Le traitement moderne du pied diabétique : le point de vue du chirurgien orthopédiste

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Dan Putineanu, Thomas Schubert Publié dans la revue de : Mars 2017 Rubrique(s) : Diabétologie
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Résumé de l'article :

Dans le cadre de la prise en charge multidisciplinaire du pied diabétique, la chirurgie garde un rôle prépondérant dans la prévention et le contrôle de l’infection, dans la reconstruction osseuse et des tissus mous, dans le sauvetage d’un membre ou dans l’exécution d’une amputation qui sera la plus distale possible tout en obtenant un moignon d’amputation correct. Il y existe une multitude de techniques chirurgicales à disposition du chirurgien pour atteindre l’ensemble de ces objectifs.

Mots-clés

Pied diabétique, Charcot, chirurgie

Article complet :

Les objectifs généraux du traitement d’un pied diabétique sont : éviter l’apparition des complications (ulcère, nécrose, infection des tissus mous ou de l’os, ischémie – si celle-ci n’est pas déjà présente) ; contrôler l’infection des tissus mous ou de l’os (si présente) ; fermer toute solution de continuité entre la peau et les tissus mous sous-jacents (ulcère).
Dans ce cadre, il existe deux situations principales ou le chirurgien doit intervenir :
1. Le pied diabétique associé à un ulcère infecté
2. Le pied de Charcot .

LE PIED DIABÉTIQUE ASSOCIÉ À UN ULCÈRE INFECTÉ

Dans la grande majorité des cas, l’infection est bien contrôlée par une approche médicochirurgicale.

La chirurgie reste néanmoins essentielle pour le contrôle de l’infection. Toute collection profonde doit être drainée le plus rapidement possible et les tissus mous dévitalisés doivent être débridés (Figure 1), et ce même en l’absence d’une vascularisation (perfusion) locale optimale. Celle-ci peut toujours être améliorée après l’intervention chirurgicale d’urgence qui a comme objectifs :
1. de diminuer la pression locale importante causée par les collections profondes, surtout situées a la base des orteils. Le drainage amène une amélioration immédiate de la perfusion ;
2. de diminuer la « charge » infectieuse locale ;
3. d’effectuer des prélèvements bactériologiques profonds ;
4. de diminuer le risque de dissémination locale et systémique de l’infection chez un sujet à la défense immunitaire compromise.

Sans urgence immédiate, le traitement chirurgical d’une infection osseuse associée à l’ulcère est indispensable. Il doit être adapté au site infectieux.

Cette chirurgie différée est nécessaire, le plus souvent, au niveau des orteils, où le chirurgien essayera de faire la résection osseuse ou l’amputation la plus limitée possible tout en obtenant une fermeture directe de la peau. Au niveau de l’hallux, la résection doit sauvegarder, si possible, la base de la première phalange. Si l’atteinte infectieuse intéresse les articulations métatarso-phalangiennes ou les têtes métatarsiennes, une arthroplastie et une résection des têtes, voire des métatarses, peut être réalisée, à condition de laisser en place un pied sans zones d’hyper-appui. Si la résection requise risque de déséquilibrer le pied, l’amputation trans-métatarsienne reste la solution de choix : celle-ci est en effet harmonieuse, facilement appareillable et préserve une fonction de qualité.
Si l’infection et la destruction des tissus mous ou l’ostéite remontent plus en proximal, d’autres niveaux d’amputation peuvent être envisagés : Lisfranc, Chopart, Boyd, transtibiale, désarticulation de genou ou même transfémorale.

Les ulcères du talon avec ostéite calcanéenne associée sont difficiles à traiter. Si la résection de l’ulcère n’abouti pas à une perte de substance cutanée trop importante, une calcanéctomie partielle ou totale est recommandée. La résection osseuse dépend de l’extension de l’ostéite et de la perte des tissus mous de couverture. La calcanéctomie est appareillable, donne une mobilité acceptable au patient et peut éviter une amputation transtibiale.

