Maladie de Gaucher de type 1: enjeux diagnostiques et thérapeutiques

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Déborah Costard, Cédric Hermans Publié dans la revue de : Avril 2020 Rubrique(s) : Maladies rares
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Résumé de l'article :

La maladie de Gaucher est la conséquence d’un déficit d’un enzyme lysozomal, la glucocérébrosidase, qui entraîne l’accumulation de son substrat, le glucosylcéramide, dans les macrophages. L’atteinte osseuse, une (hépato)splénomégalie, des troubles de diathèse hémorragique, une thrombopénie, une majoration de la ferritine, des anomalies des immunoglobulines (gammapathie monoclonale ou hypergammaglobulinémie) sont autant de signes cliniques ou biologiques qui doivent faire évoquer le diagnostic de maladie de Gaucher. La forme de type 1, la plus fréquente, est responsable d’une atteinte viscérale alors que les formes de type 2 et 3 sont responsables de troubles neurologiques. Le diagnostic, facilité par des algorithmes, repose sur la confirmation d’un déficit enzymatique et la recherche de la mutation causale. Le traitement fait appel à l’administration intraveineuse de l’enzyme déficitaire (imiglucérase, vélaglucérase, taliglucérase) ou au recours à des molécules orales qui inhibent la biosynthèse du glycosylcéramide (miglustat ou eliglustat).

Mots-clés

Maladie de Gaucher, manifestations cliniques et biologiques, traitement substitutif, traitement de réduction du substrat

Que savons-nous à ce propos ?

La maladie de Gaucher est une maladie de surcharge lysosomale. Ses manifestations cliniques les plus fréquentes sont une splénomégalie et une thrombopénie initialement inexpliquées. Bien que de nombreuses autres manifestations existent, elles sont variables d’un individu à l’autre. Cette maladie peut être diagnostiquée par le dosage de l’activité de la β-glucocérébrosidase dans les cellules nucléées. Le traitement de première ligne consiste en une substitution enzymatique. La splénectomie devrait être évitée car elle aggrave plusieurs manifestations de la maladie.

Que nous apporte cet article ?

Cet article résume les connaissances actuelles à propos de la maladie de Gaucher et a pour but de sensibiliser le corps médical à cette pathologie assez méconnue. Il synthétise également les résultats d’une étude rétrospective de l’expérience de la prise en charge de de cette affection au sein des Cliniques universitaires Saint-Luc.

Article complet :

Vignette clinique 1

Une patiente âgée de 8 ans consulte en 1973 pour diathèse hémorragique associant purpura, épistaxis, gingivorragies et hématomes. Biologiquement, elle présente une thrombopénie isolée (plaquettes < 100.000 plaquettes/µL) et cliniquement une hépato-splénomégalie. Une biopsie hépatique et une ponction médullaire documentent la présence de cellules de Gaucher. Le diagnostic est confirmé par l’activité abaissée de la β-glucocérébrosidase leucocytaire.

Pendant l’enfance, elle présente une asthénie persistante, des douleurs abdominales secondaires à l’organomégalie, des douleurs osseuses et une diathèse hémorragique. En 1993, à l’âge de 25 ans, une thérapie de substitution enzymatique par Alglucerase (Ceredase®) est débutée. Sous traitement, une amélioration des douleurs abdominales et osseuses est observée, associée à une régression de l’hépatosplénomégalie et une correction lente de la thrombopénie.

En avril 1995, lors de sa grossesse, une splénectomie est réalisée motivée par une aggravation de la thrombopénie (39.000 plaquettes/µL). Le traitement par Alglucerase est poursuivi après la grossesse et à partir de 2000 remplacé par l’Imiglucerase (Cerezyme®), une thérapie de substitution enzymatique recombinante, produite par biotechnologie, avec un bon contrôle des plaintes d’asthénie, des douleurs osseuses et des douleurs abdominales.

