traitée. Admise dans le service des soins intensifs, la patiente signale avoir gardé la veille de son admission aux urgences, un tampon vaginal durant plus de 24 heures pour ses menstruations en cours. Le diagnostic de syndrome du choc toxique menstruel (SCT) est posé. Une antibiothérapie par flucloxacilline et clindamycine par voie intraveineuse est alors initiée.

La présentation de ce cas a pour but d’illustrer les différentes étapes qui ont mené à ce diagnostic rare, l’importance d’une anamnèse approfondie, ainsi que le traitement.

Que savons-nous à ce propos ?

Pathologie mortelle, rare, touchant les femmes en âge de procréation.

Que nous apporte cet article ?

Revue de littérature récente, rappel des critères diagnostiques, facteurs de risques, protocole de prise en charge et traitement.

Mots-clés

Syndrome du choc toxique menstruel, Staphylococcus aureus, Toxine 1 du syndrome du choc toxique, Tampons, Menstruations

Article complet :

Introduction

Le syndrome du choc toxique est une maladie rare, décrite pour la première fois en 1978. Il se définit par un ensemble de symptômes causés par différentes toxines produites par le staphylocoque doré (S.aureus) ou le streptocoque du groupe A, responsables d’une défaillance organique multisystémique, ainsi que d’une importante mortalité. La prévalence du syndrome du choc toxique s’est accrue dans les années 1980 chez les femmes en âge de procréation à la suite de l’utilisation de tampons « super-absorbants » pendant les menstruations. Cette entité clinique spécifique en rapport avec le cycle menstruel est connue sous le nom de syndrome du choc toxique menstruel (SCT). Dans le cas du SCT, seul le Staphylococcus aureus a été identifié dans la littérature comme agent causal. Le Staphylococcus aureus mis en cause est un producteur d’un superantigène (PTSAg) appelé la toxine-1 du syndrome du choc toxique (TSST-1).

Notre article décrit le diagnostic et le traitement du SCT en partant de la description du cas d’une jeune patiente de 20 ans admise pour cette affection aux urgences de notre hôpital.

Cas clinique

Une patiente de 20 ans est adressée au service des urgences par son médecin traitant pour suspicion de sepsis. Elle présente des douleurs abdominales depuis deux jours, associées à des lombalgies, mictalgies, vomissements et diarrhées, dans un contexte fébrile (40°c).

Elle décrit 15 jours avant son admission des plaintes compatibles avec une cystite non traitée. Elle a comme unique antécédent une appendicectomie. Son traitement habituel consiste en la prise d’un contraceptif oral.

L’examen clinique lors de l’admission objective une hypotension artérielle (71/43 mm Hg), associée à une tachycardie (FC 154/min), une pyrexie (38°) et une tachypnée (35/min).

On note une sensibilité abdominale à la palpation hypogastrique, sans signe de péritonite. L’ébranlement lombaire gauche est douloureux.

Une hyperlactatémie est mise en évidence (5.3 mmol /L) à la gazométrie artérielle. La biologie montre une nette élévation du syndrome inflammatoire (Protéine C-Réactive : 624,64 mg/L) associée à une hyperleucocytose neutrophile. On note également une insuffisance rénale (créatininémie 1.94 mg/dL), une légère perturbation des tests hépatiques et une coagulopathie (PTT à 57%).

L’analyse du sédiment urinaire confirme une leucocyturie (GB> 20/champ), une hématurie (GR>20/champ) et de nombreux germes. Une imagerie thoracique (radiographie) et abdominale (CT abdominal sans contraste) sont sans grande particularité.

Elle reçoit rapidement un remplissage intravasculaire avec du sérum physiologique à 2500 cc / 4h ainsi qu’une antibiothérapie par céfuroxime par voie intraveineuse (iv).

L’apparition d’une érythrodermie thoracique moins d’une heure après l’administration de céphalosporine fait suspecter une allergie médicamenteuse. L’antibiothérapie est alors relayée par de la ciprofloxacine associée à du métronidazole. La patiente est ensuite transférée dans le service de soins intensifs avec un diagnostic de choc septique d’origine urinaire. Le rash cutanéo-muqueux s’intensifie dans les heures qui suivent (Figures 1-2).

