Histoire de la plus jeune des spécialités médicales : la néphrologie (4e partie)

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Yves Pirson Publié dans la revue de : Janvier 2019 Rubrique(s) : Ama Contacts
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Résumé de l'article :

Ce premier numéro de l'Ama Contacts pour l’année 2019 est consacré à la dernière partie de l’histoire de la néphrologie. Ce dossier nous a illustré de manière magistrale l’évolution d’une discipline au fil des siècles pour nous conduire dans cette dernière partie vers les évolutions récentes de cette spécialité devenue efficace au point de guérir et accompagner bien des affections dont on croyait jusqu’il y a seulement quelques dizaines d’années qu’elles seraient mortelles. Le lien étroit entre recherche et clinique est illustré une nouvelle fois et constitue un plaidoyer remarquable pour soutenir l’investissement dans celle-ci. Soulignons ici le travail minutieux, richement documenté et illustré du professeur Pirson.

Article complet :

« Qu’elle serait belle et utile à écrire l’histoire de la part du cœur dans les progrès de la science »
(Louis Pasteur) cité par Gabriel Richet dans sa préface du livre de Guy Laurent « Aventure médicale – découverte et mise au point du rein artificiel » (Ed. CHEPE, 2010)

Inventer et remplacer

En aout 2017 s’éteignait le Docteur Robin Eady, professeur de dermatologie à Londres. Avec 24 ans de dialyse et 30 ans de greffe rénale, il détenait le record de survie par traitement de suppléance rénale. L’évocation de son parcours médical récapitule autant l’état encore embryonnaire de la clinique néphrologique au début des années 1960 que le demi-siècle d’or des inventeurs des thérapeutiques de suppléance qui suivra. Leur mise en œuvre allait d’emblée susciter -nous terminerons par là- un questionnement éthique.

Robin Eady a 9 ans lorsqu’un examen scolaire révèle l’existence d’une protéinurie. Un bilan effectué à l’adolescence met en évidence une insuffisance rénale chronique dont la cause ne sera pas étiquetée. La biopsie rénale -nous commencerons par là- venait seulement d’advenir et on ne connaissait pas encore les traitements qu’on appellera néphroprotecteurs. Robin est soumis à un régime hypoprotéique sévère qui l’affaiblit. Il reçoit des hypotenseurs ganglioplégiques -les seuls disponibles à l’époque- qu’il tolère très mal. Il est contraint de renoncer à ses études de médecine. Il se sent temporairement un peu moins exténué lorsqu’on le transfuse. Ses jours sont comptés, il le sait. Tout comme ses parents, qui ont déjà perdu accidentellement un premier enfant. C’est alors que sa mère tombe, chez sa coiffeuse, sur un article du bien nommé Life Magazine relatant l’invention, aux USA, d’un « rein artificiel » qui permet à des patients comme Robin de survivre à l’insuffisance rénale. Mais c’est à Seattle, bien loin de l’Angleterre. Qu’à cela ne tienne, les Eady font monter Robin dans un avion. Son état est tellement grave que l’équipage est déjà heureux de le voir arriver vivant à destination. Le comité chargé par Belding Scribner, l’inventeur de cette technique, de sélectionner les candidats au rein artificiel lui donne le feu vert. C’est ainsi qu’il devient le 4ème patient à recevoir ce nouveau traitement. Il commence à revivre. Et c’est le miracle ! Remis sur pied, il déménage plus tard au Canada où il devient à la fois patient et technicien d’un nouveau centre de dialyse. Il rentre à Londres dès qu’un centre similaire ouvre ses portes. Il y reprend ses études de médecine et épouse une infirmière du centre. Avec son aide, il se dialyse par la suite à domicile. Ce traitement ne l’empêchera pas de visiter 15 pays en étant l’hôte de 30 centres de dialyse. En 1987, il bénéficie d’une greffe rénale. Grâce aux médicaments immunosuppresseurs récemment mis au point, (ils participent comme nous le verrons au prodigieux essor de la pharmacologie) il tolère parfaitement son greffon jusqu’à son décès à l’âge de 76 ans. Communicateur enthousiaste, il a narré son aventure dans de nombreuses réunions de néphrologie et d’associations de patients.

L’heureux avènement de la biopsie rénale

Si le clinicien des années 1950 dispose déjà d’analyses fines de la fonction rénale, il n’a en revanche qu’une idée vague, si ce n’est confuse, nous l’avons vu, de la typologie des néphropathies : en ce qui concerne notamment les glomérulopathies, il en est quasi réduit à utiliser une classification basée sur la seule clinique : glomérulonéphrite aigüe ou chronique et syndrome néphrotique (défini par une protéinurie supérieure à 3 g/24h et une hypoalbuminémie) (1).

Cette impasse nosologique trouve son issue dans la mise au point entre 1950 et 1960 de la biopsie rénale. Nous en devons la technique à un duo scandinave ainsi qu’à l’équipe de Kark à Chicago. Par une heureuse coïncidence, son avènement survient au moment où l’anatomie pathologique est bouleversée par l’introduction de deux techniques nouvelles : la microscopie électronique, qui va dévoiler la structure fine du néphron et l’immunofluorescence : fille ainée de l’immunopathologie, elle permet désormais d’identifier les dépôts d’anticorps et de fractions du complément, faisant dès lors de la biopsie rénale l’outil par excellence de l’étude pathogénique des néphropathies (1,2). A l’hôpital Necker, l’équipe de Renée Habib devient un des leaders de cette nouvelle branche de notre spécialité : la néphropathologie (2).

Notons que le mot « biopsie » (littéralement « voir le vivant ») remonte à 1895. Il nous vient du dermatologue français Ernest Besnier (1831-1909) (qui, avec Boeck et Schaumann, donnera son nom à la maladie que nous appelons maintenant la sarcoïdose) : sur base de l’examen microscopique d’échantillons de peau, il recommande de recourir à pareil examen pour « confirmer ou au contraire, invalider un diagnostic ». En 1928, parait en Italie le premier traité consacré à cette nouvelle technique : « La biopsia degli organi interni (contributo anatomo-clinico) » (3). Dix ans plus tard, Poul Iversen (1889-1966), un interniste de Copenhague, publie un article fondateur dans lequel il décrit une technique de biopsie transcutanée du foie par aspiration à l’aiguille : il l’a pratiquée avec succès et sécurité chez 160 patients (3). Le rein, plus profond et plus vascularisé -donc plus à risque de saignement- se prête moins bien à cette procédure : les rares cliniciens désireux d’obtenir une biopsie rénale préfèrent recourir à un prélèvement chirurgical sous contrôle de la vue (3). Nils Alwall (1904-1984), l’ingénieux suédois qui conçoit, nous le verrons, un des premiers reins artificiels ainsi qu’un des premiers shunts artério-veineux, se risque, en 1944, à appliquer au rein la technique de P. Iversen. Mais échaudé par le décès d’un de ses patients, il va y renoncer rapidement et définitivement. C’est P. Iversen lui-même, avec son collègue Claus Brun (1914-2014) (un des pionniers de notre spécialité) qui montrera, en 1951, dans un article désormais historique, le succès et l’absence de complication, chez 6 patients, de la ponction-biopsie du rein à l’aide de l’aiguille qu’ils utilisent pour le foie (fig 1A) (3).

Le duo étend rapidement son expérience à une série de plus de 100 patients. Leur procédé ne permet toutefois de ramener un échantillon de tissu rénal que dans un cas sur deux. Parmi les nombreux praticiens qui leur rendent visite afin de se lancer sur leurs traces, Robert Kark (1910-2002) va améliorer la technique sur plusieurs points : le rein est repéré par une fine aiguille qui se mobilise avec la respiration, l’aiguille à biopsie tranche le fragment de tissu rénal plutôt que de l’aspirer et enfin le patient n’est plus assis mais en décubitus ventral, sur un boudin abdominal (fig 1B). Le succès est au rendez-vous avec 48 biopsies réussies sur 50 (3). La technique de Chicago se répand à travers le monde. Robert Kark convainc de l’utilité clinique de la biopsie rénale : dans ses mains, elle amène, écrit-il, à modifier l’attitude thérapeutique dans plus de 50% des cas (3). De quoi tempérer quelque peu les critiques des détracteurs de la technique, encore nombreux à l’époque…

 

1961 est l’année de consécration de la biopsie rénale. Deux internistes de Padoue publient le premier atlas entièrement consacré à la biopsie rénale (la Biopsia Renale Transcutanea). Et surtout, la CIBA Foundation organise à Londres le premier grand symposium dédié à la technique : les 28 plus grands experts en pathologie rénale (cliniciens et anatomopathologistes) y sont présents, les résultats de 5120 biopsies pratiquées dans 15 centres à travers le monde sont synthétisés et des entités histologiques sont définies et classifiées : ainsi, Renée Habib et Jean Hamburger y démembrent le syndrome néphrotique dit primitif (2).