Vignette clinique 2

Un patient âgé de 62 ans se présente dans le service d’hématologie en 2019. Il est connu pour une maladie de Gaucher dont le diagnostic a été posé à l’âge de 14 ans dans un contexte d’épistaxis et de douleurs osseuses pour lesquelles une biopsie osseuse a mis en évidence des cellules de Gaucher. Génétiquement ce patient est porteur de deux mutations hétérozygotes du gène impliqué (GBA). Cette maladie de Gaucher est surtout responsable de lésions osseuses, notamment d’une ostéonécrose d’une tête fémorale ayant justifié une arthroplastie.

Ce patient est sous traitement enzymatique substitutif par des injections intraveineuses bi-hebdomadaires d’Imiglucerase (Cerezyme®) (4400 unités, soit 55 U/kg) qui lui sont administrées en milieu hospitalier. Ce traitement est bien toléré et efficace, tel qu’en atteste un dosage rassurant de la chitotriosidase, le marqueur biologique le plus sensible et le plus spécifique connu à ce jour dans cette affection.

Ce patient tolère toutefois de moins en moins les contraintes liées au traitement intraveineux. Après réévaluation et exclusion des contre-indications (notamment une étude des polymorphismes du cytochrome CYP2D6), un traitement oral quotidien par un agent dit de réduction du substrat, l’éliglustat (Cerdelga®) est débuté en fin 2019. Ce traitement s’avère être bien toléré et améliore la qualité de vie de ce patient.

Introduction

La maladie de Gaucher est la maladie de surcharge lysosomale la plus courante. Il s’agit d’une maladie autosomique récessive secondaire à des mutations du gène (GBA) codant pour la β-glucocérébrosidase (ou bêta-glucosidase acide) localisé sur le chromosome 1q21 dont résulte un déficit de l’activité enzymatique. La conséquence est une accumulation de glucosylcéramide au sein des lysosomes des macrophages, qui engorgés sont nommés « cellules de Gaucher » (1, 2).

Cette maladie se manifeste typiquement par une splénomégalie et une thrombopénie. Les atteintes sont toutefois multi-organiques et variables. Les complications peuvent être débilitantes, voire mortelles (3).

Un enjeu majeur de la maladie de Gaucher est la précocité du diagnostic et de sa prise en charge. En effet, la méconnaissance de cette pathologie orpheline au sein du corps médical mène régulièrement à un retard de diagnostic et à une prise en charge inadaptée et parfois délétère pour le patient (3, 4). Il n’existe pas de données épidémiologiques à propos de cette pathologie en Belgique. Cependant, une étude réalisée en 1999 aux Pays-Bas estime qu’elle concernait, tous types confondus, 1,16 nouveau-né sur 100.000 naissances (5).

Classification

Il existe 3 types majeurs de la maladie de Gaucher.

Le type 1 ou forme non neuropathique est la plus courante avec une prévalence de 1/50.000 à 1/100.000. Les manifestations peuvent survenir à tout âge et sont multi-organiques il n’y a pas d’atteinte primaire du système nerveux central bien que ce type de complication puisse survenir secondairement (1, 6).

Le type 2 ou forme neuropathique aiguë quant à elle a une prévalence inférieure à 1/100.000 et ses manifestations apparaissent avant la fin de la première année de vie. L’espérance de vie ne dépasse pas 2 ans. Il y a une atteinte primaire du SNC caractérisée par un développement psychomoteur limité, des signes bulbaires et pyramidaux ainsi que des anomalies cognitives. Les nouveau-nés atteints présentent également un faciès particulier et un strabisme (1, 3, 7, 8).

Le type 3 ou forme neuropathique chronique, a également une prévalence inférieure à 1/100.000. Les symptômes apparaissent durant la jeune enfance mais leur évolution lente peut permettre une survie jusqu’à l’âge de 20 à 40 ans. La présentation clinique se rapproche de celle du type 1 avec en plus une atteinte primaire du SNC caractérisée par une apraxie oculomotrice, des convulsions et une épilepsie oculomotrice progressive (1, 3, 7, 8).

Cet article se focalise essentiellement à la Maladie de Gaucher de type 1 dont la prévalence est la plus élevée et pour laquelle un diagnostic précoce permet non seulement une amélioration de la qualité mais aussi de l’espérance de vie des patients atteints (9).

