Souffrance psychologique liée au COVID-19 : patient et gériatre sur le même pied d’égalité

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Dominique Piette, Catherine Magnette Publié dans la revue de : Octobre 2021 Rubrique(s) : Gériatrie
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Résumé de l'article :

Cet article présente le cas de deux patients âgés atteints du COVID-19 admis au sein d’une unité de gériatrie, dont l’histoire est remarquable. Il fait état de la souffrance non seulement physique mais surtout psychologique, tant du patient que du gériatre à son chevet. En s’appuyant sur des publications internationales, nous analysons la sévérité des conséquences du COVID-19 sur la santé mentale. Nous faisons l’inventaire des recommandations à mettre en œuvre pour limiter l’impact de cette souffrance à long terme.

Que savons-nous à ce propos ?

L’impact psychologique de la crise COVID-19 est majeur et rémanent.

Que nous apporte cet article ?

Un point de vue inédit car unissant directement le patient COVID-19 et son gériatre de première ligne dans la même souffrance psychologique.

Mots-clés

Gériatre, COVID-19, souffrance psychologique, dépression, anxiété

Article complet :

Introduction

La pandémie à COVID-19 nous confronte non seulement à un défi de santé publique sans précédent, mais également à une détresse humaine profonde, surtout lorsqu’il s’agit de patients âgés. En tant que gériatres dans un hôpital public d’une petite ville de Belgique, nous avons été les témoins privilégiés du désespoir et de l’isolement que provoque cette maladie, et qui nous laisse un arrière-goût désagréable d’impuissance.

La première conséquence de la pandémie est, bien entendu, une surmortalité au sein de la population âgée. D’autres impacts ont été rapidement perçus en terme de bien être psychosocial et cela, dans toutes les tranches d’âge mais de manière criante dans la population âgée. L’isolement, la précarité du médicosocial, le deuil ont été mis en exergue dans cette pandémie, et ce dans tous les lieux de vie du sujet âgé.

Le besoin de relation thérapeutique à dimension humaine et d’empathie apparait comme une nécessité et même, une pratique recommandée. Cependant, la sévérité de la pathologie, les choix éthiques lourds qui en découlent, les nombreux décès, et la durée de la crise impactent également la santé mentale du gériatre.

Vignettes cliniques

Patient 1

M. V est un patient de 91 ans, admis via la SMUR pour malaise avec fibrillation ventriculaire ayant nécessité une défibrillation au domicile. Le patient retrouve rapidement sa conscience, et est hospitalisé avec une décision de non-acharnement thérapeutique. Une acidose métabolique et lactique majeures ainsi qu’une insuffisance rénale aiguë et une souffrance myocardique sont mises en évidence (le patient est connu pour une cardiomyopathie ischémique pontée il y a 25 ans). Plus tard dans la nuit, la PCR-COVID revient positive. Le lendemain, lorsque j’arrive au chevet du patient, vêtue de l’équipement de protection individuel, je trouve le patient en meilleure forme qu’attendu: Monsieur est au fauteuil, et, bien que dyspnéique au moindre effort, ne parle que de son épouse, démente et âgée de 98 ans, incapable de rester seule au domicile. Je contacte le médecin traitant qui me confirme l’état de l’épouse, également COVID positive, et nous décidons de l’hospitaliser et de réunir le couple dans une chambre double. Les retrouvailles sont touchantes et le couple est ravi. Le lendemain, Mme développe une insuffisance respiratoire aigüe. Au chevet de la patiente et sous le regard inquiet de son mari, je lui administre successivement 40 mg de méthyl-prednisolone et 2 fois 5 mg de morphine en SC. Après un aérosol de Duovent et de Pulmicort, la patiente s’apaise enfin. Une dernière vérification avant de quitter l’hôpital en soirée me confirme sa nette amélioration et toute la gratitude de son mari. Le lendemain matin, en passant devant leur chambre, je m’assure d’un coup d’œil que Mme est toujours dans son lit. J’apprends peu après que M. V a été retrouvé mort en fin de nuit. Je retourne dans la chambre pour présenter mes condoléances à la patiente. Les infirmières ont rapproché les 2 lits et Mme serre la main déjà froide de son mari. Elle est effondrée et me demande entre deux sanglots : « À quoi ça sert de venir au monde si c’est pour souffrir autant ? ».