Jean Hamburger, parlons-en. Il avait pressenti l’importance de l’histologie rénale en fondant en France dès 1948 le Club de Pathologie Rénale ; il est rejoint en 1950 par la Renal Association britannique puis en 1957 par la Società Italiana di Nefrologia. En 1960, Hamburger intègrera ce club dans la Société de Néphrologie / International Society of Nephrology qu’il vient de créer. Au congrès inaugural de la Société à Genève, l’école de Necker montre comment la microscopie électronique -elle est animée par Paul Michielsen qui fondra le service de néphrologie de la Katholiek Universiteit Leuven- permet d’aller plus avant dans la connaissance intime du néphron (1). Toujours à Necker, Jean Berger et Nicole Hinglais décrivent en 1968 la glomérulonéphrite à dépôts mésangiaux d’IgA (4). En 1970, Renée Habib rapporte les résultats collectés dans une série de 600 enfants atteints de glomérulopathie : elle y établit des corrélations entre les lésions et la clinique. Grâce à des biopsies itératives, elle est en outre bientôt à même de proposer pour la première fois un schéma évolutif des maladies glomérulaires (2). Le groupe de Robert Kark n’est pas en reste avec un collectif de plus de 500 biopsies faisant l’objet de publications en rafale (3). Le premier traité en anglais entièrement dévolu à l’anatomo-pathologie rénale est écrit par Robert Heptinstall en 1966. Avec ses 7 éditions successives, le Heptinstall fait toujours autorité de nos jours.

Un demi-siècle aura donc suffi pour faire de la biopsie rénale un des outils majeurs de notre spécialité. La confrontation anatomo-clinique est devenue un moment fort de tout service académique de néphrologie. Celles de l’Hôpital Tenon, inaugurées et animées par Gabriel Richet (1916-2014) et ses collaborateurs, puis par son successeur Pierre Ronco (1951), ont acquis une notoriété qui ne se dément pas.

L’accélération de l’exploration fonctionnelle du néphron

Au mitan du XXème siècle, les physiologistes du néphron connaissaient, nous l’avons vu, les facteurs principaux de la filtration glomérulaire et ils apprenaient patiemment la fonction de réabsorption et de sécrétion de chaque segment du néphron. Durant le demi-siècle suivant, ils vont peaufiner leurs acquis grâce d’abord aux techniques de microdissection et de microperfusion et ensuite à un changement d’échelle révolutionnaire dans l’approche du fonctionnement cellulaire : la biologie moléculaire, illuminée par la génétique.

Nous allons voir comment la compréhension de l’adaptation de la filtration glomérulaire à la raréfaction néphronique a conditionné la mise en place de ce que nous appelons aujourd’hui le traitement néphroprotecteur. Puis, à l’aide de deux exemples, le diabète insipide et le syndrome de Bartter, nous mesurerons l’immense progrès que la génétique a permis d’accomplir dans l’élucidation du fonctionnement normal et pathologique de chacune des sections du dédale tubulaire.

Différents modèles animaux allant de la souris au primate permettent, dans les années 1970, de mesurer avec une grande précision le profil de la pression nette d’ultrafiltration tout au long du glomérule (5). Ces études sont effectuées par Barry Brenner (1937) à San Francisco. C’est encore lui qui résoud la question qui taraudait les physiologistes du glomérule : comment ce filtre pouvait-il être si perméable à divers solutés et si imperméable aux protéines plasmatiques, y compris l’albumine dont la taille était pourtant inférieure au diamètre des pores de la membrane de filtration ? B. Brenner découvre un déterminant insoupçonné de la filtration glomérulaire : la charge électrique. La membrane glomérulaire étant électronégative, comme l’albumine, elle lui oppose une répulsion qui explique parfaitement sa sélectivité (6). Durant la deuxième partie de sa carrière à Boston, B. Brenner introduit un autre concept majeur qui permettra de comprendre le mécanisme majeur de progression inexorable de l’insuffisance rénale chronique : l’hyperperfusion des néphrons demeurant épargnés par la maladie rénale. Il s’appuie sur une démonstration antérieure de Neal Bricker (1927-2015) de l’Université de Washington. Chez un rat amputé des 4/5 de sa masse rénale, N. Bricker avait en effet constaté que les néphrons restants s’adaptent remarquablement pour maintenir l’homéostasie : ils s’hypertrophient et augmentent leur pression de filtration ainsi que leur pouvoir de réabsorption tubulaire. Salutaire dans un premier temps, cette adaptation se paie au prix fort dans un deuxième temps, car l’hypertension intraglomérulaire ainsi que divers médiateurs qui sont activés par cet ajustement (dont les acteurs du système rénine-angiotensine intrarénal, dont il sera question plus bas), vont, à terme, entrainer des lésions de sclérose glomérulaire et de fibrose tubulo-interstitielle. La progression de l’insuffisance rénale parait inéluctable dès lors que la fonction est amputée de plus de 75%, quelle que soit la maladie rénale qui en est responsable. B. Brenner élabore ce mécanisme et en tire des propositions thérapeutiques de première importance qui seront détaillées plus loin. Durant le dernier quart de siècle, différents constituants du filtre glomérulaire seront révélés par l’identification des gènes -et donc des protéines dont ils commandent la composition- responsables des syndromes néphrotiques héréditaires ; le premier sera le gène de la néphrine, dont l’absence ou le déficit entraine le syndrome néphrotique finlandais (7) ; d’autres constituants vont suivre, complétant notre connaissance du mécano du filtre glomérulaire. L’élucidation des autres fonctions du néphron bénéficie de la même évolution des outils d’exploration. Le dévoilement des causes du diabète insipide en est une belle illustration.

Alors que les urines de la plupart des diabétiques goutent le sucré « comme du miel » (« diabetes mellitus »), celles d’une minorité d’entre eux sont insipides (« diabetes insipidus ») notait déjà Thomas Willis (1621-1675), professeur de « Philosophie naturelle » à Oxford en 1670. Le caractère familial de certains diabètes insipides est décrit deux siècles plus tard. Au début du XXème siècle, deux observations privilégiées orientent vers une origine cérébrale. La maladie s’est en effet brutalement déclenchée dans un cas chez un survivant d’un suicide par balle dans la tête et dans l’autre, à la suite de métastases cérébrales d’un cancer du sein (8). Or, les physiologistes qui s’intéressent au cerveau sont en train de découvrir qu’un organe minuscule situé à la base du crâne, l’hypophyse, est le siège de la production de plusieurs hormones, certains lui décernant déjà le titre de chef d’orchestre des organes endocrines (8). Et voici qu’en 1913 deux d’entre eux montrent qu’un extrait de la partie postérieure de l’hypophyse corrige le diabète insipide ! Comme cet extrait se révèle en outre doté d’un puissant effet vasoconstricteur, on nomme cette substance tantôt « hormone antidiurétique (ADH in English) », tantôt vasopressine, dénominations que nous avons gardées. Elle sera purifiée et commercialisée en 1927. Conclusion à l’époque : cette maladie est un désordre hypophysaire. Et c’est à nouveau quelques observations cliniques surprenantes qui rebattent les cartes. Entre 1935 et 1947, des cliniciens allemands et scandinaves constatent en effet que certains diabètes insipides, souvent de forme sévère, ne répondent pas à l’injection d’ADH-vasopressine. Postulant qu’il s’agit d’une variété d’origine rénale, ils l’appellent « diabète insipide néphrogénique », qu’ils distinguent donc de la forme hypophysaire ou « centrale ». Autre caractéristique de la forme néphrogénique familiale : une forte prépondérance masculine, faisant suspecter une transmission par le chromosome X. L’existence de l’entité est définitivement confirmée en 1992 par l’identification du gène responsable (de la plupart) des formes néphrogéniques : ce gène code pour le récepteur de l’ADH-vasopressine situé sur le versant basocellulaire du tube collecteur et il est effectivement localisé sur le chromosome X (fig 2) (9). La dernière pièce du puzzle est placée l’année suivante sur le versant luminal du tube collecteur : c’est l’aquaporine-2, un canal à eau qui est inséré sur ce versant en réponse à l’activation du récepteur de l’ADH-vasopressine. La mutation du gène qui code pour l’aquaporine-2 rend bien compte des formes néphrogéniques plus rares dont la transmission n’est pas liée à X (fig 2). Un prix Nobel de chimie récompensera deux acteurs majeurs de cette saga : Vincent du Vigneau (1901-1955) pour la synthèse de l’ADH-vasopressine et Peter Agre (1949) pour la découverte des aquaporines (on sait aujourd’hui que ces molécules forment une vaste famille, répandue dans le monde végétal et animal).