Manifestations cliniques

Elles sont provoquées par l’accumulation massive de cellules de Gaucher dans différents organes. Il s’agit de cellules issues de la lignée des macrophages et des monocytes engorgées de glycolipides, conséquence de l’absence ou du dysfonctionnement de la β-glucocérébrosidase (4).

Les manifestations de la forme non neuropathique présentent une grande hétérogénéité interindividuelle car plusieurs génotypes existent, et un même génotype peut se traduire par différents phénotypes. La présence concomitante d’une stéatose hépatique non alcoolique aggrave l’atteinte hépatique. Les altérations osseuses sont plus importantes chez les patients ostéoporotiques. L’hétérogénéité est également intra-individuelle, les organes d’un même individu étant atteints à différents degrés et répondant différemment au traitement (3).

Hépatosplénomégalie

Il s’agit de la manifestation clinique viscérale la plus fréquemment observée. Souvent la splénomégalie est le premier signe clinique mais n’est détectée que lorsque l’hépatomégalie est elle aussi installée (10).

Manifestations hématologiques

Les manifestations hématologiques sont la thrombopénie, et moins souvent l’anémie (10). La thrombopénie est d’origine mixte, liée d’une part à un hypersplénisme, et d’autre part à une infiltration de la moelle osseuse par des cellules de Gaucher (3). Une thrombopénie inférieure à 120.000 plaquettes/µL affecte 60% des patients non splénectomisés au moment du diagnostic, et 25% de ceux-ci en ont moins de 60.000 plaquettes/µL. L’absence de thrombopénie est généralement observée lorsque le diagnostic est posé à un stade précoce de la maladie (3, 10).

Manifestations osseuses

La physiopathologie de l’atteinte osseuse est méconnue. Cependant différents mécanismes semblent être impliqués. Tout d’abord les cellules de Gaucher infiltrent et altèrent la moelle osseuse ainsi que l’os trabéculaire. Ensuite, le processus inflammatoire intrinsèque à la maladie entraîne une activation des ostéoclastes et à une inactivation des ostéoblastes (3, 11, 12).

Les manifestations osseuses sont variables tant en ce qui concerne leur présentation que leur sévérité. Elles peuvent prendre la forme d’une nécrose aseptique, d’une ostéoporose voire de fractures pathologiques liées à la déminéralisation osseuse, de déformations en flacon d’Erlenmeyer ou de douleurs osseuses chroniques (13, 14). Lorsque le diagnostic est posé chez un enfant, un retard de croissance peut fréquemment être observé (15). Ainsi, l’impact sur la vie quotidienne peut être important, et il s’agit sans aucun doute de l’une des complications les plus invalidantes de la maladie (3, 11, 12).

Manifestations neurologiques

La maladie de Gaucher de type 1 ne comporte a priori pas de composante neurologique. Cependant des études ont démontré que l’incidence de la maladie de Parkinson est plus élevée parmi les patients atteints. Par ailleurs, 10% des patients parkinsoniens seraient porteurs d’une mutation du gène de la β-glucocérébrosidase. Bien que la physiopathologie exacte de ce phénomène ne soit pas comprise, il semblerait qu’il y ait un lien entre le dysfonctionnement lysosomal, l’absence de β-glucocérébrosidase et l’accumulation neuronale d’α-synucléine typique de la maladie de Parkinson (16, 17).

Il s’agit là encore d’un enjeu majeur dans la prise en charge de la maladie de Gaucher. En effet, alors qu’il n’existe pas encore de traitement à long terme efficace dans la maladie de Parkinson, traiter la maladie de Gaucher même chez les porteurs hétérozygotes pourrait modifier la progression de la maladie de Parkinson. Un screening des patients parkinsoniens pourrait dans l’avenir permettre de détecter de nouveaux porteurs hétérozygotes de la maladie de Gaucher et améliorer leur qualité de vie (3).

