La prise en charge de l'insomnie chez les adolescents dans les soins psychiatriques : une analyse qualitative des pratiques thérapeutiques de psychiatres infanto-juvéniles en région de Bruxelles-Capitale

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Sarah Quoidbach1, Sophie Symann2 Publié dans la revue de : Juillet 2022 Rubrique(s) : Psychiatrie infanto-juvénile
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Résumé de l'article :

Les psychiatres infanto-juvéniles sont fréquemment confrontés aux plaintes d’insomnie de leurs patients adolescents. À l’heure actuelle, en Belgique, il n’y a pas de recommandations émanant d’instances officielles pour le traitement de celles-ci chez les moins de 18 ans. Dans ce contexte, les psychiatres infanto-juvéniles doivent couramment poser des choix thérapeutiques hors label pour le traitement de l’insomnie pédiatrique. Cette étude a pour objectif de s’enquérir des pratiques des psychiatres infanto-juvéniles confrontés à des troubles du sommeil chez les adolescents dans leur pratique ambulatoire. Sur base d’une méthodologie qualitative, des entretiens semi-directifs ont été réalisés auprès de 10 psychiatres infanto-juvéniles travaillant en français dans la région de Bruxelles-Capitale.

Que savons-nous à ce propos ?

Les troubles du sommeil sont fréquents chez les adolescents pris en charge dans le circuit psychiatrique, néanmoins aucun médicament ne dispose de l’autorisation de mise sur le marché (AMM) dans cette indication chez les moins de 18 ans. Les psychiatres infanto-juvéniles doivent de ce fait poser des choix thérapeutiques hors label s’ils veulent avoir recours à un traitement médicamenteux.

Que nous apporte cet article ?

Cet article a pour but de s’enquérir des pratiques thérapeutiques des psychiatres infanto-juvéniles face aux patients adolescents présentant des plaintes d’insomnie. Au vu de l’absence de recommandations officielles, cette étude qualitative cherche à savoir s’il existe ou non une harmonie dans les stratégies thérapeutiques des psychiatres interrogés.

Mots-clés 

Insomnie, adolescents, psychiatres infanto-juvéniles, pratiques thérapeutiques, hors label, prescription

Article complet :

Introduction

Les psychiatres infanto-juvéniles sont fréquemment confrontés aux plaintes d’insomnie de leurs patients adolescents. Par contre, dans leur pratique, les praticiens interrogés disent ne rencontrer que très rarement des adolescents qui arrivent avec une insomnie comme trouble isolé. En effet, des psychopathologies comme la dépression et l’anxiété sont hautement corrélées à l’insomnie (1).

Malgré la fréquence de l’insomnie chez les adolescents (2) et son impact profond sur les performances et le bien-être des individus, peu d’études de qualité pouvant guider les choix pharmacologiques des praticiens ont été réalisées sur la population pédiatrique. Pour des raisons d’éthique de la recherche médicale, les essais cliniques sur les moins de 18 ans sont limités. De ce fait, aucune molécule ne dispose en Belgique d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) pour le traitement spécifique de l’insomnie dans la population pédiatrique.

Par ailleurs, à l’heure actuelle, il n’existe pas non plus de recommandations émanant d’instances reconnues telles que le SPF Santé ou le CBIP, pour le traitement de l’insomnie chez les enfants et les adolescents. Il est néanmoins possible de dégager des recommandations qui se basent sur le classement des options thérapeutiques en fonction de la qualité des études à disposition. De cela, il ressort qu’en 1ère intention, à l’instar de ce qui se fait chez l’adulte, ce sont les thérapies cognitivo-comportementales (TCC) qui devraient être privilégiées (3). Ensuite, en cas d’échec de cette thérapie, il conviendrait de débuter avec les molécules présentant le meilleur profil de sécurité. Il existe des preuves sur l’efficacité et la sécurité de la mélatonine pour le traitement du symptôme du retard de phase du rythme veille-sommeil dans la population pédiatrique (4). Elle ne dispose cependant de l’AMM que pour les plus de 55 ans. Certaines molécules de phytothérapie semblent pouvoir constituer des pistes thérapeutiques, mais actuellement elles n’ont pas pu être étudiées de façon suffisamment robuste en ce qui concerne leur efficacité, leur tolérance et leur sécurité auprès de la population pédiatrique (5,6) et elles ne disposent pas non plus d’une AMM.