Tout aussi instructif est le feuilleton du décryptage du syndrome de Bartter. Dans sa description princeps de 1962, l’Américain Frédéric Bartter (1914-1983) rapporte le cas de deux garçons qui présentent une polyuro-polydipsie et souffrent de crampes ; ils ont une fuite urinaire massive de potassium et de chlore ainsi qu’un taux très élevé d’angiotensine dans le sérum et d’aldostérone dans l’urine. Rien d’étonnant à ce que l’endocrinologue Bartter pose un diagnostic d’hyperaldostéronisme et ordonne une surrénalectomie totale. Déconvenue de taille : dans le tissu surrénalien, point d’adénome mais bien une hyperplasie diffuse. Et le tableau clinique s’avère inchangé après l’intervention… Reste la primauté de la description : elle justifie la mention de « nouveau syndrome » dans l’intitulé de l’article et fera passer son premier signataire à la postérité (10) ! D’autres cas sont reconnus ailleurs, mais les auteurs se perdent en conjectures quant à l’étiologie. Certains pensent toucher au but après avoir décelé chez les patients atteints un taux très élevé de prostaglandine et une réponse partielle de la symptomatologie à un anti-prostaglandine, mais on s’aperçoit bien vite que, à l’instar de l’hyperaldostéronisme, l’hyperprostaglandinémie n’est qu’une anomalie secondaire. Mais secondaire à quoi ? Comme pour ajouter à la confusion, Gitelman décrit, quatre ans après Bartter, un syndrome apparenté quoiqu’un peu différent (la calciurie y est basse, alors qu’elle est normale ou élevée dans le syndrome de Bartter). D’aucuns pensent alors que les malades de Gitelman ont une forme moins sévère de la même maladie. Alors que les cliniciens tournent en rond, les physiologistes, qui maitrisent de mieux en mieux les techniques de microperfusion tubulaire, identifient dans les années 1970 un transporteur couplant la réabsorption de sodium et de chlore et l’excrétion de potassium ; ils le situent dans la partie ascendante de l’anse de Henle. Et après la découverte du furosemide, un puissant diurétique (fig 3) qui inhibe ce transporteur, les cliniciens sont frappés de constater que les patients qui en reçoivent une dose élevée (ou en abusent, parfois subrepticement) développent un tableau ressemblant furieusement à un syndrome de Bartter…

« Vous étiez enfin sur la bonne piste », leur disent les généticiens dans les années 1990. Car, en moins de 10 ans, ceux-ci peuvent savourer leur triomphe : ils ont décortiqué le transport compliqué des électrolytes dans la partie ascendante épaisse de l’anse de Henle, ils ont fait coller les quatre variétés cliniques de syndrome de Bartter à des mutations affectant les gènes de quatre des transporteurs ou canaux opérant à ce niveau (fig 4) et enfin, ils ont trouvé ailleurs, sur un segment plus distal du tubule, un autre transporteur qui explique le syndrome -désormais distinct- décrit par Gitelman. Rideau.

Le formidable essor de la pharmacologie

L’insuffisant rénal qui s’injecte de l’érythropoïétine (la fameuse EPO), l’hypertendu qui prend chaque matin un comprimé combinant un diurétique et un (voire deux) hypotenseur(s) ou le greffé qui fait renouveler sa prescription d’anti-rejet réalisent-ils qu’aucun de ces médicaments n’existait avant 1950 ? Qu’auparavant, leur médecin se serait contenté de recommander un régime alimentaire, parfois assorti d’une potion de son cru (doctement appelée « prescription magistrale ») ?

Reconnaissons qu’avant l’ère du médicament, la restriction alimentaire en protéines en vue de ralentir la progression de l’insuffisance rénale avait une base rationnelle et qu’il avait été démontré que la restriction sodée avait pour effet d’abaisser la pression artérielle. Mais c’est aux médicaments issus de la recherche que les patients traités aujourd’hui par les néphrologues doivent une bonne partie de l’amélioration de leur espérance autant que de leur qualité de vie. Un bon demi-siècle de développement de la pharmacopée aura vu advenir diurétiques, hypotenseurs et autres immunosuppresseurs qui ont vraiment changé la donne.

Le bien-fondé d’une réduction de l’apport en protéines chez l’urémique était discuté depuis la fin du XIXème siècle par plusieurs ténors que nous avons déjà croisés dans la troisième partie (11). Sur base de leur expérience clinique, L Beale puis F Volhard recommandent déjà un régime pauvre en protéines afin d’abaisser le taux d’urée et d’améliorer les symptômes associés à l’urémie. Fin des années 1950, les manipulations diététiques effectuées au laboratoire dans la néphrite expérimentale de Masugi renforcent leur conviction : les animaux recevant une alimentation contenant 40% de protéines ont une progression bien plus rapide de l’insuffisance rénale que ceux dont le régime ne comporte que 5% de protéines (11). Mais les cliniciens réalisent à quel point ce régime est difficile à suivre par leurs patients. Et les nutritionnistes attirent leur attention sur les risques de carences et de malnutrition associés à une restriction sévère en protéines. Les très influents John Peters et Donald Van Slyke sont des plus sceptiques quant à la pertinence du régime hypoprotéique… Comme bien souvent dans le mouvement pendulaire de la valeur d’une thérapeutique nouvelle, in medio stat virtus : John Merrill (1917-1984) (considéré comme le père de la néphrologie clinique américaine ; nous en reparlerons à propos des traitements de suppléance) estime qu’une restriction modérée en protéines (0,6 g prot./kg) a le mérite d’atténuer la symptomatologie tout en évitant les carences et moyennant un apport calorique suffisant. Un peu plus tard, avec l’entrée en scène des médicaments inhibant le système rénine-angiotensine (voir plus bas) la restriction protéique ne fera plus que de la figuration.

Une autre mesure diététique faisant consensus au début du XXème siècle est la restriction sodée en cas d’hypertension artérielle et/ou d’oedèmes. L’évidence est là : la soustraction du liquide extra-cellulaire qu’entraine cette restriction fait bien baisser la pression artérielle. Mais sans arriver, loin de là, à la normaliser quand l’hypertension est sévère. Or, en 1950, l’accident vasculaire cérébral et l’insuffisance cardiaque continuent à faire des ravages. L’histoire se souvient de l’AVC fatal du Président Roosevelt 2 mois après la conférence de Yalta (durant laquelle sa pression artérielle avait été mesurée à 220/120…). Les seuls médicaments susceptibles d’avoir un effet hypotenseur étaient alors quelques substances ayant un pouvoir diurétique : les dérivés mercuriels, connus depuis Paracelse, passablement toxiques, les diurétiques osmotiques et un nouveau venu, l’acétazolamide : leur effet hypotenseur s’avérait cependant modeste (12). Une nouvelle piste est défrichée entre les deux guerres avec la démonstration que la sympathectomie a un puissant effet hypotenseur. Plusieurs médicaments ganglioplégiques (réalisant en quelque sorte une sympatholyse chimique) sont testés après la deuxième guerre. Ils s’avèrent efficaces mais sont très mal supportés… Arrive alors en 1949 le premier hypotenseur agissant comme vasodilatateur artériolaire direct, l’hydralazine - le seul de cette époque qui ait traversé l’épreuve du temps.

La grande innovation sera la découverte du premier diurétique thiazide en 1957. Nouveauté pour les cliniciens : il s’avère aussi efficace qu’un régime désodé strict tout en étant bien plus acceptable ; il est en outre bien toléré et il renforce l’effet hypotenseur des vasodilatateurs. Innovation aussi quant à sa conception : c’est un des premiers médicaments issus d’une recherche pharmacologiquement ciblée. On savait qu’une variété de sulfamide, utilisée depuis le début du XXème siècle pour ses vertus antibactériennes, avait un faible pouvoir diurétique. Par modifications successives de sa formule chimique, Karl H Beyer (1914-1996) réussit à synthétiser un premier dérivé, -le chlorothiazide-, qui, combinant l’activité de l’acétazolamide et des diurétiques mercuriels, entraine une excrétion de 5 à 10% de la charge filtrée en sodium et en chlore (14). On découvrira bien plus tard que les diurétiques thiazides inhibent un transporteur Na+Cl¯ dont la mutation rend compte du syndrome de Gitelman (fig 3). La chlorthalidone et l’indapamide que nous utilisons toujours sont les héritiers du chlorothiazide (14).

A la même époque, la recherche sur les minéralocorticoïdes conduit à la mise au point d’un inhibiteur de l’aldostérone, -la spironolactone-, qui échange au niveau du tube collecteur une (faible) excrétion sodée contre du potassium (fig 3). Viendra ensuite l’amiloride qui agit directement sur le même transporteur sodique (fig 3).

Deux autres classes d’anti-hypertenseurs voient le jour au début des années 1960 : les hypotenseurs centraux avec la méthyl-dopa (toujours d’actualité) et les bloqueurs des récepteurs β de l’adrénaline avec le propranolol qui vaudra à son découvreur, James Black (1924-2010) le Prix Nobel de Médecine en 1988.

En dépit de l’élargissement de la gamme d’hypotenseurs et de l’amélioration continue de leur profil efficacité-tolérance, nombre de praticiens des années 1960 ne sont pas convaincus du bien-fondé de ce traitement… Jusqu’à ce que soit publié en 1967 le premier essai de la Veterans Administration démontrant que le traitement de l’hypertension sévère réduit drastiquement le risque de complications cardiovasculaires à 5 ans (fig 5) !