Complications oncologiques

Différentes études ont démontré un lien entre la maladie de Gaucher et une incidence plus élevée de cancers. Il n’existe pas de preuve formelle en ce qui concerne les tumeurs solides, au contraire des pathologies malignes hématologiques dont le risque relatif est significativement augmenté, particulièrement le myélome multiple (18).

La physiopathologie exacte de cette association n’est pas entièrement élucidée. Elle pourrait impliquer une dérégulation du système immunitaire associée à un état inflammatoire chronique et un dysfonctionnement du système de réparation de l’ADN. La splénectomie pourrait être un facteur favorisant la survenue de complication oncologique, bien que le niveau de preuve soit faible (19). Le rôle du traitement de la maladie de Gaucher sur l’incidence de développement de gammapathies monoclonales ou de pathologies malignes n’est pas clair, mais il pourrait jouer un rôle préventif (3, 20).

Diagnostic

La maladie de Gaucher reste sous-diagnostiquée car sa présentation clinique est peu spécifique et souvent méconnue même des hématologues et oncologues (4). Une grande majorité des patients atteints consultent ces derniers, les premières manifestations étant souvent une splénomégalie et une thrombopénie. Le retard du diagnostic peut parfois excéder 10 ans et mener à des complications (4).

Ci-dessous, nous énumérons quelques pistes permettant de poser le diagnostic.

Tout d’abord, le bilan clinique et biologique de base bien qu’aspécifique peut mettre sur la voie. Il révèle essentiellement une splénomégalie isolée ou une hépatosplénomégalie, une thrombopénie, une anémie, une majoration de la ferritine, des anomalies des immunoglobulines, et des lésions osseuses (21). Ces signes cliniques ou anomalies biologiques sont toutefois observés dans différentes pathologies hématologiques malignes qui sont beaucoup plus fréquentes (4).

Ensuite, des analyses biochimiques permettent de confirmer le diagnostic en documentant un déficit de l’activité enzymatique de la β-glucocérébrosidase dans les leucocytes du sang périphérique. Chez les patients malades elle est généralement inférieure à 15%. Le niveau d’activité ne peut être corrélé de façon fiable à la gravité des différentes manifestations cliniques. Il s’agit de l’examen de référence (1, 7, 22). Plusieurs laboratoires de biologie clinique universitaires belges réalisent cette analyse. En Belgique les résultats de l’analyse sont obtenus en moins de 3 mois et coûtent 360€ dont 10€ sont à charge du patient en ordre de mutuelle.

Si le diagnostic de la maladie de Gaucher repose sur le dosage de l’enzyme déficiente, des marqueurs sériques témoignant notamment de la surcharge macrophagique peuvent également être testés, comme la ferritine, l’enzyme de conversion de l’angiotensine ou la chitotriosidase. La chitotriosidase est une enzyme dont la production est classiquement très augmentée chez les patients atteints de maladie de Gaucher. C’est le marqueur biologique le plus sensible et le plus spécifique connu à ce jour dans cette affection. La chitotriosidase permet de suivre l’évolution de la maladie de Gaucher, en particulier chez les patients bénéficiant d’une prise en charge thérapeutique (ci-dessous).

Finalement, il est également possible de confirmer le diagnostic génétiquement par identification de la mutation causale présente sur le gène codant pour la β-glucocérébrosidase localisé sur le chromosome 1q21. Plus de 200 mutations ont été décrites et la mutation N370S, liée à la maladie de Gaucher de type 1, est la plus fréquente parmi les patients caucasiens (1, 2). En Belgique les résultats de l’analyse sont obtenus en 3 mois et coûtent environ 300€ dont 10€ sont à charge du patient en ordre de mutuelle.

La présence de cellules de Gaucher dans la moelle osseuse ne permet pas de poser un diagnostic formel car plusieurs autres pathologies sont associées à la présence de pseudo-cellules de Gaucher et les vraies cellules de Gaucher sont souvent confondues avec ces dernières. Des pseudo-cellules de Gaucher sont observées dans plusieurs maladies hématologiques (myélome, maladie de Waldenström, lymphomes, leucémie lymphoïde chronique, myélodysplasie) ou infectieuses (infections à mycobactéries) (1).

