Le traitement du VIH en 2018 : ce que doit savoir le médecin généraliste

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Jean-Cyr Yombi Publié dans la revue de : Mai 2018 Rubrique(s) : Congrès UCL de Médecine Générale
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Résumé de l'article :

De nombreux efforts de prévention et de traitement ont été réalisés depuis le déclenchement de l’épidémie du VIH et on estime qu’en juin 2017, 20.9 millions de personnes avaient accès au traitement antirétroviral. L’efficacité des nouvelles thérapeutiques antirétrovirales fait qu’aujourd’hui les patients porteurs du VIH ont une espérance de vie quasi normale. Le VIH est devenu une maladie chronique nécessitant un traitement au long cours. Cette situation pose de nouveaux problèmes, celui des comorbidités, de l’accumulation des toxicités des traitements antirétroviraux et enfin, celui lié au vieillissement. Jusque 2015, la question du début du traitement antirétroviral chez les patients asymptomatiques vivant avec le VIH a été longuement débattu mais deux études randomisées (Temprano et START) ont apporté depuis lors des évidences indiscutables montrant que tous les patients porteurs du VIH doivent être traités indépendamment du taux de CD4. Aujourd’hui la prise en charge du porteur du VIH ne doit pas que se limiter à la trithérapie. Nous devons lutter vigoureusement contre les comorbidités (hypertension artérielle, diabète, dyslipidémies ). L’arrêt du tabac et de la consommation excessive d’alcool et drogues doit être préconisé. Le dépistage des infections sexuellement transmissibles et leur traitement , le dépistage de certains cancers, plus fréquents dans la population VIH font partie également de la prise en charge. S’il est clair que tout patient porteur du VIH doit être traité, de nombreux défis persistent. Environ 40 % des patients porteurs du VIH sont diagnostiqués tardivement quand les CD4 sont bas. Il faudra donc améliorer le dépistage précoce en ciblant les populations les plus à risque.

Que nous apporte cet article ?

Un résumé clair de ce que doit connaitre le médecin généraliste sur le traitement du VIH en 2018

Mots-clés

VIH, traitement antirétroviral, CD4, charge virale

Article complet :

INTRODUCTION

En 2016, 36.7 millions personnes vivaient avec le VIH dans le monde, 1.8 millions de personnes ont été nouvellement infectées par le VIH et environ 1 million de personnes sont décédées de maladies liées au VIH. On estime que 76.1 millions de personnes ont été infectées par le VIH depuis le début de l’épidémie et environ 35 millions de personnes sont décédées des suites des maladies liées au VIH depuis lors (1). En Belgique, en 2016, 915 infections par le VIH ont été diagnostiquées ce qui correspond à 2.5 nouveaux diagnostics par jour en moyenne ou encore à 80 nouveaux diagnostics par million d’habitants. Le nombre d’infection diagnostiquée en 2016 est en diminution de 9.8% par rapport à l’année 2015 et de 25.1% en comparaison à l’année 2012.De nombreux efforts de prévention et de traitement ont été réalisés depuis le déclenchement de cette épidémie et on estime qu’en juin 2017, 20.9 millions de personnes avaient accès au traitement antirétroviral (1). Le traitement antirétroviral est devenu le moyen de prévention le plus efficace car, au plus les patients ont accès au traitement et que leur charge virale est contrôlée, au moins ils transmettent le virus (3). Par ailleurs, l’efficacité des nouvelles thérapeutiques antirétrovirales fait qu’aujourd’hui les patients porteurs du VIH vivent très longtemps et leur espérance de vie devient quasi proche de celle de la population générale. Le VIH est devenu donc une maladie chronique nécessitant un traitement au long cours. Cette situation pose de nouveaux problèmes et défis nombreux, celui des comorbidités, de l’accumulation des toxicités des traitements antirétroviraux, et, enfin, celui du vieillissement. Les projections montrent que, d’ici 2020, plus de 50% des patients dans les différentes cohortes auront dépassé l’âge de 50 ans. Or, on remarque que dans ces cohortes de patients porteurs du VIH, le nombre de comorbidités est 2x plus élevé que dans la population générale et surviennent en moyenne dix ans plutôt (4).

