Maladie cœliaque, le vrai et le faux

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Pierre H. Deprez Publié dans la revue de : Mai 2018 Rubrique(s) : Congrès UCL de Médecine Générale
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Résumé de l'article :

La maladie cœliaque est une entéropathie chronique grêle provoquée par un régime contenant du gluten chez des patients génétiquement prédisposés (HLA-DQ2/DQ8). Le diagnostic reste basé sur la recherche d’anticorps anti-transglutaminase et anti-gliadine déamidée puis sur l’histologie démontrant l’infiltration lymphocytaire et l’atrophie villositaire duodénale. Le traitement repose sur le régime sans gluten à vie avec éviction du blé, du seigle et de l’orge. Si les indications du régime sans gluten sont indiscutables au cours de la maladie cœliaque ou de l’allergie au gluten, son indication reste plus discutable dans l’hypersensibilité au gluten. Plusieurs études semblent de plus montrer qu’un régime sans fructanes (partie des FODMAPS) serait préférable au régime sans gluten chez ces patients avec hypersensibilité non cœliaque.

Que savons-nous à ce propos ?

La maladie cœliaque ou intolérance au gluten est une entéropathie bien définie, au contraire de l’hypersensibilité au gluten.

Que nous apporte cet article ?

Les bases physiopathologiques de la maladie cœliaque et les hypothèses pour l’hypersensibilité au gluten.

Mots-clés

Maladie coeliaque, physiopathologie, intolérance, hypersensibilité au gluten, fructanes

Article complet :

INTRODUCTION ET DÉFINITIONS

La maladie cœliaque (intolérance au gluten) est une entéropathie chronique grêle autoimmune like provoquée par un régime contenant du gluten chez des patients génétiquement prédisposés (HLA-DQ2-8). Les protéines « toxiques » pour les patients sont les protéines de stockage du blé, de l’orge et du seigle inhabituellement riches en résidus glutamine et proline, d’où leur nom de prolamines. Au cours de la maladie cœliaque, les peptides de gliadine sont transportés de façon intacte par voie paracellulaire ou transcellulaire via le récepteur à la transferrine, le CD71, surexprimé pendant les phases de la vie où des carences en fer sont fréquentes (nourrisson, femme jeune). Les peptides une fois dans le chorion sont déamidés par la transglutaminase. La déamidation introduit dans les peptides du gluten des charges négatives qui augmentent leur affinité pour la poche à peptides des molécules HLA-DQ2/8 et favorisent la formation de complexes stables efficacement reconnus par les lymphocytes T. Les LT CD4+ ainsi activés provoquent une synthèse de cytokines pro-inflammatoires qui favorisent l’hyperplasie des LIE et l’atrophie villositaire (1).

Cette affection est 2 fois plus fréquente chez les femmes. Elle n’est pas présente dans les populations dont la culture alimentaire est basée sur d’autres céréales que le blé comme en Asie. D’après de récentes études cette maladie est en augmentation depuis ces 20 dernières années et actuellement on estime que, en Europe une personne sur 100, suivant les régions est atteinte. La cause de la rupture de tolérance immunitaire au gluten n’est pas connue, mais le rôle d’un virus (réovirus?) est suspecté (2).

La cœliaquie peut se manifester sous différentes formes ; la forme classique débute chez l’enfant après l’introduction du gluten dans l’alimentation. On observe alors de la diarrhée chronique, de l’anorexie, des ballonnements, une petite taille et de l’irritabilité. Mais la maladie est actuellement plus souvent diagnostiquée à l’âge adulte. Une large partie des patients souffrent de formes atypiques avec divers symptômes : anémie, troubles fonctionnels intestinaux, aphtes, dermatite herpétiforme, troubles neurologiques (migraine, dépression, fatigue chronique…), troubles gynécologiques (aménorrhée, stérilité, avortements…) et troubles rhumatologiques (articulations douloureuses, crampes, tétanie…).

Il faut la distinguer de l’allergie au gluten, principalement décrite dans le cadre des allergies alimentaires dépendantes de l’effort physique qui exacerbe l’absorption intestinale des allergènes alimentaires. Il s’agit ici d’une réaction d’hypersensibilité immédiate médiée par les IgE, et des IgE spécifiques ont été détectées contre des épitopes des oméga-5 gliadines et gluténines de haut poids moléculaire.

L’hypersensibilité au gluten se défini par des troubles fonctionnels digestifs améliorés par le régime sans gluten. Les IgA anti-gliadine sont observés chez moins de 8 % des patients et les anticorps anti-transglutaminase, témoins de la réponse immune adaptative dans le chorion au cours de la MC, y sont absents. Il n’existe ni en cas d’allergie au gluten ni en cas d’hypersensibilité au gluten, d’atrophie villositaire intestinale détectable, ce qui rend l’endoscopie avec biopsies duodénales essentielle au diagnostic différentiel avec la maladie cœliaque (2). Il semblerait que certains patients présentent davantage une hypersensibilité aux FODMAPs (Fermentable Oligosaccharides, Disaccharides, Monosaccharides and Polyols) qu’au gluten. Ces carbohydrates à chaînes courtes (Fructose, Fructane, Lactose, Galactanes, Polyols) exercent un effet osmotique dans la lumière intestinale et leur fermentation est responsable de libération d’hydrogène favorisant ainsi la distension abdominale. Comme le blé contient des FODMAPs, un effet confondant avec le gluten est possible (3,4).