Le scepticisme n’est désormais plus de mise. L’arsenal thérapeutique va encore s’enrichir de deux nouvelles armes, parmi lesquelles le furosemide (fig 3) et les inhibiteurs du système rénine-angiotensine.

Avec le furosemide, diurétique agissant cette fois au niveau de l’anse de Henle la natriurèse est nettement plus abondante qu’avec les thiazides. Ce puissant diurétique a gardé toute sa place dans notre pratique.

Bien après l’identification de la rénine (voir plus haut) Léonard T. Skeggs (1918-2002) identifie le substrat de cette dernière, puis le décapeptide qui en résulte et enfin l’enzyme qui le convertit ensuite en octapeptide : le schéma du désormais célèbre système rénine-angiotensine est ainsi complété, son rôle majeur dans le maintien de la pression artérielle est précisé et la recherche de médicaments visant à l’inhiber est enclenchée : et voici venir, d’abord les inhibiteurs de l’enzyme de conversion, puis les antagonistes du récepteur de l’octapeptide (ou sartan). Outre leur puissant effet hypotenseur systémique, ces médicaments révèlent une propriété unique : ils abaissent la pression intraglomérulaire et ils réduisent la protéinurie, ce qui fait d’eux les meilleurs protecteurs de la fonction rénale amoindrie ou défaillante, se substituant avantageusement aux régimes hypoprotéiques !

La profonde métamorphose de la pharmacopée touche d’autres domaines dont bénéficie la néphrologie. La mise au point au début des années 1950 de la prednisone, un dérivé de la cortisone dotée d’une puissante activité anti-inflammatoire et immunodépressive, trouve une de ses premières applications en transplantation rénale (voir plus loin) ainsi que dans plusieurs pathologies auto-immunitaires affectant le rein. Puis arrivent les immunosuppresseurs proprement dits, avec comme têtes de pont, la cyclophosphamide et l’azathioprine. C’est aussi en transplantation rénale que sera utilisé le premier anticorps monoclonal, dirigé en l’occurrence contre les lymphocytes T.

La pharmacologie vient aussi au secours de deux hormones produites par le rein dont les dialysés restaient démunis : la vitamine D et l’érythropoïétine ou EPO. Premier médicament issu de la technique de l’ADN recombinant (insertion du gène d’intérêt dans un ADN bactérien) l’EPO est la molécule phare du génie génétique naissant des années 1980. Là encore, la néphrologie était aux avant-postes.

L’invention de l’hémodialyse

Trois millions de personnes vivent aujourd’hui dans le monde grâce à la dialyse (les 3/4 en hémodialyse, les autres en dialyse péritonéale). Presque banalisée dans nos pays, l’hémodialyse ne date pourtant que d’une bonne cinquantaine d’années.

C’est en 1945 que, pour la première fois, une vie est sauvée par l’hémodialyse. Une quinzaine d’années plus tard, à la faveur de multiples améliorations techniques, le traitement devient efficace, sûr et praticable au long cours.

Le principe de la dialyse repose sur les transferts d’eau et de solutés entre le sang du patient d’une part, et une solution (le « dialysat ») − de composition proche de celle du plasma normal −, d’autre part à travers une membrane semi-perméable. Chez un patient urémique, cet échange permet la soustraction d’eau, l’extraction des produits de déchet du métabolisme ainsi que l’ajustement de la concentration en électrolytes du plasma à celle du dialysat. L’hémodialyse, ou dialyse extra-corporelle, utilise une membrane artificielle, tandis que la dialyse péritonéale (traitée à la section suivante), ou dialyse intra-corporelle tire parti de la membrane péritonéale du patient.

La paternité du concept revient comme nous allons le voir à Thomas Graham. Puis viennent les inventeurs des premiers appareils qu’on appelle aussitôt des « reins artificiels » ; ils sont testés chez l’animal de laboratoire par John Abel puis prudemment essayés chez l’homme par Georg Haas dès 1924. L’après-guerre voit les premières applications cliniques de la technique, inaugurant une période qu’on pourrait appeler les 20 glorieuses de l’hémodialyse. Comme nous allons le voir, elles auront convoqué chez les protagonistes, non seulement une créativité exceptionnelle et une large ouverture à d’autres disciplines, mais aussi une ténacité et une résilience peu communes.

Les prémices du concept remontent au 18ème siècle (15). L’abbé Jean-Antoine Nollet (1700-1770), le plus brillant physicien de son temps, est le premier à rapporter la « curieuse propriété » d’une vessie de porc ou d’un parchemin végétal séparant de l’eau pure d’un côté et une solution alcoolique de l’autre : il observe que le niveau de cette dernière se met à augmenter… L’explication est fournie 80 ans plus tard par le médecin Henri Dutrochet (1776-1847) qui décrit parfaitement le phénomène observé par l’abbé. Il lui donne un nom : l’osmose (du grec osmos : force) ; il distingue deux mouvements, l’un rapide, l’exosmose qui est celui de l’eau vers la solution alcoolique et l’autre, plus lent, qui est celui des solutés en sens inverse. Il prédit que cette force doit gouverner nombre de transferts à travers les parois cellulaires. De l’autre côté de la Manche et une génération plus tard, le chimiste Thomas Graham (1805-1869), Ecossais travaillant à Londres, reproduit les expériences de Dutrochet et construit un osmomètre (fig 6).

Il considère la pression osmotique comme « la transformation d’une attraction chimique en une force mécanique ». Sa contribution la plus intéressante pour nous, datant de 1861, s’intitule « la diffusion des liquides appliquée à l’analyse » : il montre que la propriété d’une membrane semi-perméable est de laisser passer des substances de petite taille, que l’on peut purifier par cristallisation (les « cristalloïdes ») et de retenir les composés plus volumineux, non cristallisables (les « colloïdes », par analogie avec la colle) tels que l’amidon ou l’albumine. « Je propose, déclare-t-il devant la Royal Society, le terme de « dialyse » (littéralement : délier/séparer) pour nommer cette méthode ». Et voilà comment on passe à la postérité… (16).

Outre Atlantique et un demi-siècle plus tard, un physiologiste d’origine allemande, John Abel (1859-1938), a l’idée d’utiliser la méthode de T. Graham pour purifier du sang vicié, ex vivo, en recourant à une circulation extra-corporelle. Celle-ci est rendue possible par la découverte en 1884 d’une substance anticoagulante sécrétée par la sangsue (Hirudo medicinalis), l’hirudine. La membrane semi-perméable qui a alors cours est le collodion (nitrocellulose conservée dans un mélange éther-alcool) (17). Pour mener à bien son projet, J. Abel peut compter sur un physiologiste et un biochimiste qui ont en prime un vrai talent d’ingénieur : le trio fabrique en 1913 une petite merveille que les journalistes du London Times s’empressent d’appeler un « rein artificiel », quand bien même la démonstration de J. Abel a consisté à mettre en évidence la capacité de l’appareil à débarrasser le sang d’un chien d’un toxique exogène (15). Mais l’extrapolation était prophétique, on en convient. Le lecteur néphrologue ne manquera pas d’être épaté par la ressemblance du prototype d’Abel avec les dialyseurs à fibres creuses que nous utilisons aujourd’hui ! (fig. 7).

Un autre Allemand, le médecin Georg Haas (1886-1971) qui s’est formé comme J. Abel à la Mecque des techniques de perfusion qu’est alors Strasbourg, est crédité de la première application du rein artificiel d’Abel à un humain en 1924. Pour avoir accès au sang du patient, il canule l’artère radiale et la veine cubitale. La séance ne dure que 15 minutes. Chez les quelques patients suivants, les séances passent à 30 minutes mais la toxicité de l’hirudine et la difficulté de préparation et de stérilisation du collodion le font renoncer. Ces deux problèmes vont heureusement être résolus peu après.

Le plus sérieux concernait l’hirudine car elle est mal tolérée et peu stable. Des chercheurs américains travaillant sur la coagulation découvrent une autre substance, d’origine humaine, s’avérant aussi anticoagulante que l’hirudine sans avoir ses inconvénients ; comme elle est isolée initialement du foie, ils l’appellent héparine… Elle se substitue rapidement à l’hirudine. G. Haas l’utilise chez trois patients et, en allongeant les séances, il montre que la dialyse réduit clairement le taux sanguin d’urée. Mais il est rapidement la cible de critiques (que nous qualifierions aujourd’hui d’ordre éthique) notamment du chef (dans tous les sens du terme) de F. Volhard et il est contraint d’abandonner définitivement ses tentatives. L’autre progrès qui vient au secours de ses successeurs est l’invention d’une membrane semi-perméable bien plus pratique que le collodion, à savoir l’acétate de cellulose ou cellophane. Comme elle vient d’être adoptée par les industriels de l’emballage, il suffit de s’adresser à un fabriquant de saucisses pour en disposer ! Un élève de J. Abel, William Talhimer (1886-1961) met ces deux progrès à profit pour développer à Chicago un programme de dialyse expérimentale chez les chiens urémiques. Les séances peuvent maintenant durer 3 à 5 heures (18). Encore une vingtaine d’années de mise au point et l’hémodialyse va faire son entrée en clinique avec trois locomotives : Willem Kolff en Hollande, Gordon Murray à Toronto et Nils Alwall en Suède.