Nous manquons à ce jour d’informations sur les facteurs objectifs et subjectifs qui influencent les choix du traitement de l’insomnie chez les adolescents dans les soins psychiatriques. Pour combler cette lacune, nous avons cherché à explorer les pratiques et les facteurs auto-déclarés influençant les décisions thérapeutiques – pharmacologiques et non pharmacologiques – des psychiatres infanto-juvéniles dans leur pratique ambulatoire.

Partant du constat du manque d’études et de recommandations pour le traitement de l’insomnie pour le public visé, nous formulons l’hypothèse qu’il doit exister peu d’harmonie dans les pratiques et que les choix thérapeutiques sont donc variables d’un praticien à l’autre.

Méthodes

Méthode de recueil de données et analyse de recrutement

Cette recherche est basée sur une approche qualitative de type exploratoire. La technique laisse à l’interviewé une liberté suffisante pour développer son point de vue et l’ensemble des précisions qui lui paraissent importantes. L’approche se distingue d’une approche quantitative en ce qu’elle laisse les répondants développer les facteurs qui vont influencer tel ou tel choix thérapeutique.

Des entretiens de recherche semi-directifs ont été conduits auprès de 10 psychiatres infanto-juvéniles exerçant en français dans la Région de Bruxelles-Capitale. L’échantillon était composé de 7 femmes et 3 hommes.

En tout, 10 entretiens d’une durée allant de 30 à 50 minutes ont été menés en visioconférence, par téléphone ou en face à face. Les entretiens ont été enregistrés avec le consentement préalable des participants.

Nous avons construit un guide d’entretien composé de 6 questions ouvertes posées dans le même ordre à chaque participant. Le guide d’entretien était accompagné d’une liste de vérification reprenant une liste presque exhaustive des possibilités thérapeutiques, pharmacologiques ou non, pouvant être déployées par les praticiens auprès des adolescents présentant des symptômes d’insomnie. Pour baliser l’objet de notre étude, nous avons circonscrit la catégorie « adolescents » aux jeunes de 12 à 18 ans. Pour l’insomnie, nous avons décidé de retenir la définition du DSM-V (7).

Méthode d’analyse des données

L’objectif des entretiens était de recueillir des données qualitatives sur les pratiques des psychiatres face à l’insomnie chez l’adolescent : quelles routines de pratiques se dégagent, quels sont les facteurs qui influencent ces décisions, quelles sont les perceptions et les représentations des praticiens. Les réponses auto-déclarées n’ont pas été corroborées par des mesures quantitatives.

Les entretiens ont été retranscrits dans leur intégralité à l’aide du logiciel O Transcribe et ont fait l’objet d’un processus d’anonymisation.

Nous avons fait le choix d’une analyse de contenu thématique car cette méthode encourage une exploration riche des résultats et soutient une analyse interprétative au-delà de la simple description.

Résultats

Analyse de contenu thématique

Quatre catégories principales ont été identifiées à partir de l’analyse du corpus. Elles s’articulent autour de l’algorithme décisionnel qui émerge des réponses des participants.

