Les Anticoagulants Oraux Directs : recommandations pour le médecin généraliste

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Cédric Hermans Publié dans la revue de : Octobre 2018 Rubrique(s) : Actualité thérapeutique
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Résumé de l'article :

Les Anticoagulants Oraux Directs (AODs) représentent une des plus grandes innovations thérapeutiques des dernières décennies. Ces médicaments ont clairement démontré leur efficacité et sécurité d’utilisation dans un nombre important d’indications. Les principales précautions d’utilisation ont été identifiées. Initialement confiée aux spécialistes, la prescription des AODs fait désormais partie du quotidien de nombreux médecins généralistes. Cet article se propose de revoir de façon concise et pratique quelques informations importantes concernant les AODs utiles pour tout médecin généraliste.

Mots-clés

Anticoagulation, AVKs, HBPMs, Anticoagulants Oraux Directs

Article complet :

INTRODUCTION

Cet article se propose de revoir de façon concise et pratique quelques informations importantes concernant les anticoagulants oraux directs (AODs) utiles pour tout médecin généraliste. Il n’a pas la prétention de fournir une description détaillée de chaque agent thérapeutique mais bien une synthèse des recommandations principales de bonne prescription.

 

COMMENT AGISSENT LES AODs ?

Contrairement aux AVKs et aux HBPMs, les AODs agissent par un mécanisme unique d’inhibition ciblée, directe et réversible d’un des deux facteurs de la coagulation (Xa ou IIa / thrombine). Les conséquences sont multiples. Il s’agit d’un mécanisme différent des anti-vitamines K qui altèrent la production hépatique sous forme fonctionnelle des facteurs vitamine K dépendants (II, VII, IX et X), de même que des héparines qui inhibent les facteur Xa et IIa (thrombine) en potentialisant l’action inhibitrice de l’antithrombine.

En pratique, l’action anticoagulante des AODs est rapidement obtenue en quelques heures (sans traitement concomitant par HBPM comme c’est le cas pour les AVKs), est relativement brève (demi-vie de 10-12 heures si la fonction rénale est normale, ce qui permet d’éviter le relai par HBPM lors de gestes invasifs comme pour les AVKs), n’impliquent pas la vitamine K (pas d’influence du régime alimentaire), ni l’antithrombine (dont le déficit rend inefficace l’action des héparines). Compte tenu de l’absence d’interférences tant alimentaire que médicamenteuse comme c’est le cas pour les AVKs, une dose standard (réduite chez certains patients) est prescrite pour la plupart des patients sans nécessité de monitoring. Les AODs présentent moins d’interactions médicamenteuses que les AVKs, à l’exception d’interactions, propres à chaque molécule, avec les traitements anti-HIV, anti-fongiques, immunosuppresseurs, … Les avantages et faiblesses tant des AODs et des AVKs sont résumés dans les tableaux 1 et 2.

 

QUELLES SONT LES INDICATIONS DES AODs ?

Les AODs doivent certainement être privilégiés par rapports aux AVKs pour les patients en fibrillation auriculaire candidats à une anticoagulation orale de même que pour les patients avec maladie thrombo-embolique veineuse (TVP et/ou EP - pas les thromboses veineuses superficielles). Les AODs peuvent également être prescrits pour la prévention des TVP/EP en période post-opératoire d’une arthroplastie de hanche ou de genou programmée.

Tout médecin généraliste peut donc prescrire un traitement par AOD chez un patient en FA ou avec une maladie thrombo-embolique veineuse démontrée. Les AODs sont utilisés dans un nombre croissant d’autres indications (MTEV chez le patient cancéreux, thrombose veineuse survenant dans un site inhabituel, syndrome anti-phospholipide, …). Il est toutefois pertinent de solliciter l’avis du médecin spécialiste pour ces éventuelles indications spécifiques et moins validées. La présence d’une valve cardiaque mécanique, une insuffisance rénale sévère (clairance de la créatinine inférieure à 30 ml/min), la grossesse, l’allaitement constituent des contre-indications absolues à la prescription d’un AOD.

 

QUEL AOD PRIVILÉGIER ?

Il existe actuellement plusieurs AODs disponibles. Ils se différentient par leur cible (Xa ou IIa), le nombre de prise quotidienne (une ou deux fois par jour), les posologies, les indications validées, les critères de remboursement, les interactions médicamenteuses, la disponibilité d’antidote spécifique ou aspécifique. Il n’est pas scientifiquement valide de privilégier une molécule particulière. La difficulté au quotidien est d’identifier rigoureusement la molécule qui est la plus appropriée pour chaque patient en fonction de l’indication, des comorbidités éventuelles, …Il est souhaitable que chaque médecin généraliste se familiarise avec au moins deux molécules disponibles

 

QUE FAIRE EN CAS DE GESTE INVASIF ?