« Thalhimer avait recommandé l’utilisation de la cellophane et de l’héparine… J’avais les deux… Il ne me restait plus qu’à construire un dialyseur cliniquement utilisable »… Toute la modestie du géant que fut Willem Kolff (1911-2009) est dans cette phrase. Chargé, en pleine guerre, d’organiser une banque de sang dans la Hollande occupée, Kolff voit mourir de jeunes hommes d’insuffisance rénale aigüe. Innovateur né et bricoleur génial, il se lance dans la fabrication d’un rein artificiel. Il a l’idée d’enrouler un tube de cellophane de 30 mètres de long autour d’un tambour récupéré de la carcasse d’un Messerschmitt abattu. La partie inférieure est immergée dans un bain de dialyse, la rotation du cylindre étalant le film de sang sur la membrane (fig. 8).

Malgré un effet clair sur l’épuration de l’urée, les 15 premiers patients ne survivent pas… La première patiente qui doit sa vie à la dialyse est traitée en 1945 pour une insuffisance rénale aigüe sévère sur sepsis : comateuse, elle se réveille à la onzième heure de dialyse et va aller de mieux en mieux jusqu’à la reprise de diurèse alors qu’elle était sur le point de mourir lors de la connexion. Et les succès vont s’enchaîner. Désireux de disséminer sa technique, W. Kolff rapporte tous les détails de son expérience dans un livre de 200 pages qu’il publie dès 1946 et il construit promptement cinq appareils semblables qu’il offre à des centres étrangers. Un peu plus tard, un chirurgien canadien, Gordon Murray (1894-1976), (19) propose une variante de la machine de Kolff : il choisit d’accéder à la circulation du patient par un cathéter fémoral et il propulse le sang par une ingénieuse pompe-seringue. Il obtient lui aussi une épuration significative de l’urée.

Un système encore différent est construit peu après par Nils Alwall (1906-1986. Le cylindre recouvert de cellophane est devenu vertical et immobile et c’est le dialysat (qu’on remplace toutes les deux heures) qui circule autour de la membrane (fig. 9).

Autre innovation : le dialysat provient d’un réservoir surélevé, ce qui permet d’utiliser la pression hydrostatique pour obtenir, par ultrafiltration, la soustraction d’eau qui est un des objectifs du traitement chez l’insuffisant rénal en hypervolémie.

Déception pour ces pionniers : l’accueil que leurs inventions reçoivent chez leurs pairs est pour le moins mitigé. Un des seuls patrons à croire à l’avenir du rein artificiel est John Merrill à Boston : il adopte et perfectionne le système de Kolff, qui devient le rein Kolff-Brigham. Chez les autres pontes de l’époque, que ce soit en Europe ou aux USA, on condamne le traitement, jugé bien trop hasardeux. Il s’y ajoute un dédain certain pour ce qui n’est pas vraiment de la Science… (20). Mais les pionniers sont obstinés et ils sont convaincus d’être sur la bonne voie. Ils travaillent à l’amélioration de la performance et de la tolérance de la dialyse. L’idée leur vient d’augmenter la surface d’échange en aplatissant la cellophane et en faisant circuler le sang entre deux feuilles de la membrane. On réduit du même coup la résistance interne du circuit et on diminue également le volume de sang qu’il faut y introduire à la connexion. C’est l’avènement d’un nouveau modèle : le rein dit à plaques (fig 10). Plusieurs exemplaires sont mis au point de chaque côté de l’Atlantique. Le plus populaire est celui d’un urologue norvégien, Frederik Kiil (1921-2015) : il superpose quatre compartiments d’échange entre cinq plaques et utilise en outre une nouvelle membrane, encore plus perméable : la cuprophane. Plusieurs firmes pharmaceutiques perçoivent l’intérêt de fabriquer les deux types de dialyseur, les bobines de type Alwall et les plaques. Plus tard, viendront les capillaires (ou fibres creuses) qui ne sont que la version miniaturisée du prototype d’Abel (avec une surface d’échange considérablement amplifiée). Il restait encore une difficulté de taille pour envisager la dialyse au long cours : l’accès au courant sanguin car les ponctions répétées des veines périphériques à chaque séance finissaient par les rendre l’une après l’autre inutilisables… Dès 1949, Alwall avait bien pensé à placer un connecteur à demeure entre une artère et une veine mais il avait rencontré trop de complications avec les matériaux de l’époque.

En 1960, Belding Scribner (1921-2003), mène un programme de recherche sur la dialyse à Seattle. Il reprend l’idée d’Alwall en utilisant un nouveau polymère qui connait depuis peu un usage médical : le téflon. Il a l’avantage d’être chimiquement inerte et anti-adhésif. Les premiers shunts artério-veineux qu’il met en place (21) à l’avant-bras de ses trois premiers patients sont un succès : ils restent perméables entre deux séances, ce qui permet, pour la première fois, de disposer d’un accès permanent au courant sanguin (fig 11). A l’usage, ces shunts finissent cependant trop souvent par se thromboser.

Nouveau progrès six ans plus tard à New-York : James Cimino (1928-2010) et ses collaborateurs (22) décrivent la technique de mise en place de la fistule artério-veineuse (fig 12). Elle est toujours l’accès vasculaire de choix aujourd’hui. L’ingéniosité de Scribner ne s’arrête pas là : c’est encore lui qui construit en 1963 un distributeur central de liquide de dialyse alimentant quatre postes -c’est la première « unité de dialyse »- et l’année suivante, une version individuelle autorisant le traitement à domicile.

A la fin des années 1960, le rein artificiel a conquis de haute lutte sa place en médecine. Il va se répandre à travers le monde, avec, chemin faisant, des membranes encore plus performantes et des progrès continus dans les appareils de surveillance de la séance. Mais les néphrologues de découvrir aussi avec le temps des complications propres à l’hémodialyse au long cours. Bien décrites par Charles van Ypersele (1933) à Bruxelles, les plus redoutables sont l’encéphalopathie aluminique (intoxication par l’aluminium provenant de l’eau de distribution et /ou des médicaments à base d’aluminium communément prescrits aux dialysés comme chélateur du phosphore) et une maladie ostéo-articulaire inédite, l’amylose dite depuis lors du dialysé, due au dépôt dans la synoviale d’une protéine (la bêta-2-microglobuline) qui n’est pas filtrée par la membrane de dialyse. Mais au total, personne ne conteste aujourd’hui que la dialyse est un des plus beaux fleurons de l’histoire de la néphrologie !

Le développement de la dialyse péritonéale

Il faut attendre les années 1960 pour que la dialyse péritonéale (DP) soit proposée comme une modalité de suppléance de l’insuffisance rénale chronique (IRC) soutenant la comparaison avec l’hémodialyse (HD). La découverte de la dialysance de la membrane péritonéale et de sa capacité d’épuration remontent cependant à bien plus longtemps.

Dans la foulée des expériences de Thomas Graham, il avait en effet été établi que, parmi 15 membranes semi-perméables testées, artificielles et naturelles, le péritoine remportait la palme de l’efficacité (mais s’inclinait devant le collodion utilisé en HD sur le plan pratique) (15). E.H. Starling, que nous avons déjà croisé aux prémices de la physiologie, montre dès 1894 qu’il existe un passage bidirectionnel des molécules à travers le péritoine et que le mouvement de l’eau transite par les vaisseaux de cette membrane (23). On découvre un peu plus tard que l’urée traverse aisément le péritoine, que même les protéines peuvent la franchir et que le transfert des solutés est régi, tout simplement, par leur gradient de concentration.

C’est un Allemand, Georg Ganter (1855-1940) qui est crédité de la première utilisation de la DP chez l’homme (24). Durant son assistanat, il note qu’après avoir remplacé le transsudat pleural d’un patient urémique en anasarque par une solution physiologique, son état clinique s’améliore pour un temps. Il teste ensuite cette technique chez des animaux urémiques, en utilisant leur cavité péritonéale ; en réitérant les infusions de liquide physiologique et il apporte la démonstration que cette manœuvre abaisse le taux d’urée dans le sang. Le moment lui semble alors venu de passer à l’homme : en 1923, il instille 1,5L de solution physiologique dans la cavité péritonéale d’une patiente souffrant d’insuffisance rénale et observe bien l’effet attendu sur le taux d’urée. Malheureusement pour lui, sa carrière va être brisée par les nazis, qui ne lui pardonnent pas sa compassion pour les Juifs d’Allemagne (24).