 

Thème 1 : Thérapies cognitivo-comportementales (TCC)

Il ressort des entretiens que, dans l’algorithme décisionnel de la totalité des répondants, avant toute chose, il s’agit de prendre le temps d’évaluer la situation. Ensuite, en 1ère intention, on retrouve des conseils d’hygiène de vie en général et d’hygiène du sommeil en particulier : « La 1ère étape serait non pharmacologique. Elle se base clairement sur des conseils d’hygiène de vie, d’essayer de reprendre un rythme veille sommeil régulier avec des heures de coucher régulières. », « Limiter l’utilisation des écrans, tablette, ordinateur tout ça. », « Avoir une activité sportive régulière pendant la semaine. », « La question diététique arrive dans certaines situations. Quand ils me disent qu’ils ont tendance à boire du café ou du thé le soir. Les excitants le soir on essaye d’éviter. »

Lors des entretiens, il a été demandé de façon spécifique aux participants s’ils pratiquaient les TCC ou s’il leur arrivait de renvoyer leurs patients adolescents souffrant d’insomnie vers des spécialistes de cette discipline. Aux deux questions, les réponses étaient presque toutes négatives (>90%).

Certains avaient l’intuition d’intégrer des pratiques préconisées dans les TCC sans pour autant les étiqueter comme telles dans leur approche.

« [Ce que je leur propose] dans les entretiens c’est d’arriver à mentaliser et à déconstruire ce qui se passe autour de l’endormissement. Ça c’est le but de l’entretien que je fais. On ne peut pas dire que c’est de la TCC parce que je n’ai pas cette étiquette là mais j’ai le sentiment que ça s’en rapproche. »

Quant à la question de savoir pourquoi les psychiatres interrogés ne référaient jamais leurs patients à un spécialiste des TCC, 2 facteurs principaux ont été identifiés. D’abord, très prosaïquement, pour une série des répondants, cela s’explique par le fait qu’ils n’y pensent pas ou qu’ils ne connaissent pas de spécialiste des TCC pour ce type de troubles spécifiques. « En fait, le problème, c’est que quand on se dit qu’un comportementaliste ça serait intéressant, on ne connaît pas de comportementaliste. »

Ensuite, une raison plus profonde qui a été évoquée par plusieurs interviewés est que ces solutions comportementalistes pour les symptômes d’insomnie chez l’adolescent vont à l’encontre de leur vision. Ceux-ci considèrent que les insomnies des adolescents auxquels ils sont confrontés dans le circuit psychiatrique ne doivent pas être envisagées comme un symptôme isolé, à corriger, mais plutôt comme révélateur d’un problème plus large (autre trouble, trauma, contexte environnemental). « Je n’isole pas la question du sommeil en la différenciant du reste de la problématique. J’essaye d’avoir une vision plus globale et considérer que le trouble du sommeil est souvent l’expression d’une anxiété, d’une dépression ou angoisse liée plus à une psychose et donc je la prends en charge dans le reste de la prise en charge. » Dans cette perspective, le symptôme d’insomnie va pouvoir servir de porte d’entrée pour traiter le patient dans sa globalité. Dans leur ensemble, les psychiatres interrogés vont plutôt privilégier une approche psychothérapeutique basée sur la parole ou la prise en compte du système familial. Il est à noter qu’aucune des personnes interrogées n’a suivi de formation spécifique en thérapie cognitivo-comportementale.

Thème 2 : Phytothérapie

Chez 8 répondants sur 10, la phytothérapie vient en second lieu dans l’arbre décisionnel thérapeutique. Les traitements majoritairement cités sont à base d’extraits de passiflore et de valériane. Précisons que les praticiens ne passent pas systématiquement par cette étape. Face à une insomnie plus sévère, ils passeront alors souvent directement à d’autres solutions pharmacologiques, soit parce que la phytothérapie a déjà été testée de façon non concluante auprès du patient, soit parce qu’ils considèrent que la sévérité de l’affection demande une intervention médicamenteuse autre.

Chez ces 8 répondants, on retrouve la volonté de commencer graduellement dans les solutions pharmacologiques. La phytothérapie apparaît comme un choix peu risqué en termes d’impact neuro-développemental chez l’adolescent. « C’est pour éviter l’alternative médicamenteuse même si [la passiflore] est un médicament ». En effet, si la phytothérapie peut donner l’impression dans l’imaginaire d’un grand nombre de personnes d’être inoffensive, son utilisation n’est pas anodine. La littérature scientifique a montré la variété des mécanismes d’action des plantes utilisées pour le traitement de l’insomnie (8). De plus, elles possèdent des principes actifs susceptibles d’avoir des interactions avec d’autres médicaments.