Le lendemain de son admission aux soins intensifs, un complément d’anamnèse révèle qu’elle utilise actuellement des tampons intravaginaux en raison de sa période menstruelle. Elle avait notamment conservé un tampon intravaginal durant plus de 24 heures, deux jours avant son hospitalisation. Ces précieuses informations font revoir le diagnostic et orientent alors vers un syndrome du choc toxique menstruel. L’antibiothérapie est adaptée par l’introduction d’une association de flucloxacilline, clindamycine et pipéracilline/tazobactam. Un nouveau scanner abdominal avec injection de produit de contraste iodé ne met pas en évidence d’argument pour une infection intra-abdominale.

Les hémocultures, la coproculture, le frottis de gorge pour streptocoque bêta hémolytique, le frottis naso-pharyngé pour détection de SARS Cov2 par PCR ainsi qu’une sérologie virale pour l’hantavirus (IgG, IgM) reviennent négatifs. La culture d’urine et le frottis vaginal montrent la présence d’un staphylocoque aureus sensible à l’oxacilline et possédant un gène codant pour la toxine du syndrome du choc toxique (TSST-1).

Au quatrième jour d’hospitalisation, les paramètres hémodynamiques, biologiques et cliniques de la patiente s’améliorent progressivement et l’antibiothérapie par pipéracilline/tazobactam est interrompue. Le lendemain, on note l’apparition d’une desquamation cutanéo-muqueuse (extrémités, pharynx, vagin) – (Figures 3,4).

Le traitement par clindamycine est arrêté après 48h de stabilité hémodynamique.

La patiente sortira du service de soins intensifs avec une antibiothérapie par flucloxacilline iv qui sera poursuivie jusqu’au dixième jour d’hospitalisation.

Discussion

Le syndrome du choc toxique menstruel (SCT) est une maladie aiguë rare (approximativement 1-3 cas pour 100,000 patient-années), qui atteint les femmes en âge de procréation (1). Une épidémie a eu lieu pour la première fois en 1978, corrélée avec l’utilisation des tampons hygiéniques super absorbants. Depuis, l’exclusion du marché de ces tampons a permis de diminuer drastiquement sa prévalence. L’agent bactérien causal de cette pathologie fait partie d’un groupe spécifique de Staphylococcus aureus producteur de superantigène (PTSAg). Cette souche va libérer une exotoxine appelée la toxine 1 du syndrome du choc toxique (TSST-1). Aux Etats-Unis, un sous-groupe spécifique de Staphylococcus aureus PTSAg TTST-1 appelé USA200 est responsable de presque tous les cas de SCT (2). Etonnamment, il y a un usage important de tampons hygiéniques de la population féminine en Europe a contrario d’une prévalence faible de la pathologie. Le développement de la maladie dépend en fait d’un ensemble de conditions dont l’usage de dispositifs génitaux et le portage vaginal de Staphylococcus aureus producteur de TSST-1 sont des facteurs prépondérants. Parmi d’autres conditions on peut noter des facteurs extérieurs comme la durée d’utilisation des tampons. La Food and Drug Administration aux Etats-Unis recommande une durée d’utilisation des tampons hygiéniques de moins de 8 heures et déconseille le port nocturne. Cependant une étude nationale de cas-témoins (avril 2020) en France portant sur 181 patients de 2011 à 2017 montre une prévalence déjà significative de la maladie dès un portage de 6 heures (3). Une utilisation de longue durée de tampons intravaginaux absorbants pendant les menstruations crée un milieu tissulaire favorable pour la croissance de Staphylococcus aureus et la production de TSST-1. Il s’agit de milieu riche en protéines, ayant un pH neutre (6,5 - 8), une élévation de la pCO2 (5%), une pO2 élevée (>2%), et une température corporelle à 37°c (le pic de production de TSST-1 étant observé à 40°c). Un milieu riche en glucose serait un répresseur catabolique de TSST-1 et serait donc protecteur (2). Le SCT peut survenir en absence de menstruations, car les changements hormonaux apparaissant juste avant les menstruations empêchent les lactobacilles vaginaux de maintenir un pH acide et favorisent une prolifération de Staphylococcus aureus TSST-1. Ainsi, des cas de syndrome du choc toxique survenant 3 jours avant les menstruations sont reconnus comme SCT par le Centers for Disease Control and Prevention (CDC) (2).