Entre 1924 et 1960, plusieurs groupes, tant aux Etats-Unis qu’en Europe (notamment dans l’entourage de Kolff) apportent des modifications au cathéter de DP et à la composition du liquide de dialyse. Citons trois de ces contributions : Arthur Grollman (1901-1980) a l’idée de percer de petits orifices à l’extrémité distale du cathéter afin de faciliter la vidange de la cavité ; Morton H. Maxwell (1924) a le mérite de simplifier la technique (infusion de 2 litres, temps d’échange de 30 minutes, drainage par la même voie et ainsi de suite jusqu’à la normalisation des paramètres sanguins) et donc de la populariser ; enfin, l’équipe du Naval Hospital de San Francisco parvient en 1956 à maintenir une patiente en DP durant 6 mois avec le même cathéter. A l’heure où l’HD chronique va prendre son envol, un cap parait dès lors franchi pour la DP : elle est bien une alternative à l’HD, et qui plus est, est moins complexe et moins coûteuse. Ces derniers arguments seront déterminants dans le soutien institutionnel ou privé que reçoivent les cliniciens-chercheurs, pour la plupart nord-américains, qui vont, au cours des années 1970, donner à la DP son statut actuel de thérapie de suppléance de l’IRC à part entière. Les principaux acteurs de ces progrès ont pour nom Fred Boen, Henry Tenkhoff, Norman Lasker, le duo Jack Moncrief – Robert Popovich et Dimitrios Oreopoulos.

Indonésien d’origine, Fred ST Boen (1927-2017) fait sa thèse à Amsterdam sur les facteurs déterminant l’efficacité de la DP. Belding Scribner l’invite à poursuivre ses recherches auprès de lui à Seattle. Il y développe en 1964 un remarquable système de DP automatisée, destiné au domicile (fig 13).

L’encombrement du réservoir de 40L et surtout la fréquence des péritonites (qui lui fait opter pour l’enlèvement du cathéter après chaque séance hebdomadaire de 24h) freinent pourtant son succès. Ces deux difficultés sont brillamment surmontées par son collègue à l’Université de Washington Henry Tenkhoff (1930-2017) (25). Tenkhoff ne s’encombre plus du réservoir : il utilise l’eau courante qui, après purification dans un système d’osmose inverse, est mélangée à un concentrat. Il améliore en outre l’automatisation des échanges. Enfin et peut être surtout, s’inspirant du shunt artério-veineux mis au point dans son groupe et perfectionné à Vancouver, il a recours à un cathéter à demeure, en silicone. Il en teste méticuleusement la longueur idéale (en particulier le segment sous-cutané) ainsi que la forme (droite ou en queue de cochon) et il l’équipe astucieusement de deux manchons en dacron qui en assurent l’arrimage cutané et l’étanchéité. Résultat : « A bacteriologically safe peritoneal access device » qu’il publie en 1968. Il fait aussi breveter un trocard d’insertion. Généreux , il en fait reverser les dividendes à la recherche en DP. Son cathéter (fig 14) reste aujourd’hui la référence en la matière (25).

Norman Lasker (1927-2011) va, avec l’aide d’un mécène privé, perfectionner le système de DP tout en le simplifiant (automatisation plus grande des échanges et utilisation de sacs plastiques de dialysat de 2L). Son « cycleur », décrit en 1970, facilite grandement la réalisation de la DP au domicile. Jack Moncrief (1937) met lui aussi sur pied un programme de DP au Texas. Avec la collaboration d’un ingénieur, Robert Popovich (1939-2012), il étudie méthodiquement la cinétique des échanges de longue durée. Leurs recherches les amènent à proposer un schéma de 5 échanges quotidiens en continu (le liquide restant dans l’abdomen entre deux changements de poche) qui assurent une épuration et une soustraction d’eau optimales : leur méthode est publiée sous le nom désormais consacré de Dialyse Péritonéale Continue Ambulatoire ou DPCA.

Néphrologue grec formé en Irlande et arrivé à Toronto en 1969, Dimitrios Oreopoulos (1936-2012) y prend d’emblée en charge quelques patients en DP. Séduit par les succès engrangés par Tenkhoff et Lasker, à qui il a rendu visite, Oreopoulos devient un zélateur de la DP. Dès 1975, il traite près de 100 patients, devenant de facto le leader mondial de cette modalité thérapeutique. Comme Henry Tenkhoff, il n’aura de cesse d’en améliorer pas à pas la technique, notamment en matière de prévention de la péritonite. Ces deux pionniers illustrent parfaitement l’adage bien connu disant que c’est souvent la somme des petits détails qui fait la différence. Il lance par ailleurs la revue Human Medicine, tout un programme pour cet héritier d’Hippocrate, ardent défenseur d’une médecine holistique (26).

Après la DPCA viendra la DPA (pour Dialyse Péritonéale Automatisée) où un cycleur automatique prend complètement en charge les échanges, qui peuvent dès lors se dérouler durant la nuit (fig 15). Avec l’expérience, la DP au long cours va aussi révéler sa limite principale : la perte progressive des qualités d’épuration de la membrane, qui en réduit dès lors l’efficacité. Quoi qu’il en soit, 50 ans de progrès auront permis à la DP (sous forme de DPCA ou de DPA) d’être aujourd’hui présentée sur un pied d’égalité avec l’HD chez nos patients arrivant en IRC.

L’épopée de la transplantation rénale

Prolonger la vie d’un individu en lui greffant un organe prélevé sur un de ses semblables : ce rêve venu de la nuit des temps est devenu réalité au cours de la deuxième moitié du XXème siècle. Et c’est par le rein qu’a commencé cette extraordinaire aventure médicale. Elle s’enracine comme on va le voir dans une terre fertilisée d’abord par des naturalistes, des biologistes et des physiologistes et ensuite par des immunologistes, des chirurgiens et des cliniciens.

Tout commence avec les jardiniers de l’Antiquité qui découvrent la greffe végétale. Bien étudié par Pline le Jeune, le procédé suscite déjà l’enthousiasme de Virgile quand il décrit « les platanes porteurs de pommes et les frênes à fleurs de poiriers ». Le terme de greife, devenu greffe, vient d’ailleurs du latin graphium qui désigne le stylet avec lequel était pratiquée l’opération ; il s’applique ensuite, par extension, à l’intervention elle-même qui aboutit à la « pousse d’un fragment de plante insérée dans un autre végétal » (27). La greffe animale ne fait son entrée qu’au XVIIIème siècle. Zoologiste devenu spécialiste de l’hydre d’eau douce, le Genevois Abraham Trembley (1710-1784) est le premier à montrer que deux fragments d’hydre « mis en contact, peuvent se toucher, s’attacher et se réunir aussi facilement que le font ceux des plantes » (27). Notons que les zoologistes répétant ces expériences remarqueront très tôt que, comme dans le règne végétal, il existe des incompatibilités entre hydres de couleur différente, les amenant à distinguer des greffes « légitimes » et des greffes « illégitimes ».

Le siècle suivant voit trois avancées, certes encore modestes, sur le long chemin menant à la transplantation d’organes : la réalisation des greffes de peau, la démonstration de la survie possible d’un organe en dehors du corps et l’ébauche d’une immunologie de la greffe.

Facile à exécuter et aisée à surveiller, la greffe de peau est inaugurée chez l’homme en 1862 par le chirurgien genevois Jacques-Louis Reverdin (1842-1928) : il propose d’y recourir pour hâter la guérison de plaies atones. Comme chez l’animal, la réussite n’est toutefois au rendez-vous que si la peau provient du patient lui-même. De leur côté, les physiologistes mettent au point une pompe dotée d’un oxygénateur qui permet de perfuser et de conserver un organe ex vivo ; ils parviennent ensuite à remplacer le sang par une solution dite de Locke-Ringer, mimant la composition du sérum physiologique. Enfin, l’acceptation des autogreffes et le rejet des homogreffes (ou allogreffes, les deux mots désignant une greffe provenant d’un autre individu de la même espèce) ainsi que des hétérogreffes (ou xénogreffes, provenant d’un individu d’une autre espèce) commencent à être comprises avec les premiers pas de l’immunologie tissulaire dont il a été question plus haut (27).

De la première moitié du XXème siècle, on retiendra la mise au point des techniques chirurgicales autorisant la transplantation d’un organe vascularisé et l’échec, prévisible, des premières tentatives d’homogreffe humaine. C’est à l’école lyonnaise et à Alexis Carrel (1875-1944) en particulier que nous devons l’invention des anastomoses vasculaires. Carrel énonce les deux facteurs essentiels au succès de ce geste : la minutie des sutures et l’asepsie rigoureuse. C’est le rein qui est d’emblée l’organe préféré des expérimentateurs, et ce pour plusieurs raisons : sa dualité - le rein restant pouvant assurer le cas échéant la survie de l’animal - le calibre assez large du pédicule vasculaire et enfin le contrôle aisé de la fonction de la greffe par l’écoulement des urines. Appelé à diriger le département de chirurgie expérimentale du Rockefeller à New-York, Carrel y réussit, en 1908, chez une chienne, une auto-transplantation qui fonctionnera durant plus de 2 ans. En rapportant cette observation en 1911, il conclut que « la greffe d’un organe est devenue une réalité ». Ses travaux seront couronnés par le Prix Nobel l’année suivante.