Si certains répondants fondent le choix de la phytothérapie sur la lecture d’études scientifiques allant dans le sens d’une efficacité des substances, d’autres expliquent qu’ils sont plus mitigés sur les effets de la substance mais qu’ils misent plutôt sur l’effet placebo.

L’ensemble des participants qui s’orientent vers la phytothérapie privilégient l’administration sous forme de gélules, que ce soit avec des solutions en conditionnement à base d’extrait de passiflore, de valériane ou d’aubépine ou via des préparations magistrales. Plusieurs mentionnent l’influence que cela aura sur l’effet placebo d’avoir une solution qui prend la forme d’un comprimé ou d’une gélule.

Une partie des intervenants met en avant le fait que la phytothérapie sera souvent mieux acceptée par les parents de l’adolescent. « Quand on dit aux parents que c’est quelque chose de naturel c’est mieux accepté alors que c’est pas parce que c’est une plante qu’il n’y a pas d’effets secondaires. » L’acceptation de la solution pharmacologique par les parents du jeune constitue un enjeu inhérent au travail du psychiatre infanto-juvénile. L’attitude plus ou moins protectrice que les parents auront vis-à-vis de leur enfant, couplée à la perception qu’ils auront des approches médicamenteuses viendra influencer l’étendue du panel pharmacologique du psychiatre.

2 répondants sur les 8 mentionnent le coût de ces substances comme un frein potentiel à leur prescription. La préparation magistrale en pharmacie apparaît alors comme une alternative plus abordable que les substances en conditionnement.

Thème 3 : Mélatonine

On observe un usage limité de la mélatonine chez les praticiens interrogés : ces derniers la citaient principalement pour les cas spécifiques où il y a des inversions du rythme nycthéméral et où il y a une logique à remettre un rythme. « Il y a quand même cette composante que les ados dans cette phase de vie vont dormir très tard et ont naturellement un meilleur sommeil décalé par rapport aux adultes. Aller dormir à minuit-1h-2h et se lever à 10-11h, ça fait partie des changements circadiens courants, physiologiques chez les ados. […] Voilà aussi pourquoi [la mélatonine] est un bon coup de pouce ».

D’autres n’ont pas tendance à l’initier mais la prescrivent à des patients qui auraient déjà eu une expérience positive et en font la demande. Celle-ci a été citée par une majorité des répondants, mais n’est pas initiée de façon systématique en 2ème intention.

Plusieurs facteurs semblent pouvoir expliquer cette utilisation limitée de la mélatonine.

D’abord, le contexte d’une prise en charge psychiatrique : le trouble du sommeil accompagne le plus souvent un autre trouble, ce qui expliquerait que les médecins se tournent vers des substances qui, en plus d’avoir une action sur le sommeil, ont une action sur les symptômes associés.

Ensuite, la mélatonine montre son efficacité lorsqu’elle est couplée à des règles d’hygiène du sommeil. Il faut donc déjà qu’il y ait une volonté de se remettre dans un rythme : « Souvent, ceux qui sont super décalés niveau rythme, ils ne veulent rien entendre. […] et donc c’est pas vraiment la mélatonine qui va changer grand-chose ». Un autre frein mentionné par les répondants, également lié à l’hygiène du sommeil, est l’usage des écrans avant d’aller dormir. « […] il n’y en a aucun qui est tout seul dans le noir sans écran à attendre que le sommeil vienne dans les 20 minutes. Eux expliquent souvent que, comme ils n’arrivent pas à s’endormir, ils vont prendre leur écran. »

Thème 4 : Trazodone

La Trazodone apparaît en 3ème intention dans l’arbre décisionnel de la grande majorité des répondants (8 sur 10). La Trazodone appartient à la classe des antidépresseurs. Son indication est le trouble dépressif majeur. Ses propriétés sédatives en font un médicament très largement utilisé dans les situations d’insomnies (9). Il faut préciser que le dosage préconisé pour la Trazodone en cas d’insomnie est plus faible que pour son indication initiale. À l’instar de la mélatonine, la Trazodone ne bénéficie pas d’une AMM pour les moins de 18 ans en Belgique. Cela s’explique par l’absence d’essais cliniques contrôlés évaluant son efficacité, sa sécurité et les doses appropriées dans la population pédiatrique (10).