 

DIAGNOSTIC

Il doit être le plus précoce possible pour limiter les complications et permettre une guérison optimale de la muqueuse intestinale. Il sera posé sur base d’une recherche des anticorps de type IgA anti-transglutaminase (tTG) et un dosage des IgA totaux (pour mettre en évidence un déficit en IgA qui rendrait dépistage, diagnostic et suivi inutile par les seuls IgA tTG). En cas de déficit en IgA il convient de doser les IgG anti-gliadine déamidée ou IgG antitTG. Cette sérologie est fiable à 95%. Le diagnostic sera confirmé par des biopsies au niveau du bulbe duodénal et du duodénum proximal et distal. Il existe au minimum une hyperlymphocytose intraépithéliale comme observée au cours des formes latentes, détectées chez des sujets à risque et au pire une atrophie villositaire complète, voire une complication lymphomateuse (5).

L’étude des groupes HLA a essentiellement une valeur prédictive négative. En effet, la détection d’un haplotype à risque (HLA DQ2/8) ne permet pas d’affirmer le diagnostic de cœliaquie compte tenu de leur grande fréquence dans la population générale (<35 %), mais leur absence permet d’éliminer ce diagnostic. Il faut également rechercher des troubles thyroïdiens, des carences en micronutriments et une ostéopénie (l’ostéodensitométrie osseuse est recommandée de façon systématique).

Le risque à ne pas faire le diagnostic ou de ne pas faire suivre un régime sans gluten strict expose en effet le patient à une inflammation permanente qui peut ne plus répondre au régime et qui peut favoriser l’apparition de maladies immunitaires, de diabète…. Les villosités intestinales seront complètement atrophiées entraînant une malabsorption chronique des nutriments pouvant amener de l’anémie (déficit d’absorption du fer), de l’ostéoporose (déficit de calcium et vitamine D), de la dépression avec risque de suicide, et un risque accru de lymphome (5).

Un patient cœliaque non traité deviendra également intolérant au lactose car ses villosités sont détruites. Mais le régime supprimera ce problème en quelque mois. Cependant, certains individus resteront intolérants de façon non liée à la maladie cœliaque avec une prévalence plus marquée dans les populations immigrées.

 

LE SEUL TRAITEMENT : LE RÉGIME SANS GLUTEN, STRICT ET A VIE

Un régime strict excluant le gluten est la seule façon de faire disparaître complètement les symptômes de la maladie. Cependant, il faut attendre que le diagnostic soit clairement établi avant d’adopter ce régime. Alors que l’amélioration clinique est rapide, l’atrophie villositaire intestinale ne régresse généralement pas avant 6 à 24 mois de RSG (6). Le RSG doit être préconisé à vie au cours de la maladie cœliaque, en particulier chez l’adulte, car il prévient en partie le risque de complications malignes, osseuses, ainsi que la survenue de maladies auto-immunes (5). Une diminution progressive des titres sériques d’anticorps cœliaques et leur négativation à un an de régime sans gluten est en revanche un signe de bon suivi du RSG.

Le blé, le kamut, l’épeautre, l’orge, le seigle contiennent du gluten et sont donc interdits.

Par contre, le maïs, le sarrasin, le riz et l’amidon de pomme de terre n’en contiennent pas et peuvent donc être consommés sans problèmes. Il existe également des farines et des produits dérivés sans gluten (pain, pâtes, biscuits…) disponibles en pharmacie, en magasin diététique et en grandes surfaces. Cependant, ces produits sont plus coûteux que leurs équivalents ordinaires. Ils sont reconnaissables à leur logo spécifique qui est un épi de blé barré. Les normes européennes actuellement en vigueur fixent le seuil à 20 ppm de gluten (soit 20mg/kg) pour les produits sans gluten.

Pour mettre en place un tel régime, le conseil auprès d’un diététicien compétent est précieux. D’autre part, en Belgique la Société belge de la Cœliaquie asbl (www.sbc-asbl.be) est une association très active qui fournit au patient de nombreux conseils et des livres de recettes. Ces supports sont utiles afin d’amener le patient à mieux respecter son régime, ce qui n’est pas toujours facile à accepter vu la contrainte qu’il représente dans notre société où l’on consomme énormément de pain, pâtes…. Une étude française a révélé que seuls 50% des patients cœliaques suivent leur régime correctement. En outre, vu le coût élevé des produits spéciaux sans gluten, la mutuelle octroie une intervention mensuelle de 38 euros sur base du diagnostic de cœliaquie posé par un gastro-entérologue.