La technique de réimplantation étant maîtrisée, on ne s’étonnera pas que de hardis chirurgiens ne résistent pas à embarquer des patients en urémie terminale dans une greffe de rein comme traitement de la dernière chance. Tant les hétérogreffes (rein de porc, puis de chèvre transplanté dès 1906 au pli du coude) que les homogreffes (la première est une greffe d’un rein de cadavre implanté à la cuisse en 1933) (fig 16) se soldent, comme les greffes de peau, par un échec. Carrel avait pourtant bien mis en garde : « Avant de passer à l’homme, les efforts de recherche doivent se porter sur les méthodes biologiques qui empêcheront les réactions de l’organisme vis-à-vis du tissu étranger » (27)…

Les tentatives reprennent après 1945, avec deux pôles d’activité, Paris et Boston et une décennie décisive, 1950-1960. La technique de réimplantation s’affine et surtout, on assiste à la réussite des premières greffes rénales entre jumeaux univitellins, et puis - et c’est un tournant majeur - des premières greffes entre non-jumeaux.

A Paris, durant le mois de janvier 1951, trois équipes, impliquées depuis plusieurs années dans la greffe expérimentale, tentent chacune une homogreffe de rein de donneur décédé chez l’homme. A leur tête, un brillant urologue, René Küss (1913-2006) (27). Il invente une technique de réimplantation vasculaire qui sera immédiatement - et définitivement - adoptée par tous les chirurgiens de transplantation : il place le rein greffé dans le bassin, en l’anastomosant aux vaisseaux iliaques (fig 16).

En revanche, il n’obtient pas une meilleure tolérance de la greffe que ses prédécesseurs : les neuf greffes qu’il effectue en 1951 sont rejetées. Et René Küss d’en tirer la leçon : « dans l’état actuel des connaissances, seuls les jumeaux monozygotes sont susceptibles d’être greffés avec succès ». L’échec de la greffe très médiatisée effectuée l’année d’après à Necker par l’équipe de Jean Hamburger lui donne raison : malgré une semi-identité tissulaire, la greffe rénale reçue de sa mère par Marius Renard - un jeune charpentier venant de subir l’ablation d’un rein unique éclaté lors d’une chute - sera rejetée au 21ème jour (28). Et la confirmation ultime de la prédiction de Küss arrive de Boston en 1954. Le chirurgien Joseph Murray (1919-2012) et le néphrologue John Merrill (1917-1984) réalisent en effet avec un succès total la première transplantation, cette fois-ci entre jumeaux monozygotes (leur identité génétique ayant été préalablement vérifiée par des greffes de peau croisées) (fig 17).

Le jumeau greffé reprendra une vie normale, et, pour la petite histoire, il épousera son infirmière et ils auront une fille qui deviendra elle-même infirmière de dialyse… Le duo Murray-Merrill effectuera dans la foulée six autres greffes du même type, tout aussi réussies (29). Le problème restait néanmoins entier pour l’immense majorité des candidats à la greffe n’ayant pas de jumeau : il fallait trouver le moyen de contrer l’inévitable réaction de rejet. C’est ici qu’entrent en scène les immunologistes.

Les recherches en immunologie avaient amené à distinguer deux types d’immunité : l’une véhiculée par les anticorps circulants, dès lors appelée « humorale » et l’autre, découverte plus tard, médiée par les lymphocytes, dès lors appelée « cellulaire ». En 1954, l’école du Royaume Uni, sous la direction de Peter Medawar (1915-1987) établit le rôle majeur de l’immunité cellulaire dans la réaction de rejet en montrant que chez la souris les lymphocytes sont capables de transférer spécifiquement à un autre animal la réaction immunitaire suscitée par une greffe de peau ou d’un autre tissu, ce que P. Medawar appellera le « transfert adoptif », démonstration dont l’importance lui vaudra le Nobel en 1960. Restait à identifier la cible antigénique reconnue par les lymphocytes de l’homme. Ce sera l’œuvre de Jean Dausset (1916-2009), un hématologue-chercheur que Jean Hamburger a convaincu de s’intéresser à l’immunologie de transplantation : il découvre dans les années 50 le complexe majeur d’histocompatibilité gouvernant la réaction de rejet cellulaire. En collaboration avec d’autres chercheurs, dont Paul Terasaki (1920-2016) aux USA et Jon van Rood (1926-2017) à Leiden, il fournira ensuite une description détaillée de ce que nous appelons aujourd’hui le système HLA (pour Human Leucocyte Antigens) auquel se réfèrent le typage leucocytaire qui définit l’histocompatibilité entre donneur et receveur ainsi que le fameux cross-match (test croisant le sérum du receveur et les cellules sanguines du donneur afin de détecter d’éventuels anticorps anti-HLA) préalable à toute greffe. Jean Dausset obtiendra lui aussi le prix Nobel en 1980. Pour tenter de réussir une allogreffe, il fallait donc arriver à paralyser la réaction lymphocytaire.

La première méthode utilisée est l’irradiation totale du receveur à haute dose : les lymphocytes sont ainsi détruits et une greffe de moelle provenant du futur donneur d’organe donne ensuite naissance à de nouvelles lignées hématopoïétiques qui reconnaitront le greffon comme propre et non comme étranger. Méthode théoriquement idéale, mais cliniquement dangereuse… Loin du succès obtenu chez la souris, les premiers patients ainsi préparés à la greffe aux USA meurent de complications hémorragiques ou infectieuses (29). A Boston comme à Paris, la décision est alors prise, d’une part de recourir à une dose plus faible de radiothérapie, et d’autre part de minimiser l’incompatibilité tissulaire en s’adressant à des jumeaux dizygotes. Sur chacun des deux sites, c’est enfin la réussite, en cette mémorable année 1959 : publié à quelques mois d’intervalle par Jean Hamburger et John Merrill (qui se sont concertés) le succès de la greffe chez leurs deux jumeaux dizygotes sera consolidé par leur longévité, puisque les receveurs survivront chacun plus de 20 ans (30, 31). A noter que le cap critique du 21ème jour, redouté par Jean Hamburger, sera bien une « crise du transplant », spontanément réversible chez le patient de Necker (fig 18) et répondant à un traitement par cortisone chez le patient de Boston. Le travail obstiné de l’équipe de Boston sera honoré par le prix Nobel de 1990,décerné à Joseph Murray.

La voie est désormais tracée. En recourant à un protocole similaire d’irradiation et en y ajoutant durant les 3 jours précédant la greffe de la cortisone ainsi qu’un nouveau médicament ayant des propriétés immunosuppressives, la 6-mercaptopurine - dont Roy Calne (1930) vient de démontrer l’efficacité en transplantation expérimentale - René Küss réussit à son tour, dès 1960, quelques greffes provenant de donneurs qui sont cette fois non apparentés (27). Un nouveau pas est donc franchi. L’utilisation systématique d’azathioprine (un dérivé de la 6-mercaptopurine) et de corticoïdes permet bientôt de se passer de la radiothérapie, décidément trop agressive et les corticoïdes à haute dose s’avèrent le plus souvent capables de juguler les crises de rejet. A la suite de ces pionniers, des programmes de greffe rénale sont lancés un peu partout dans le monde dans les années 60.

Diverses améliorations vont en rendre la réalisation encore plus aisée et plus sûre. Sur le front des immunosuppresseurs, c’est la mise au point d’un sérum anti-lymphocytaire produit par un animal qu’on a immunisé avec des lymphocytes humains, puis la découverte en 1972 d’un nouvel immunosuppresseur, la cyclosporine. S’agissant du prélèvement sur donneur décédé, c’est le nouveau concept du décès, à savoir la mort cérébrale (voir plus loin), qui permettra à Guy Alexandre (1934) d’effectuer en 1963, dans notre institution, le premier prélèvement de rein sur un donneur en coma dépassé « à cœur encore battant assurant la préservation des reins». Sur le plan logistique, c’est la création d’Eurotransplant (banque d’organes visant à attribuer à chaque receveur l’organe disponible le plus compatible) par Jon van Rood sans oublier, last but not least, la mise sur pied d’unités de dialyse, compagnons indispensables des services de transplantation rénale. Le rein n’était que le premier chapitre du grand livre de la transplantation d’organe : le foie, le pancréas, le cœur, le poumon et l’intestin allaient bientôt constituer la suite de ce passionnant récit (27).

La dialyse et la greffe, laboratoires de la bioéthique

S’il est vrai que l’éthique médicale, inhérente à l’exercice de la médecine, remonte au serment d’Hippocrate, ce qu’on appelle aujourd’hui la bioéthique en est un champ relativement récent, apparu à la fin des années 1960, lorsque les médecins sont confrontés à des questions morales inédites suscitées par des interventions nouvelles sur le vivant. Le néologisme apparait pour la première fois en 1971.