La Trazodone est considérée par beaucoup comme « le palier suivant au niveau médicament ». Ce traitement s’accompagne d’effets secondaires bien connus des personnes interrogées : « Il faut faire attention parce qu’il y a parfois des jeunes qui ont beaucoup de cauchemars avec la Trazodone », « des chutes de tension, du mal à se réveiller le matin, l’impression d’avoir une gueule de bois », « ou alors des troubles de l’attention ». Il s’agit néanmoins, pour la quasi-totalité des répondants, d’une substance considérée comme acceptable si l’intensité de l’insomnie le justifie.

Pour les besoins de la modélisation, nous avons dû exclure un certain nombre de nuances apportées par les répondants lors des entretiens. La Trazodone se présente en 3ème place dans l’arbre décisionnel majoritaire car il s’agit de la substance revenant le plus fréquemment à cette place dans les réponses apportées. Néanmoins, il faut préciser que, pour certains répondants, la Trazodone sera proposée après avoir opté pour d’autres molécules telles que la mélatonine ou des antihistaminiques sédatifs. Chez d’autres, la Trazodone est présentée comme l’une des possibilités en 3ème intention, ils opteront plutôt pour la Trazodone ou pour une autre médication en fonction d’une série de paramètres.

La Mirtazapine, un autre antidépresseur qui peut être utilisé pour ses effets sédatifs et hypnotiques est écartée de l’éventail thérapeutique des troubles d’insomnie par une majorité (>80%) des répondants. La raison principale évoquée est l’effet secondaire de prise de poids. D’autres raisons, diverses, sont évoquées : des expériences non concluantes dans le passé, « je trouve que c’est plus une molécule d’adulte », « je n’y pense pas, mais d’autres collègues l’utilisent ».

Les benzodiazépines (ou BZRAs), peuvent être utilisées comme hypnotiques dans les troubles du sommeil. Les psychiatres infanto-juvéniles de notre échantillon en prescrivent rarement voire exceptionnellement pour certains, a fortiori en ambulatoire. Pour ceux qui incluent les benzodiazépines dans la liste de leurs options thérapeutiques pour l’insomnie, c’est le Lormetazepam qui est le plus souvent cité. Certains répondants n’envisagent par contre les benzodiazépines que s’ils se trouvent face à un trouble anxieux majeur, « où l’anxiété est vraiment à l’avant plan ». « Juste comme somnifère, je ne l’ai jamais fait».

La réserve dont font preuve les psychiatres infanto-juvéniles dans la prescription de benzodiazépines s’explique par différents facteurs. Ceux les plus cités sont le risque d’accoutumance voire de dépendance et le manque de recul sur l’impact neuro-développemental que peuvent avoir ces molécules sur un cerveau encore en maturation. Un autre facteur cité par plusieurs répondants est l’effet « interrupteur » des benzodiazépines qui enlèverait au jeune la maîtrise et la prise en charge de son sommeil. « Une benzo, c’est un médicament [qui fait comme] un coup de marteau, qui t’assomme, t’étourdit, c’est le dernier recours ».

La Quétiapine a été citée par une partie des répondants dans leurs stratégies thérapeutiques. Ces derniers précisent néanmoins qu’il « faut qu’il y ait une indication pour un antipsychotique ». D’autres mentionnent l’utilisation de la Quétiapine, mais uniquement en contexte hospitalier, ce qui excède le cadre de cette étude qui se cantonne aux interventions en ambulatoire.