Parmi les pistes de traitement substitutif au RSG, la plus prometteuse semble être celle des protéases mais ne permettrait pas pour l’instant de couvrir que l’ingestion quotidienne de 2 grammes de gluten. Il en est de même pour le principe du vaccin, qui consiste à administrer des peptides dérivés du gluten pouvant réintroduire une tolérance au gluten (7). Dans les études actuelles il ne s’agit pas (encore) de remplacer le régime sans gluten, mais de permettre des “erreurs” dans ce régime, pour éviter les symptômes ou complications induits par une consommation de gluten méconnue. Récemment des tests de détection de peptides immunogéniques dans les selles et dans les urines ont été mis au point. Ils permettent notamment de détecter de faibles ingestions de gluten dans les 48 dernières heures (8).

En cas de persistance de symptômes malgré le régime sans gluten proposé, il convient de renouveler les explorations biologiques et endoscopiques et d’éliminer une mauvaise compliance au régime sans gluten, une erreur diagnostique (exclure les autres causes d’atrophie villositaire : déficit immunitaire commun variable, entéropathie auto-immune, sprue tropicale, entéropathie liée à l’olmésartan), une colite microscopique, un adénocarcinome du grêle, une sprue cœliaque réfractaire, ou un lymphome intestinal.

Il n’y a pas de complication identifiée au cours de l’hypersensibilité au gluten. Le respect du RSG au cours de l’hypersensibilité au gluten reste donc discuté. Si la définition de cette entité clinique repose sur la régression des troubles digestifs par l’éviction du gluten, une diminution de la consommation en FODMAPs peut aussi entraîner une amélioration significative des symptômes. L’attitude doit alors s’adapter au type des aliments responsables des troubles. Si les troubles digestifs sont induits aussi par des aliments contenant des FODMAPs (lait/lactose, fruits/fructose. . .) on peut d’abord préconiser une alimentation allégée en FODMAPs. En revanche si les troubles digestifs ne sont diminués que par l’exclusion du gluten ou du blé il faut proposer un régime sans blé moins restrictif que le RSG, qui par ailleurs n’induit aucune carence. Aucune prise en charge par l’INAMI n’est cependant prévue dans ce cas.

 

RECOMMANDATIONS PRATIQUES

  • Penser au diagnostic devant tout symptôme intestinal “fonctionnel”, carence martiale, état dépressif
  • Toujours faire le bilan sérologique et histologique avant de débuter un régime sans gluten
  • Le régime sans gluten est sain et inoffensif, à poursuivre à vie chez les cœliaques
  • Un régime allégé aux carbohydrates (fructanes) améliore les patients avec hypersensibilité au gluten

 

CORRESPONDANCE

Pr. Piere H. Deprez, MD, PhD

Chef de Clinique
Professeur ordinaire
Hépato-gastroentérologie
Cliniques universitaires Saint-Luc
Université Catholique de Louvain
www.saintluc.be
pdeprez@uclouvain.be
Tel +3227642849
Fax +3227648927

 

RÉFÉRENCES

  1. Malamut G, Khater S, Bruneau J, Cerf-Bensussan N, Cellier C. Maladie cœliaque, hypersensibilité au gluten et régime sans gluten : ce qu’il faut savoir et rectifier. Hépato Gastro. 2018 ; 25 : 173-180. 
  2. De Giorgio R, Volta U, Gibson PR. Sensitivity to wheat, gluten and FODMAPs in IBS : facts or fiction? Gut. 2016 ; 65 : 169-78. Ouvrir dans PubMed
  3. Biesierkierski JR, Peters SL, Newnham ED, Rosella O, Muir JG, Gibson PR. No effects of gluten in patients with self-reported nonceliac gluten sensitivity after dietary reduction of fermentable, poorly absorbed, short-chain carbohydrates. Gastroenterology. 2013 ; 145 : 320-8. Ouvrir dans PubMed
  4. Fasano A, Sapone A, Zevallos V, Schuppan D. Non celiac gluten sensitivity. Gastroenterology. 2015 ; 148 : 1195-204. Ouvrir dans PubMed
  5. Lebwohl B, Granath F, Ekbom A, et al. Mucosal healing and mortality in celiac disease. Aliment Pharmacol Ther. 2013 ; 37 : 332-9. Ouvrir dans PubMed
  6. Deprez P, Sempoux C, Van Beers BE, et al. Persistent decreased plasma cholecystokinin levels in celiac patients under gluten free diet: respective roles of histological changes and nutrient hydrolysis. Regul Pept. 2002, 110:55-63. Ouvrir dans PubMed
  7. Lahdeaho ML, Kaukinen K, Laurila K, et al. Glutenase ALV003 attenuates gluten-induced mucosal injury in patients with celiac disease. Gastroenterology. 2014 ; 146 : 1649-58. Ouvrir dans PubMed
  8. Moreno ML, Cebolla A, Munoz-Suano A, et al. Detection of gluten immunogenic peptides in the urine of patients with coeliac disease reveals transgressions in the gluten-free diet and incomplete mucosal healing. Gut. 2017 ; 66 : 250-7. Ouvrir dans PubMed