Diagnostic différentiel

Le diagnostic différentiel de la maladie de Gaucher doit essentiellement être fait avec d’autres pathologies hématologiques telles que la leucémie lymphoblastique aiguë, le myélome multiple, le lymphome non-Hodgkinien, la leucémie myéloïde chronique, la leucémie à tricholeucocytes et la myélofibrose (3).

Intérêt d’un diagnostic précoce

Le diagnostic précoce de la maladie de Gaucher est essentiel afin de mettre en place rapidement un traitement qui permettra de prévenir ou de contrôler les complications de la maladie. (4, 6, 23) En effet, si elle n’est pas traitée, elle peut mener à un décès prématuré et d’une manière générale à une dégradation de la qualité de vie des patients (4, 6).

Algorithmes de diagnostic

Deux algorithmes ont été proposés par Mistry et al. et testés par Motta et al. afin de dépister cette pathologie chez les patients atteints de splénomégalie et / ou de thrombopénie (24). D

ans la population de patients adultes qui ne sont pas d’origine juive ashkénaze, les pathologies hématologiques malignes sont bien plus fréquentes (1/2500) que la maladie de Gaucher (1/50.000) et doivent donc être écartées en priorité en cas de splénomégalie (Figure 1). La mesure de l’activité de la glucocérébrosidase devrait cependant toujours être réalisée lorsqu’une splénectomie est envisagée car celle-ci est associée à des manifestations hépatiques, pulmonaires et osseuses plus sévères de la maladie (6). Toutefois, il n’est pas toujours facile de concilier l’urgence relative d’une splénectomie si une affection maligne est suspectée et le long délai nécessaire pour obtenir le résultat des tests enzymatiques si une maladie de Gaucher est suspectée. Dans la population des Juifs Ashkénazes, la fréquence de la maladie de Gaucher est beaucoup plus élevée (1/850) et elle doit être recherchée en première intention en cas de splénomégalie ou d’autres symptômes associés à cette pathologie (6).

Analyses sur gouttes de sang séché

Une étude a démontré que la réalisation d’un test de dépistage sous forme d’une analyse sur sang séché (Dried Blood Spot ou DBS) à la recherche de l’activité de la β-glucocérébrosidase est un test de dépistage fiable chez les patients chez lesquels la maladie de Gaucher est suspectée. Cependant bien qu’il s’agisse d’un test rapide et plus facile à réaliser en routine que le test enzymatique sur les cellules nucléées (test de référence), les résultats doivent être interprétés avec prudence. En effet dans le cadre de l’étude italienne, seuls 6 des 34 patients dont le DBS était positif présentaient effectivement une activité diminuée de la β-glucocérébrosidase. Parmi les 161 patients dont le DBS était négatif, l’un avait une histoire familiale de maladie de Gaucher et en était effectivement atteint, et le dosage de l’activité de la β-glucocérébrosidase n’a pas été réalisé chez les autres. Le DBS est donc un outil de screening et en aucun cas un test diagnostique (24). En Belgique les DBS peuvent être analysés à l’Universitair Ziekenhuis Gent et à l’Universitair Ziekenhuis Antwerpen.

Prise en charge

Il existe deux types de traitement : les traitements destinés à améliorer les symptômes de la maladie, et les thérapies spécifiques de la maladie de Gaucher. Une prise en charge optimale inclut les deux approches ainsi qu’un suivi régulier du patient dans un centre d’expertise (1).

Une problématique importante de la prise en charge reste cependant la splénectomie. En effet si celle-ci permet de corriger la thrombopénie ainsi que l’anémie, elle aggrave les autres manifestations de la maladie et notamment les atteintes osseuses. (1, 3, 6). Cela serait dû au fait que le site de prédilection d’accumulation des cellules de Gaucher est la rate et qu’en l’absence de celle-ci, les cellules de Gaucher s’accumulent dans les différents autres organes et notamment les os, y aggravant les manifestations cliniques (25).