Patient 2

M. F est un patient de 98 ans, vivant à domicile avec sa jeune sœur de 92 ans. Cela fait maintenant 9 jours qu’on leur a diagnostiqué à tous les deux une infection à COVID-19, mais seulement depuis 2 jours que Monsieur souffre d’une toux persistante et est de plus en plus asthénique. Son médecin traitant a documenté une désaturation à 88% aujourd’hui, et a finalement réussi à convaincre le patient de se faire hospitaliser. Sa sœur n’est pas en forme du tout, mais refuse catégoriquement de monter dans l’ambulance, malgré l’insistance de son frère. Lorsque je rencontre Monsieur F, le lendemain de son admission, il est alité et bien conscient, malgré sa toux sèche et irritative persistante. Des crépitants sont audibles aux 2 bases, mais 3l d’oxygène lui permettent d’obtenir une saturation satisfaisante à 92%. Nous discutons un peu de sa sœur et je lui propose de lui téléphoner, ce que M. F accepte avec joie. Le téléphone sonne dans le vide et je raccroche. « Elle doit sûrement dormir. », dit M. F. Un peu plus tard, je reforme le numéro du domicile du patient, mais n’ai pas plus de succès. De plus en plus inquiète, j’informe le médecin traitant et lui demande de passer au domicile. Il ne pourra que constater le décès de la sœur de M. F, assise sur une chaise dans sa cuisine. Désormais seul, ce patient n’aura d’autre choix que d’entrer en maison de repos.

Discussion

La souffrance du patient

Comme l’illustrent nos cas cliniques, la COVID-19 a induit beaucoup de souffrance chez les aînés, tant suite aux symptômes cliniques pénibles que suite à l’isolement et son cortège de solitude (retrait des contacts de premières lignes, des activités socialisantes...). Cette situation est identique que le patient soit au domicile ou en structure de soins.

La Chine a été la première nation à être confrontée à la pandémie et a pu rapidement mettre en évidence que les seniors représentent la population la plus à risque tant sur le plan physique que psychologique. Ainsi, dans une cohorte de 1556 patients de 60 à 80 ans, on retrouve 37.1% de dépression et anxiété relatées durant la période COVID-19 au sein du territoire chinois (1). Une Meta-analyse de 41 publications internationales fait le même constat de nombreux cas de dépression, anxiété, troubles du sommeil chez les seniors, spécifiquement durant la période de confinement (2). Plus récemment, une revue de la littérature du département de neuroscience de Sheffield (3) analyse le lien entre symptômes neuropsychiatriques et infection à COVID-19. Cette analyse attire l’attention sur l’impact négatif direct de l’infection, avec une atteinte neuronale (œdème inflammatoire lobe medio temporal), une aggravation des symptômes neuropsychiatriques en cas de démence sous-jacente, mais également une détérioration neuropsychiatrique liée au confinement.

Enfin, au sein de l’unité de soins palliatifs de l’hôpital universitaire de Stockholm (4), il a été mis en évidence une diminution légère mais néanmoins significative (74% vs 79%, P <0,0001) du nombre de discussion EOL (End of Life), ainsi qu’une augmentation nette des décès de patients sans accompagnement de proche (83% vs 59%, P < 0,0001).

La souffrance du gériatre

Plusieurs études portent sur la souffrance psychologique des médecins hospitaliers qui prennent en charge des patients COVID-19. Des taux importants de dépression, anxiété et stress ont été mis en évidence, et le risque de développer de tels symptômes psychiatriques est d’autant plus important si le médecin est une femme travaillant en première ligne et avec une importante charge de travail (5). Or, les gériatres faisant face à la crise COVID-19 correspondent très souvent à ce profil. Le stress des soignants acteurs dans la gestion du COVID-19 est également plus important lorsqu’il y a un grand nombre de patients infectés et lorsqu’il y a beaucoup de décès : exactement ce qui a été vécu dans les unités de gériatrie COVID-19. Le fait de devoir faire des choix éthiques difficiles, ce qui est légion dans la crise sanitaire actuelle où les places aux soins intensifs sont peu nombreuses (et donc réservées de préférence aux patients plus jeunes), augmente encore la souffrance morale des médecins (6).

Actions pratiques

Ces cas cliniques d’une grande tristesse nous rappellent que notre travail de gériatre comporte une dimension humaine colossale. Outre les soins, nous devons également donner de la compassion, du soutien et de la tendresse à cette population touchée de plein fouet par la pandémie et le confinement (7). Cependant, tout cet investissement émotionnel entraîne une charge mentale énorme pour le gériatre.

Il est impératif que notre système de santé mette en œuvre ce qui est recommandé pour prendre soin de la santé mentale des gériatres. En effet, l’OMS (8), la Croix-Rouge Internationale (9) et le Comité Permanent Inter-organisations de l’ONU (10) ont donné des recommandations pour limiter le retentissement psychologique de la crise sur les soignants. Une publication allemande résume de façon claire ces conseils (11). Chaque équipe médicale se doit d’aménager son temps de travail dans le respect du bien-être de chacun (congé de prévention burn-out, temps d’échange et de parole entre médecins, …). Les directions hospitalières doivent prendre conscience de l’importance de préserver la santé psychologique des médecins.