Jusque 2015, la question du début du traitement antirétroviral chez les patients asymptomatiques vivant avec le VIH a été un sujet longuement débattu mais deux études randomisées (Temprano et START) ont apporté depuis lors des évidences indiscutables montrant que tous les patients porteurs du VIH doivent être traités indépendamment du taux de CD4 (5-6).

 

TRAITEMENT ET SUIVI EN PRATIQUE

De façon pratique, avant la mise en route sous traitement, un bilan doit être réalisé comprenant l’historique complet des antécédents médicaux, familiaux, les vaccinations et la liste exhaustive de toutes les médications du patient. Un examen clinique complet (cutané, oral, aires ganglionnaires, foie, rate poumons cœur) doit être également réalisé. Le bilan biologique de base comprend des CD4 et une charge virale ainsi qu’un ionogramme, une fonction rénale (urée, créatinine, GFR), des enzymes hépatiques et des sérologies hépatite B - C. Un génotype du virus ainsi que la détermination du HLA B5701 doivent faire partie du bilan initial, le HLA B5701 nous permettant d’exclure la possibilité de mettre les patients sous un traitement qui comporte l’Abacavir (risque hypersensibilité) (7-8). D’autres examens biologiques ou radiologiques peuvent être réalisés en fonction des antécédents médicaux du patients.

Actuellement, pour démarrer le traitement antirétroviral, la trithérapie va comprendre deux inhibiteurs nucléosidiques de la reverse transcriptase inverse (NRTI), ce sont essentiellement le Truvada (FTC + TDF) ou Descovy (FTC+TAF) et Kivexa ( 3TC + ABC) . Le 3ème pilier du traitement anti-rétroviral comporte en 1er choix essentiellement les inhibiteurs de l’intégrase (INSTI), que sont l’Elvitégravir boosté par le cobicistat (ELV/COBI), le Dolutégravir (DTG), le Raltégravir ou plus récemment le Bictégravir qui eux ne nécessitent pas de booster. Une deuxième possibilité est d’associer aux 2 NRTI, un inhibiteur non nucléosidique de la reverse transcriptase inverse (NNRTI) essentiellement, la Rilpivirine (RPV) mais celle-ci doit être prise avec un certain nombre de calories. L’Efavirenz (EFV) n’étant quasiment plus prescrit en première ligne en Europe, du fait de ses nombreux effets secondaires neuropsychiatriques mais restent la médication la plus prescrite dans le monde surtout en Afrique. Enfin aux 2 NRTI, on peut associer un inhibiteur de protéase (IP) boosté soit par le Ritnovair ou par le Cobicistat. L’IP de choix est le Darunavir(DRV) (tableau 1). Il faut savoir que la plupart des trithérapies se présentent actuellement sous formes combinées (dose fixe) qui portent les noms de Atripla (FTC+TDF +EFV), Eviplera (FTC+TDF+ RPV), Odefsey (FTC +TAF + RPV), Stribild(FTC+TDF+ELV/COBI), Genvoya (COBI/ELV/FTC/TAF), Triumeq (ABC/3TC/DTG), Symtuza (DRV +FTC+TAF) (tableau 2). Il s’administre à la dose de 1 co/j et facilite ainsi la compliance au traitement.

Une fois le traitement mis en place, un suivi tri ou bi-annuel se fera chez le spécialiste avec suivi de la charge virale et des CD4. Le reste du bilan, surtout biologique, sert à suivre les éventuelles toxicités du traitement antirétroviral. Il faut se méfier à tout moment des interactions médicamenteuses puisque les patients porteurs du VIH ont également de nombreux autres traitements. Ces interactions médicamenteuses peuvent non seulement ruiner l’efficacité du traitement antirétroviral ou alors augmenter le risque de leur toxicité ou des toxicités des médicaments associés (9).

Vu que la population des patients porteurs du VIH vieillit, il est impératif de réaliser une évaluation du risque cardiovasculaire au départ et ensuite, sous traitement, un suivi de la fonction rénale (annuel ou bi-annuel selon les risques liés soit au patient, soit aux médications prescrites) ainsi qu’un bilan osseux à la recherche d’une ostéoporose ou ostéopénie.