Traitements généraux

Ceux-ci comprennent entre autres des transfusions sanguines et un apport de fer pour pallier le déficit martial, corriger la thrombopénie et l’anémie, des traitements antalgiques des douleurs osseuses, des procédures orthopédiques et un apport de bisphosphonates et de calcium (1).

Thérapies spécifiques

Il existe deux types de thérapies spécifiques de la maladie de Gaucher.

Les thérapies de substitution enzymatique (imiglucérase, velaglucérase, taliglucérase) consistent à administrer au patient une forme (semi-)synthétique de la β-glucocérébrosidase absente ou déficiente. Ainsi les glycolipides, notamment le glucosylcéramide, peuvent être dégradés par cette enzyme exogène comme ils devraient l’être physiologiquement, et ne s’accumulent plus dans les cellules de la lignée des macrophages. Ces thérapies sont administrées en première ligne, et bien qu’il existe plusieurs molécules il ne semble pas y avoir de différence significative entre elles, seule la taliglucérase n’a pas obtenu l’autorisation de mise sur le marché dans l’Union Européenne (1).

L’imiglucérase ou Cerezyme® (Sanofi) fût la première enzyme de substitution disponible en 1993 et la vélaglucerase ou VRPIV® (Shire) fût la seconde en 2010. Elles sont indiquées dans les maladies de Gaucher de type 1 et pour l’imiglucérase dans la maladie de type 3 car elles ne franchissent pas la barrière hémato-encéphalique et n’ont donc aucun impact sur les manifestations neurologiques extrêmement sévères du type 2 (26).

Il s’agit de médicaments administrés par voie intraveineuse toutes les deux semaines, chaque séance durant entre une et deux heures. La dose est ajustable en fonction des manifestations cliniques de chaque patient. Il est habituellement recommandé de commencer par l’administration de hautes doses (60 UI/kg) pour ensuite les diminuer progressivement jusqu’à la dose minimale efficace lorsque les objectifs thérapeutiques sont atteints. Ceux-ci comprennent une amélioration de l’anémie, de la thrombopénie, de l’hépatosplénomégalie, des plaintes osseuses et chez les enfants de la courbe de croissance, de l’atteinte pulmonaire, du bien-être général et finalement de certains marqueurs biochimiques (dont la chitotriosidase).

Ces paramètres se normalisent typiquement endéans 24 à 48 mois en fonction notamment de la sévérité des différentes atteintes lorsque le traitement a été entamé. Il faut ensuite adapter la dose pour chaque patient, ne la diminuer que si les objectifs thérapeutiques sont atteints et ne l’augmenter qu’après s’être assuré que l’aggravation des symptômes n’est pas due à une autre pathologie. Malgré l’absence de recommandation officielle, il semblerait approprié de ne pas diminuer la dose d’entretien sous 30 UI/kg afin de ne pas aggraver les signes radiologiques de l’atteinte osseuse. Les patients peu symptomatiques peuvent cependant entamer et maintenir le traitement à des doses plus faibles (26, 27).

Le seul effet secondaire documenté des thérapies de remplacement enzymatique est une réaction allergique comprenant de l’urticaire, des diarrhées, de l’hypotension et une gêne laryngée. Cela concerne 3% des patients, bien qu’ils soient plus nombreux à développer de manière asymptomatique des anticorps contre l’enzyme. La grossesse n’est pas une contre-indication et le traitement permet au contraire de contrôler la maladie qui peut s’aggraver à cette occasion et limiter la thrombopénie dont les conséquences peuvent être catastrophiques lors de l’accouchement (26).

Ce traitement est indiqué pour les patients atteints de la maladie de Gaucher de type 1 uniquement s’ils sont symptomatiques ou si leurs marqueurs biologiques sont perturbés, et toujours indiqué en cas de maladie de Gaucher de type 3 (26).

Le coût de ces médicaments doit être pris en compte: le prix de l’imiglucérase (Cerezyme®) (Sanofi) s’élève à 1352€ pour un flacon de 400 UI et celui du vélaglucérase alfa (Vpriv)® - 400 U (Shire) à 1560€, sachant qu’un adulte de 70kg en début de traitement requiert environ 8400 UI par mois (28).