Sur le plan physiopathologique, le superantigène TSST-1 se lie par l’intermédiaire du complexe majeur d’histocompatibilité de classe II des phagocytes aux cellules T auxiliaires. Cette liaison provoque une prolifération massive de lymphocytes T auxiliaires pouvant aller jusqu’à 30% (0,001 à 0,01% en conditions normales). L’activation de ces derniers aboutit à une sécrétion surabondante et inappropriée de cytokines inflammatoires avec une réaction inflammatoire démesurée, qui va conditionner l’intensité des symptômes de la maladie. L’immunité naturelle de l’hôte contre cette cascade inflammatoire est la sécrétion d’anticorps anti TSST-1 (IgG1, IgG4) et leur capacité de neutralisation. Diverses études mettent en relation la faible production d’Ac anti TSST-1 ou une faible capacité neutralisante de ces derniers avec l’émergence de la pathologie ou son degré d’intensité (4,5). Une co-colonisation vaginale par Escherichia coli augmenterait le risque de développer un syndrome de choc toxique sévère. Enfin la prise de pilule contraceptive a été citée comme agent protecteur du fait qu’elle diminue la quantité de saignement pendant les menstruations (5).

Dans le cas décrit, la patiente a reçu une antibiothérapie initiale basée sur le diagnostic de choc septique à point de départ urinaire. Il est important de souligner l’importance d’une anamnèse méticuleuse qui devrait prendre en compte les données menstruelles ainsi que l’utilisation éventuelle de dispositifs intravaginaux ou d’un stérilet chez les patientes en âge de procréation. Ces informations n’ayant été révélées qu’au lendemain de son admission, l’administration d’une antibiothérapie ciblée a été retardée de 24 heures. Une administration retardée d’antibiotiques adéquats expose les patients en état de choc septique à une mortalité et une morbidité plus importante (6).

La présentation clinique du syndrome du choc toxique étant peu spécifique, le CDC a établi en 2011 un ensemble de critères cliniques et biologiques pour aider le clinicien dans ce diagnostic difficile (Annexe) (7).

L’érythrodermie est un symptôme présent dans de nombreuses pathologies tel le syndrome de Lyell débutant, la rickettsiose, la leptospirose. Dans le cas qui nous préoccupe, la patiente a précédemment reçu une antibiothérapie intraveineuse (céfuroxime). L’observation d’une érythrodermie (dos et torse) a été attribuée à tort à une origine allergique à la suite de l’injection de céphalosporine. Tout comme dans un cas précédemment décrit, un tableau de choc septique associé à un exanthème maculaire diffus dans un contexte menstruel doit faire évoquer au clinicien un SCT (8). La desquamation cutanée est un point d’appel clinique qui peut faire évoquer le diagnostic de cette pathologie mais elle ne se manifeste que plusieurs jours après l’éruption cutanée et malheureusement est précédée par un état de choc et de défaillance organique multisystémique.

Les critères cliniques et biologiques établis par le CDC pour confirmer le diagnostic de SCT ont majoritairement été retrouvés dans ce cas. Notons qu’aucun prélèvement de LCR n’a été effectué car la patiente ne présentait aucun trouble ni déficit neurologique. Le contexte social et épidémiologique ne se prêtait pas à une leptospirose, une rickettsiose, ou une rougeole ; les prélèvements n’ont donc pas été effectués. Un frottis de gorge avait été réalisé à la recherche d’un streptocoque bêta hémolytique. La culture négative éloignait l’hypothèse d’un choc toxique streptococcique. Les hémocultures étaient stériles comme fréquemment dans le SCT. La culture réalisée à partir du frottis vaginal objectivait une flore génitale ainsi que du Staphylococcus aureus. Une analyse complémentaire, permettait après plusieurs semaines de confirmer le diagnostic de syndrome du choc toxique menstruel en objectivant à partir du staphylocoque la présence du gène codant pour la toxine TSST-1.