Aujourd’hui, le traitement, du patient porteur du VIH ne doit pas que se limiter à la trithérapie. Nous devons lutter vigoureusement contre les comorbidités, l’hypertension artérielle doit être traitée de façon optimale, le diabète doit être bien équilibré et un traitement contre les dyslipidémies doit être mis en place si cela s’avère nécessaire. L’arrêt du tabac et de la consommation excessive d’alcool et drogues récréatives doit être préconisé. Le dépistage des infections sexuellement transmissibles et leur traitement font partie également de la prise en charge. Le dépistage de certains cancers, plus fréquents dans la population VIH, comme les cancers liés à l’HPV, les cancers du poumon ou des cancers liés à l’immunodépression doit également faire l’objet d’une attention particulière en tenant compte des recommandations internationales (7-8).

 

CONCLUSIONS

Aujourd’hui le traitement du VIH s’est fortement amélioré et tout patient porteur du VIH doit être traité quels que soient ses CD4. Les trithérapies sont très efficaces et mieux supportées. Grâce à cette efficacité, l’espérance de vie des patients vivant avec le VIH est devenu quasi normale. Le VIH est donc devenu une maladie chronique nécessitant un traitement au long cours. Cette situation pose de nouveaux problèmes et défis nombreux, celui des comorbidités, de l’accumulation des toxicités des traitements antirétroviraux, et, enfin, celui du vieillissement. Le médecin généraliste a une place importante à jouer dans la prise en charge des comorbidités, la lutte contre la consommation excessive de tabac, alcool et drogues. S’il est clair que tout patient porteur du VIH doit être traité, de nombreux défis persistent. Environ 40 % des patients porteurs du VIH sont diagnostiqués tardivement quand les CD4 sont bas (10). Il faudra donc améliorer le dépistage précoce en ciblant les populations les plus à risque.

 

CORRESPONDANCE

Pr. Jean Cyr Yombi

Cliniques universitaires Saint Luc
Service de médecine interne et pathologies infectieuses
Centre de Référence SIDA
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles, Belgique

 

RÉFÉRENCES

  1. UNAIDS (2016) The gap report.
  2. Epidémiologie du SIDA et de l’infection à VIH en Belgique. Situation au 31 décembre 2016. Rapport disponible sur https://www.wiv-isp.be/fr/coin-presse/la-baisse-des-nouveaux-diagnostics...
  3. Cohen MS, Shaw GM, McMichael AJ, Haynes BF. Acute HIV-1 infection. N Engl J Med. 2011; 364: 1943-1954. Ouvrir dans PubMed
  4. Power L, Bell M ,Freemantle I. A national study of Ageing and HIV(50 plus).https://www.jrf.org.uk/sites/default/files/jrf/migrated/files/living-wit...
  5. TEMPRANO ANRS 12136 Study Group. A trial of early antiretrovirals and isoniazid preventive therapy in Africa. N Engl J Med. 2015; 373: 808-822. Ouvrir dans PubMed
  6. The INSIGHT START Study Group, Lundgren JD, Babiker AG, Gordin F, Emery S, et al. Initiation of ART in early asymptomatic HIV infection. N Engl J Med. 2015; 373: 795-807. Ouvrir dans PubMed
  7. European AIDS Clinical Society (2015) Clinical management and treatment of HIV-infected patients in Europe. Version 8.0.
  8. World Health Organization (2015) Guideline on when to start ART and on pre-exposure prophylaxis for HIV. September 2015.
  9. Gimeno-Gracia M, Crusells-Canales MJ, Armesto-Gómez FJ. Polypharmacy in older adults with human immunodeficiency virus infection compared with the general population. Clin Interv Aging. 2016 Aug 26;11:1149-57. Ouvrir dans PubMed
  10. Yombi JC, Jonckheere S, Vincent A, Wilmes D, Vandercam B, et al. Late presentation for human immunodeficiency virus HIV diagnosis results of a Belgian single centre. Acta Clin Belg. 2014; 69: 33-39. Ouvrir dans PubMed