Les thérapies de réduction du substrat (miglustat (Zavesca®) (Janssen-Cilag)), éliglustat ou (Cerdelga®) (Sanofi)) réduisent la quantité de glycosphingolipides dans le corps et donc dans les macrophages en empêchant leur synthèse. Elles sont généralement données en seconde ligne car les différentes études réalisées montrent que bien qu’elles soient efficaces, elles le sont moins que les thérapies de remplacement enzymatique. Ces études semblent montrer que ce type de traitement est indiqué chez les patients stables précédemment traités par thérapie de remplacement enzymatique ou ne répondant pas bien à celle-ci. Le niveau de preuve de ces recommandations est faible (1, 29).

Le principal avantage des thérapies de réduction de substrat est qu’elles peuvent être prises per os. (28, 29) Cependant les effets secondaires sont plus importants et comprennent par ordre décroissant de fréquence des troubles digestifs, une perte de poids, des tremblements et des neuropathies périphériques (30).

L'éliglustat (Cerdelga®) a obtenu une autorisation de commercialisation en 2015. Il s'agit également d'un inhibiteur de la glucosylcéramide synthase administré par voie orale. Il est plus spécifique et plus puissant que le miglustat. Il a été évalué dans des études cliniques de phase 1, 2 et 3 comprenant globalement près de 400 patients dont les résultats de suivi ont été publiés après quatre ans. Ces études ont démontré une efficacité significative par rapport au placébo, une non-infériorité par rapport à l'imiglucérase (le produit de référence) sur une période de deux ans et une sécurité satisfaisante. La phase d'extension de quatre ans de l'étude de phase 2 a également démontré un effet osseux bénéfique.

Ce médicament peut être prescrit comme traitement de première ligne pour les patients atteints de maladie de Gaucher de type 1. En raison du risque d’interactions médicamenteuses, son utilisation avec les inhibiteurs du cytochrome CYP2D6 doit être prudente. Un génotypage de ce cytochrome avant tout traitement est indispensable et le status doit être pris en compte (contre-indication absolue si métaboliseur ultra-rapide). L’éliglustat n'est pas recommandé chez les patients souffrant d'une maladie cardiaque préexistante, et en utilisation concomitante avec des antiarythmiques de classe 1A et de classe III. Les effets indésirables sont peu fréquents et généralement légers, notamment des maux de tête et des douleurs aux extrémités des membres dans moins de 10 % des cas. Étant donné qu'il est métabolisé par le cytochrome P450, certaines interactions médicamenteuses doivent être anticipées. L’éliglustat offre toutefois aux patients éligibles une alternative de thérapie orale quotidienne aux perfusions intraveineuses bi-hebdomadaires (31,32).

Actuellement, des essais de thérapie génique ayant recours à des vecteurs rétroviraux et lentiviraux augmentant l’expression de la β-glucocérébrosidase sont en cours. Ces essais ont montré une amélioration du phénotype de la maladie dans un modèle murin. Des études sont en cours chez l’être humain afin de déterminer son efficacité en fonction de la mutation causale, ainsi que son innocuité (33).

Autres traitements

D’autres traitements existent mais leurs bénéfices sont limités et leur efficacité rarement prouvée. La splénectomie totale ou partielle peut être nécessaire en cas de splénomégalie massive et de thrombopénie, mais elle aggrave souvent les autres manifestations de la maladie, notamment les manifestations osseuses (1, 6).

Suivi

L’International Collaborative Gaucher Group (ICGG) recommande de surveiller de près la progression et la sévérité de la maladie. Un suivi comprenant une anamnèse et un examen physique devrait être réalisé tous les 6 à 12 mois, et en fonction des symptômes et des circonstances un contrôle de l’hémogramme, une évaluation des volumes hépatique et splénique par imagerie, une surveillance de l’apparition d’une hypertension pulmonaire et une évaluation osseuse par IRM annuellement (1).