Pour finir, une faible proportion (<50%) de notre échantillon a mentionné les antihistaminiques avec effet sédatif, principalement l’Hydroxyzine, comme faisant partie de leur éventail thérapeutique pour son effet sédatif. L’Hydroxyzine induit des effets secondaires, particulièrement une altération du fonctionnement le lendemain de la prise de la médication.

Discussion

Retour sur notre hypothèse

Au vu du manque de recommandations officielles existantes, nous avions formulé l’hypothèse qu’il existait une divergence dans les pratiques des psychiatres infanto-juvéniles. Les résultats apportés par les entretiens montrent au contraire qu’il y a une certaine harmonie dans les pratiques. On peut globalement dessiner un schéma de 1ère, 2ème et 3ème intention identique chez la grande majorité des répondants. Il est d’ailleurs intéressant de noter que ce schéma s’écarte de ce qui est soutenu par les quelques articles concernant cette tranche d’âge, à savoir les TCC et la mélatonine.

Pour la TCC, nous avons pu voir que les psychiatres infanto-juvéniles interrogés proposaient de façon systématique certaines interventions retrouvées dans les approches TCC-I : psychoéducation sur le sommeil et mesures d’hygiène du sommeil. D’autres types d’interventions des TCC étaient proposées par certains répondants, mais de façon moins systématique, comme les techniques de relaxation, le contrôle par le stimulus ou la méditation. Certaines composantes faisant partie intégrante des TCC n’ont jamais été mentionnées par les répondants : la restriction du sommeil et la restructuration cognitive. On a d’ailleurs pu noter qu’il y avait une grande méconnaissance de ce que propose concrètement les TCC. Plusieurs intervenants évacuaient les TCC de leurs stratégies thérapeutiques alors même qu’ils intégraient dans leur pratique une série d’interventions que l’on retrouve dans les approches des TCC.

En ce qui concerne la mélatonine, pour une majorité (70%) des répondants, elle ne fait partie de leurs stratégies thérapeutiques que pour les cas où la manifestation principale est un décalage des rythmes du sommeil. Plusieurs facteurs pourraient selon nous expliquer cela. D’abord, le fait que les adolescents qui présentent des symptômes d’insomnie dans le circuit psychiatrique arrivent, dans la grande majorité des cas, avec des troubles associés. Comparée à d’autres molécules qui agissent en même temps sur l’angoisse, le stress ou l’humeur, la mélatonine agit uniquement sur le sommeil. Ensuite, parce que la prise de mélatonine doit s’insérer dans un contexte de bonne hygiène du sommeil. Or, il s’agit d’un contexte difficile à assurer auprès d’un public chez lequel on observe notamment une grande consommation de médias électroniques proche de l’heure du coucher.

De l’analyse des entretiens ressort aussi l’idée récurrente qu’on ne médique pas aux premiers rendez-vous. Tant que possible, les psychiatres infanto-juvéniles prennent le temps d’analyser le contexte autour de l’insomnie. Par ailleurs, on retrouve chez tous l’idée d’une gradation dans la médication.

Si on observe une cohérence dans les arbres décisionnels des psychiatres infanto-juvéniles interrogés en ce qui concerne leurs premières intentions, nos entretiens ont montré qu’il y avait une plus grande variation dans les choix thérapeutiques à partir de la 3ème intention.

On retrouve la Trazodone dans l’arbre décisionnel de la grande majorité des répondants. Pour certains, il constituera la seule étape médicamenteuse avant d’envisager un neuroleptique. Chez ces derniers, les benzodiazépines ne seront données que très rarement. Par ailleurs, les neuroleptiques seront prescrits dans des cas où la Trazodone n’est pas suffisante et ou l’insomnie est associée à d’autres symptômes. Chez d’autres, la Trazodone est envisagée comme une solution parmi d’autres, avec la possibilité d’opter plutôt pour la Mirtazapine ou des benzodiazépines en fonction du contexte clinique. Pour ceux-ci aussi, les neuroleptiques apparaissent en dernière intention, si le reste n’a pas fonctionné et si le tableau clinique le justifie.