Dans notre pratique quotidienne, la prise en charge de la souffrance psychologique des patients gériatriques peut se faire de manière adéquate à l’hôpital de jour gériatrique : en effet, ce type de structure offre des services accessibles et adaptés aux patients âgés (soutien psychologique, prévention de l’isolement, …) le tout dans un environnement serein et respectueux.

Conclusion

La crise sanitaire expose tant le patient âgé que le gériatre à un risque majeur de souffrance psychologique, de dépression, d’anxiété et de stress. Il est donc primordial que les gestionnaires et les directions hospitalières prennent des mesures afin de protéger la santé psychologique des médecins de première ligne de la crise-COVID. Cela permettra à ces médecins de poursuivre dans la durée leur action auprès des patients.

Recommandations pratiques

Il ne faut pas négliger la souffrance psychologique secondaire à la crise COVID-19 tant chez le patient âgé que chez le gériatre. L’hôpital de jour gériatrique offre une prise en charge adaptée en ce qui concerne le patient. Des mesures concrètes doivent être mises en place par chaque équipe médicale afin de protéger la santé psychologique des gériatres. Les directions hospitalières doivent être averties de l’importance de mettre en place ces mesures.

Affiliations

1. CHRSM site Meuse, Gériatrie, B-5000 Namur

Correspondance

Dr Dominique Piette
CHRSM site Meuse
Service de gériatrie
Avenue Albert 1er 185
B-5000 Namur
dominique.piette@chrsm.be

Références

  1. Hui Meng, Yang Xu, Jiali Dai, Yang Zhang, Baogeng Liu, Haibo Yang. Analyze the psychological impact of COVID-19 among the elderly population in China and make corresponding suggestions. Psychiatry Res. 2020 Apr ; 289 :112983. https://DOI: 10.1016/j.psychres.2020.112983.
  2. Sepúlveda-Loyola W, Rodríguez-Sánchez I, Pérez-Rodríguez P ,Ganz F, Torralba R, Oliveira D V, et al. Impact of Social Isolation due to COVID-19 on Health in Older People: Mental and Physical Effects and Recommendations. J Nutr health Aging. 2020 ; 24(9) : 939-947. https://DOI: 10.1007/s12603-020-1469-2.
  3. MancaR, M, A. The Impact of COVID-19 Infection and Enforced Prolonged Social Isolation on Neuropsychiatric Symptoms in Older Adults with and without Dementia ; a Review. Front Psychiatry. 2020 Oct 22;11:585540. https://doi: 10.3389/fpsyt.2020.585540.
  4. Strang P, Bergström J, Martinsson L, Lundström S. Dying From COVID-19: Loneliness, End-of-Life Discussions, and Support for Patients and Their Families in Nursing Homes and Hospitals. A National Register Study. J Pain Symptom Manage. 2020 Oct;60(4):e2-e13. https://doi:10.1016/j.jpainsymman.2020.07.020.
  5. Yeni Elbay R, Kurtulmuş A, Arpacıoğlu S, Karadere E. Depression, Anxiety, Stress Levels of Physicians and Associated Factors in COVID-19 Pandemics. Psychiatry Res. 2020 Aug ; 290: 113130. https://doi:10.1016/j.psychres.2020.113130.
  6. Kannampallil T, GossC, B, J, R, J. Exposure to COVID-19 Patients Increases Physician Trainee Stress and Burnout. PLoS One. 2020 Aug 6;15(8). https://doi:10.1371/journal.pone.0237301.
  7. Maeckelberghe E, Schröder-Bäck P. COVID-19: a Test for our Humanity. M Eur J Public Health. 2020. Oct 1;30(5):852-853. https://doi:10.1093/eurpub/ckaa180.
  8. World Health Organization (2020) Mental Health Considerations during COVID-19 Outbreak. WHO, Geneva, WHO/2019 nCoV/MentalHealth/2020.1.
  9. International Federation of Red Cross and Red Crescent Societies (2020). Mental Health and Psychosocial Support for Staff, Volunteers and Communities in an Outbreak of Novel Coronavirus.
  10. Inter-Agency Standing Committee (2020) Briefing note on addressing metal health and psychosocial aspects of COVID-19 Outbreak.
  11. PetzoldM,J, A. Dealing with Psychological Distress by Healthcare Professionals During the COVID-19 Pandemia. Nervenarzt. 2020 May;91(5):417-421. https://doi: 10.1007/s00115-020-00905-0.