Il n’est pas exagéré de dire que l’avènement de la dialyse et de la greffe rénale a joué un rôle important dans l’émergence de la bioéthique. L’ouverture de la première unité de dialyse a d’emblée soulevé la question de la modalité de sélection des heureux élus. La même question a surgi avec la greffe rénale. Celle-ci impliquant par ailleurs la contribution d’un donneur, d’autres questions surgissent : dans quelles conditions peut-on recourir au prélèvement d’un rein chez un donneur vivant ? Et chez un donneur décédé ? Est-il admissible de rémunérer un donneur ? Des lois et recommandations ont jalonné un demi-siècle de pratique. Certaines des questions initiales font encore et toujours débat aujourd’hui. Voyons comment les pionniers ont abordé ces questions.

Nous sommes à Seattle en 1961. Belding Scribner est aux anges : le succès de la dialyse chez ses quatre premiers patients, à raison de deux séances par semaine, fait entrevoir le formidable avenir de ce nouveau traitement. Mais il ne dispose que de 3 postes de dialyse et son budget est limité. Sa préoccupation est dès lors de savoir comment il va sélectionner les candidats qui accourent à la porte de son centre. Il s’en ouvre à un collègue qui enseigne la médecine générale. Ils conviennent que l’approche strictement médicale et plutôt paternaliste qui prévalait jusque-là a fait son temps et qu’il serait plus sage et plus juste de confier la décision à un comité représentatif de la société : c’est ainsi que se constitue en 1962, un « Admissions and Policy Committee », réunissant un médecin non néphrologue, un juriste, une ménagère, un cadre, un responsable syndical, un élu et un ministre du culte (32). Après avoir exclu de recourir au tirage au sort ou à l’ordre d’arrivée, ce comité élabore les critères suivants : âge inférieur à 45 ans, absence de complications sévères, stabilité émotionnelle, coopération au traitement et rôle dans la société. C’est sur ce dernier point, ainsi que sur le caractère secret de la délibération du comité que les critiques ne tardent pas à fuser. Le Life Magazine s’en empare et choisit un titre choc, qui fera date : « Life or Death Committee » (32). B. Scribner n’est pas vraiment surpris. Il pense que son comité est pour l’heure « the best of a bad solution ». Ce qui ne l’empêche pas d’entreprendre un lobbying tous azimuts pour faire reconnaitre et rembourser la dialyse par le Medicare fédéral. Il y arrivera 10 ans plus tard avec l’aide de nombreux collègues, dont Carl Gottschalk (32). Toujours est-il que la constitution du comité de Seattle est aujourd’hui considérée par les bioéthiciens comme un acte fondateur de leur discipline. L’évolution des indications du traitement par dialyse au cours des décennies suivantes illustre assez bien les principes de base de la bioéthique: la justice distributive lorsque la ressource est limitée avec, dans le cas du comité local, le choix de critères « d’utilité » (plutôt qu’une stricte égalité) afin d’optimiser les bénéfices du traitement ; la « bienfaisance » du traitement et, son corollaire, la « non malfaisance » (le « primum non nocere » de nos pères…), principe qu’il s’agit de bien garder à l’esprit depuis que la dialyse s’est étendue à des patients soit très âgés soit nouveaux-nés ou encore des patients atteints de comorbidité grave chez lesquels l’instauration de la dialyse risque de ruiner la qualité de vie (33) ; enfin, le respect de l’autonomie du patient, entendu ici comme la prise en compte des valeurs et des préférences du patient dans son contexte de vie. Avec l’aide de son équipe soignante, le néphrologue a aussi appris comment, dans des cas indécis, proposer un traitement à l’essai, comment arrêter le traitement en fin de vie, comment gérer les conflits avec les patients difficiles etc. Enfin, en co-responsable des deniers publics, il n’oublie pas que les traitements de suppléance rénale engendrent un cout élevé pour la société au profit d’une minorité d’entre eux.

S’agissant de la greffe rénale, transportons-nous maintenant sur la côte est des USA, à Boston, le 22 décembre 1954. Joseph Murray ne trouve pas le sommeil : le lendemain, il a décidé de greffer avec son équipe les Herrick, jumeaux identiques : opportunité unique pour une situation unique… Il n’est pas question d’avoir le moindre pépin. Surtout chez le donneur (34). Et par-dessus le marché, le secret de l’intervention a été éventé. La radio en parle. La presse sera là… Tout se déroulera au mieux comme nous l’avons vu. Comme ses quelques prédécesseurs et ses nombreux successeurs, Murray a bien conscience que, pour la première fois dans l’histoire de la médecine, un chirurgien opère une personne pour le bénéfice exclusif d’une autre. Avant de se lancer dans l’aventure, il a lui aussi pris conseil auprès de collègues d’autres hôpitaux, de religieux, de juristes et d’hommes publics. Un comité d’éthique avant la lettre au fond… Par la suite, la transplantation par rein de donneur vivant sera codifiée et des conférences de consensus organisées par le comité d’éthique de la Société Internationale de Transplantation serviront de référence aux équipes à travers le monde. Deux grands principes seront affirmés : ne pas nuire à la santé du donneur et exiger la gratuité de ce qui est d’ailleurs appelé un don… Ce qu’avait rappelé l’OMS en 1991 en écrivant que « le corps humain et ses parties ne peuvent être l’objet de transactions commerciales ». Et pourtant, le trafic d’organes se développera dans plusieurs pays (35). Parfois sans le moindre encadrement, comme en Inde ou au Pakistan, avec, à la clé, une exploitation prévisible des plus démunis. Mais parfois aussi avec la caution des autorités publiques : ainsi, en Iran, depuis 1988, une association contrôlée par l’état recrute des donneurs anonymes, organise leur bilan et distribue les reins dans les centres de transplantation. Les donneurs perçoivent une rétribution et bénéficient d’une assurance-santé à vie. Une politique qui, selon les tutelles de ces programmes, a fait disparaître et le trafic et les listes d’attente. Surfant sur le même pragmatisme, plusieurs autorités américaines plaident actuellement pour la mise en place d’une « juste compensation financière » du don de rein qui, selon leur projection, devrait, par l’afflux attendu de donneurs, sauver de nombreuses vies et, en sortant les patients de dialyse, générer de substantielles économies dans le budget de la santé (36). C’est faire bien peu de cas, rétorquent les éthiciens, de la pression qu’exercerait un tel système sur les citoyens les plus pauvres et les plus endettés, allant dès lors à l’encontre du principe de justice (37). Le débat n’est pas clos…

Concernant le prélèvement de rein chez un donneur décédé, il fallait bien entendu, avoir toutes les garanties quant à la réalité du décès tout en raccourcissant au maximum le temps d’ischémie (depuis l’arrêt du cœur jusqu’à la réimplantation du rein chez le receveur) de manière à préserver la fonction de l’organe. Deux progrès arrivent à point nommé pour les transplanteurs : la perfusion rapide du rein par un liquide de conservation à 4°, qui permet de prolonger le temps d’ischémie ; et surtout la possibilité nouvelle de faire le prélèvement chez un donneur en état de coma dépassé chez lequel la circulation est entretenue artificiellement (assistance respiratoire et circulatoire etc…). Cet état de coma dépassé, décrit par des neurophysiologistes français en 1959, va conduire à une redéfinition de la mort : elle peut désormais être prononcée lorsque l’activité cérébrale est complètement et définitivement disparue (deux EEG plats à 4h d’intervalle) alors même que l’activité cardiaque est encore préservée pour un temps. C’est une petite révolution… Elle mettra un certain temps, on peut le comprendre, à se traduire dans les législations nationales. Comme on l’a vu, les pionniers de la transplantation n’ont pas attendu le législateur pour appliquer le concept de la mort cérébrale. Rétrospectivement, il est réconfortant de voir que, bien avant la création des comités d’éthique, les autorités ont accordé leur confiance aux équipes neurochirurgicales responsables. La reconnaissance de l’état de mort cérébrale ouvre ensuite la voie à la greffe des autres organes, tels le cœur. Encore faut-il ensuite disposer des organes en suffisance. Ce qui suppose un consentement du donneur ou de sa famille. Ici aussi, on assiste à une heureuse évolution des esprits, soutenue explicitement par le législateur dans des pays comme la Belgique et le France, pays dans lesquels il y a plus de 40 ans est promulguée une loi sur le prélèvement qui repose sur trois grands principes : le consentement présumé, l’anonymat et la gratuité. Le plus emblématique est le premier. Souvent traduit par le « qui ne dit mot consent », il présume que tout un chacun est, sauf s’il s’y est explicitement opposé de son vivant, un donneur d’organes potentiel. Augurer de la générosité de chacun de nous, parier sur la solidarité : n’est-ce pas, avec cette loi et avec le don du vivant, un des plus beaux messages que nous lègue l’histoire de la néphrologie ?

REMERCIEMENTS

A Mmes Cathy Nackom et Chantal Fagot pour la mise en page du manuscrit

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