Limites de l’étude

Cette étude présente certaines limites qu’il convient d’exposer.

L’échantillon se compose d’un nombre restreint de participants. Cela s’explique par les conditions assez restrictives auxquelles il fallait répondre pour être admissible à l’étude : pratiquer dans la zone géographique de Bruxelles-Capitale, avoir fait une spécialisation en psychiatrie infanto-juvénile, avoir une pratique en ambulatoire auprès d’un public adolescent. La faible taille de l’échantillon invite à la prudence dans la généralisation des résultats. Des études futures pourraient reproduire l’expérience sur un échantillon plus important pour vérifier si ces résultats se confirment.

Toutes les personnes interrogées dans le cadre de cette étude, en plus d’être issues d’un même secteur géographique, exercent dans la même langue. Cette limite, qui n’en est pas véritablement une, est inhérente à l’approche méthodologique pour laquelle nous avons opté. Elle doit néanmoins nous inviter à interpréter les résultats avec parcimonie et à ne pas les transférer à d’autres contextes.

Les résultats présentés dans cette étude sont essentiellement basés sur des données auto rapportées par les participants. Malgré les garanties qu’apporte l’anonymat, la possibilité de biais associés à ce type de données pourrait être envisagée. On pense ici principalement aux artefacts du questionnement et au biais de désirabilité sociale, ce dernier pouvant être d’autant plus fort que les sujets sont interrogés directement par une consœur (11).

Perspectives

Les résultats rapportés ici mériteraient d’être confrontés à ceux d’approches similaires opérées auprès de praticiens exerçant dans la même zone géographique mais en langue néerlandaise afin de voir si l’on observe des différences significatives entre les deux échantillons. L’intérêt d’une approche comparative serait de voir quelle est la place du facteur culturel dans les choix thérapeutiques.

Les questions soulevées dans le cadre de cette étude et l’intérêt manifesté par les répondants pour celle-ci nous apparaissent comme un signal révélateur d’un besoin de mise en perspective de ses pratiques en les confrontant aux pratiques des autres. Une grande partie des praticiens interrogés a exprimé les bienfaits amenés par l’entretien semi-directif qui a permis d’induire une démarche réflexive sur leur pratique. Sur base de ces retours, on peut dégager comme perspective l’intérêt de créer des espaces d’échange sur les pratiques. De tels espaces, dont la forme et le mode de fonctionnement resteraient à préciser, pourraient offrir des temps de réflexivité sur ses pratiques et ouvrir à d’autres approches.

Conclusion

Cette étude a permis de mieux comprendre la complexité du traitement de l’insomnie chez l’adolescent dans un contexte de carence d’études scientifiques rigoureuses sur le traitement pharmacologique de l’insomnie chez les moins de 18 ans. En analysant les pratiques ambulatoires d’un groupe de dix psychiatres infanto-juvéniles exerçant en français dans la région de Bruxelles-Capitale, on a pu mettre en avant qu’il existait une certaine harmonie dans les pratiques. En effet, les algorithmes cliniques des praticiens interrogés présentent une forme de constance dans les premières intentions. On observe cependant des divergences d’approche passées les premières intentions. Au vu des barrières éthiques qui limitent la réalisation d’essais cliniques pour l’insomnie chez les adolescents, l’échange de pratiques entre psychiatres infanto-juvéniles constitue une perspective à explorer.

Affiliations

1. Maccs, Psychiatrie Infanto-Juvénile, UCLouvain, B-1200 Bruxelles
2. Service de Psychiatrie Infanto-Juvénile, Cliniques universitaires Saint-Luc, B-1200 Bruxelles

Correspondance

Dr Sarah Quoidbach
Cliniques universitaires Saint-Luc
Service de Psychiatrie Infanto-Juvénile
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles

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