Expérience des Cliniques universitaires Saint-Luc

Une étude observationnelle rétrospective des patients présentant une maladie de Gaucher a été entreprise aux Cliniques universitaires Saint-Luc (CUSL). Une base de données des patients atteints de la maladie de Gaucher ayant consulté ou ayant été hospitalisés aux CUSL depuis 1976 a été établie.

Sept patients pour lesquels le diagnostic formel de maladie de Gaucher a été posé ont été identifiés depuis 1976 dont 3 sœurs issues d’une même famille. Leurs données sont détaillées dans le tableau 1. Aucun patient n’était d’origine juive ashkénaze. Les plaintes osseuses sont peu nombreuses, ce qui peut s’expliquer par le fait que le traitement a été instauré dans l’enfance chez presque tous les patients. Quant aux complications oncologiques, elles sont absentes, tous les patients ayant moins de 50 ans. L’interprétation du délai diagnostique est également partiellement biaisée du fait que trois patientes sont sœurs.

À propos des deux patients atteints de maladie de Gaucher de type 2 et 3, leur évolution a été assez typique. Le premier a présenté dès la naissance en plus d’une thrombopénie et d’une hépatosplénomégalie, une desquamation de la peau ainsi que des troubles neurologiques sévères. Il s’agissait d’une forme particulièrement sévère de la maladie de Gaucher de type 2 appelée forme létale périnatale et pouvant mener entre autres à une atteinte cutanée ainsi qu’à un hydrops fœtal (22, 32). Le diagnostic a été posé rapidement et il est décédé précocement. Le second présentait quant à lui une hépatosplénomégalie sans thrombopénie dès l’âge de 6 mois, accompagnés d’un retard psychomoteur et développemental, de troubles de la déglutition, d’un strabisme et de troubles oculomoteurs et finalement d’épilepsie réfractaire. Le diagnostic a été posé à 10 mois et il est décédé à 2,5 ans d’une infection respiratoire directement liée à ses troubles neurologiques malgré son traitement par imiglucérase

Recommandation pratiques

- Le diagnostic de maladie de Gaucher devrait être évoqué face à toute splénomégalie et/ou thrombopénie inexpliquée. Une ferritine majorée et des anomalies au niveau des immunoglobulines (composé monoclonal – hypergammaglobulinémie) sont fréquemment observées.

- Elle est particulièrement fréquente chez les patients d’origine juive ashkénaze.

- Le recours aux algorithmes de diagnostic récemment validés est recommandé.

- Le traitement de substitution enzymatique devrait être mis en place sans délai afin d’améliorer la qualité et l’espérance durée de vie des patients. Les traitements par voie orale représentent une alternative pour certains patients sous certaines conditions.

- Une splénectomie doit être évitée dans la mesure du possible.

- Un dépistage familial est recommandé.

Conflit d’intérêts

DC a assisté à un preceptorship du Professeur Maria Domenica Cappellini sponsorisé par la Société Sanofi Genzyme.

Affiliations

Cliniques universitaires Saint-Luc, Service d’Hématologie Adulte et Institut des Maladies Rare, B- 1200 Bruxelles

Correspondance

Pr. Cédric Hermans
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service d’hématologie adulte
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
http://www.institutdesmaladiesrares.be/

Références

  1. DynaMed Plus [Internet]. Ipswich (MA): EBSCO Information Services. 1995. Record No. 114844, "Gaucher disease"; [updated 2015 Apr 15, cited 2017 Apr 4]; [about 8 screens]. Available from http://www.dynamed.com/login.aspx?direct=true&site=DynaMed&id=114844.
  2. Lee JY, et al. Clinical and genetic characteristics of Gaucher disease according to phenotypic subgroups. Korean J Pediatr. 2012. 55(2): 48-53.
  3. Cappellini MD. Gaucher Disease Precetorship. A call to action for hematologists. 2017. Milan, Italy.
  4. Mistry PK, et al. Consequences of diagnostic delays in type 1 Gaucher disease: The need for greater awareness among Hematologists–Oncologists and an opportunity for early diagnosis and intervention. Am J Hematol. 2007. 82(8): 697-701.
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