Le traitement antibiotique consistait en une trithérapie, à savoir la pipéracilline/tazobactam administrée de façon empirique contre une éventuelle infection invasive par des bactéries gram négatives, la flucloxacilline à action bactéricide contre le Staphylococcus aureus, et la clindamycine comme agent adjuvant inhibant la toxine 1 du SCT. Concernant le traitement du SCT, le consensus consiste à traiter cette pathologie par un antibiotique bêta -lactame résistant à la pénicillinase (flucloxacilline) ou une céphalosporine de première génération, associé(e) à la clindamycine (7). Aux Etats-Unis, la totalité des isolats Staphylococcus aureus USA 200 possèdent une résistance à la pénicilline et à l’ampicilline et sont sensibles à la méthicilline. De rares cas d’isolats de Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline (SARM) ont été identifiés, deux cas ont été décrits au Japon en 2017 (9). Un traitement par vancomycine n’est recommandé qu’en cas de suspicion de contamination par une souche de SARM. De multiples traitements antibiotiques adjuvants ont été testés : la clindamycine, l’érythromycine, la rifampicine, les fluoroquinolones et le linézolide. La clindamycine reste le 1er choix car son effet serait supérieur aux autres molécules (7). Les effets biologiques de la clindamycine sont multiples : inhibition de la transcription du superantigène producteur de la toxine 1 du SCT permettant de ce fait d’interrompre la cascade de l’inflammation, amélioration de la pénétration des tissus et augmentation de la durée d’action de la pénicilline, amélioration de la phagocytose (10). Toutefois, il n’est pas recommandé d’utiliser la clindamycine en monothérapie car son action est principalement bactériostatique (10). Les immunoglobulines (2g/kg) peuvent également être utilisées en plus du traitement antibiotique. Quelques études observationnelles soutiendraient un bénéfice anti-inflammatoire, immunomodulateur et une baisse de la mortalité (10). En raison d’un risque de récidive du syndrome du choc toxique menstruel, l’emploi de tampons et dispositifs intravaginaux chez ces patientes est proscrit et une décolonisation est recommandée. L’intérêt d’une immunisation active (vaccin TSST-1) nécessite des investigations complémentaires.

Conclusion

Le syndrome du choc toxique menstruel reste une entité clinique grave, mortelle, rare et difficile à reconnaître. Afin d’aider le clinicien dans la reconnaissance de cette pathologie, un ensemble de critères cliniques et de laboratoire ont été établis par la CDC en 2011. Ces critères doivent absolument s’intégrer dans un contexte de menstruations et d’utilisation de dispositifs intra vaginaux. Le traitement de cette pathologie consiste en l’élimination du dispositif ainsi que l’exclusion d’un abcès intra-abdominal par imagerie médicale, un remplissage vasculaire agressif associé à un support noradrénergique, et enfin l’administration rapide d’une antibiothérapie adaptée (flucloxacilline et clindamycine).

Recommandations pratiques

- Évoquer le diagnostic de SCT en cas de fièvre, menstruations, dispositif intragénital, éruption cutanée.

- Retirer tout dispositif intragénital. Exclure un abcès abdominal.

- Soutenir l’hémodynamique par remplissage intravasculaire, vasopresseurs et initier rapidement une antibiothérapie adaptée.

- Proscrire les tampons hygiéniques pour éviter les récidives.

Affiliations

1. CHU UCL-NAMUR - Site Dinant. Service des Urgences.
2. CHU UCL-NAMUR - Site Dinant. Service des Soins Intensifs.
3. CHU UCL-NAMUR - Site Dinant. Coordinateur des Services d’Urgences.

Correspondance

Dr Diane Elate-Lea
CHU UCL NAMUR - Site Dinant
Service des Urgences
Rue saint Jacques 501 -5550 Dinant
diane.elate-lea@uclouvain.be

Note

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt.

Références

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