LE PIED DE CHARCOT

A. Le traitement conservateur d’un pied de Charcot comporte trois phases

1. L’objectif du traitement dans sa première phase est de ralentir/diminuer l’inflammation et favoriser la cicatrisation naturelle tout en empêchant une apparition ou une aggravation de déformations ostéo-articulaires. Initialisée le plus rapidement possible après le diagnostic (même s’il ne s’agit que d’une forte suspicion !), cette phase demande une immobilisation (total cast) et une décharge complète (cannes béquilles, déambulateur ou chaise roulante, en fonction des capacités motrices du patient). Pendant 4 à 6 semaines, le plâtre est régulièrement changé (chaque semaine) pour un contrôle cutané et une meilleure adaptation du plâtre au fur et à mesure de la diminution de l’œdème. La durée totale d’immobilisation peut aller jusqu’à 4 à 6 mois. Après 6 semaines de plâtre, en fonction de la stabilité du pied, une botte amovible (Aircast) peut remplacer le plâtre si le patient est coopérant. La reconstruction et la stabilisation chirurgicales ne sont pas indiquées dans cette phase.

2. La deuxième phase consiste en une immobilisation relative du pied avec des chaussures temporaires ou une orthèse jusqu’à la stabilisation définitive de la nouvelle forme du pied (entre les mois 4 et 6).

3. La troisième phase consiste en une contention dans des chaussures orthopédiques sur mesure adaptées à la forme définitive du pied de Charcot stabilisé.

B. Le traitement chirurgical

L’intervention chirurgicale pour un pied de Charcot sans infection profonde a comme objectif d’obtenir un pied stable et d’éviter l’apparition de complications telle qu’une infection profonde.

Les techniques chirurgicales utilisées sont :

1. la résection (partielle ou totale) d’un os du tarse resté proéminent après la phase aiguë et qui cause un ulcère récidivant malgré la chaussure adaptée ;

2. la stabilisation d’une lésion ostéo-articulaire instable (arthrodèse), après la phase aiguë ;

3. la correction associée à une arthrodèse si la phase aiguë a laissé un pied déformé, avec des zones d’hyperpressions et des ulcères récidivants ou si la solution 1) n’est pas suffisante.

L’intervention chirurgicale pour un pied de Charcot avec une infection profonde a comme objectifs de contrôler l’infection, éviter la septicémie, éviter une amputation majeure (le plus souvent transtibiale) et obtenir un pied stable et plantigrade, sans zones d’hyper appui.

Une stratégie en deux étapes est le plus souvent envisagée

− résection des tissus infectés (par exemple séquestrectomie pour un Charcot Sanders IV - cheville) et stabilisation par fixateur externe qui reste en place 6 semaines (contrôle de l’infection par une antibiothérapie adaptée) ;

− reconstruction/arthrodèse.

Une stratégie en une seule étape est aussi possible, surtout quand la fixation externe est le moyen définitif de stabilisation de l’arthrodèse (par exemple, tarsectomie pour un Charcot infecté Sanders II – Lisfranc, raccourcissement et stabilisation avec fixateur externe Ilizarov pour 4 à 6 mois (Figure 2).

CONCLUSIONS

La prise en charge et le traitement du pied diabétique sont toujours multidisciplinaires. Une coordination doit être réalisée entre les différentes spécialités et métiers qui interviennent d’une manière successive ou simultanée dans la prise en charge globale d’un problème qui est très souvent un cas unique. La chirurgie a une place importante dans la prise en charge et intervient a différents moments, avec des objectifs spécifiques bien définis pour chaque étape de traitement.

Correspondance

Dr. Dan Putineanu
Dr. Thomas Schubert

Cliniques universitaires Saint-Luc
Service d’Orthopédie et Traumatologie
Université catholique de Louvain
B-1200 Bruxelles