La gestion des gestes invasifs (opérations, biopsies, soins dentaires, …) est grandement facilitée par le recours aux AODs. Compte tenu de la demi-vie d’élimination courte, un simple arrêt suffit sans substitution par un autre anticoagulant. La période d’arrêt correspond à la durée nécessaire à l’élimination de la médication. Généralement, un à deux jours suffisent. En d’autres termes, une dernière prise est recommandée la veille au matin (24 heures d’arrêt) ou l’avant-veille au matin (48 heures d’arrêt). Généralement une dernière prise la veille est recommandée, sauf en cas d’altération de la fonction rénale, procédure à risque hémorragique, âge très avancé, présence de co-morbidités ou prise de médications majorant le risque hémorragique. Il est recommandé de reprendre l’AOD le lendemain du geste. En effet, une reprise trop précoce pourrait entraîner des complications hémorragiques. Dans certaines circonstances (risque hémorragique important), un traitement par HBPM à dose préventive ou semi-thérapeutique est recommandé pendant quelques jours en post-procédure avant la reprise de l’AOD. En milieu hospitalier, les AODs sont d’ailleurs généralement remplacés par une HBPM pour réduire le risque hémorragique, réduire les interactions éventuelles avec d’autres médicaments et faciliter les gestes invasifs. En cas d’urgence (traumatisme, opération urgente), l’effet de l’AOD se dissipe relativement rapidement compte tenu de la courte demi-vie. Si une temporisation n’est pas possible, l’effet de l’AOD peut être neutralisé par le recours à du complexe prothrombinique (FII, VII, IX et X – COFACT pour les anti-Xa) ou à l’antidote spécifique (Praxbind® pour le Pradaxa®).

 

FAUT-IL MONITORER L’ACTION ANTICOAGULANTE DES AODs ?

Un monitoring biologique n’est pas indiqué. Les tests classiques de coagulation (INR) ne sont d’ailleurs pas adaptés. Il faut recourir à des tests spécifiques (mesure de l’activité anti-Xa, mesure du temps de thrombine modifié en cas d’inhibition de la thrombine, idéalement mesure des concentrations circulantes). Un monitoring est parfois justifié : poids hors normes (< 50 - > 120 kg), suspicion d’interactions médicamenteuses, absorption altérée (chirurgie bariatrique), altération sévère de la fonction rénale et traitement par AOD à petite dose. En cas de bilan d’hémostase anormal (INR anormal, temps de thrombine allongé, suspicion de la présence d’un anticoagulant du lupus), il faut évoquer la prise d’un AOD. Il est important de souligner que la prise d’un AOD interfère avec les tests d’hémostase et qu’un bilan d’hémostase complet ne peut être réalisé qu’à distance de la dernière prise d’un AOD (24 – idéalement 48 heures).

 

QUEL RISQUE HÉMORRAGIQUE SOUS AODs ?

Les AODs présentent un profil de risque hémorragique plus favorable que les AVKs. Il ne faut toutefois pas négliger que la prescription de tout agent antithrombotique est liée à un risque hémorragique accru inévitable et intrinsèquement lié au mode d’action des anticoagulants disponibles. Les études démontrent clairement que les patients sous AODs présentent moins d’hémorragie cérébrale (ce qui pourrait s’expliquer par une anticoagulation plus stable et l’absence d’effet sur le Facteur VII) mais plus d’hémorragie digestive (effet anticoagulant local des molécules non résorbées). Il faut en tenir compte et éviter de prescrire des AODs en première intention chez des patients avec antécédents d’hémorragie digestive ou à risque de présenter ce type de complication. La moindre incidence de complications hémorragiques cérébrales chez les patients sous AODs doit être prise en compte dans le choix de l’anticoagulation.

 

COMMENT DÉBUTER LE TRAITEMENT PAR AODs ?

Même si la prescription des AODs se banalise, diverses précautions doivent être impérativement respectées : respect de l’indication, bonne posologie, contrôle de la fonction rénale, s’assurer de l’absence préalable d’anémie (ou de carence en fer suspecte d’hémorragie occulte chronique), obtention du remboursement, éducation du patient (explication des risques, modalités de prise, promotion de la compliance), carte d’identification, document explicite d’information, évitement des interactions médicamenteuses rares mais existantes, propres à chaque molécule, recours à une contraception, mise en garde vis-à-vis de plaintes hémorragiques, consultation de suivi quelques semaines après le début de la prise pour s’assurer de la bonne tolérance, compliance, effets secondaires…Les principales précautions sont résumées dans les tableaux 3 et 4.

 

CONCLUSIONS

Les AODs ont révolutionné la prise en charge de l’anticoagulation orale. Le nombre de patients sous AODs augmente de façon constante. La tâche, quelque peu ingrate et peu valorisante pour le médecin généraliste de monitorer l’INR des patients sous AVKs, est actuellement remplacée par une expertise croissante de chaque praticien de première ligne pour bien maîtriser, prescrire, suivre et adapter le traitement anticoagulant qui repose sur une gamme croissante d’AODs complémentaires. Ce bref article a pour ambition de bien rappeler les grands principes de bonne gestion du traitement par AODs.

 

LECTURE CONSEILLÉE

Thachil J. The newer direct oral anticoagulants: a practical guide. Clin Med (Lond). 2014; 14(2):165-175. Ouvrir dans PubMed

 

CORRESPONDANCE

Pr. CÉDRIC HERMANS
MD, PhD, FRCP (Lon, Edin)

Professeur Ordinaire Clinique,
Head Haemostasis and Thrombosis Unit
Haemophilia Clinic
Division of Haematology
St-Luc University Hospital
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Brussels
Belgium
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