Hémostase – Thrombose 2017 : une année fertile en nouveautés

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Cédric Hermans, Catherine Lambert Publié dans la revue de : Février 2018 Rubrique(s) : Hémostase – Thrombose
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Résumé de l'article :

L’année 2017 a été particulièrement riche en développements dans le domaine des troubles de la coagulation, qu’ils soient thrombotiques ou hémorragiques. Plusieurs études ont démontré le rôle des anticoagulants oraux directs (AODs) administrés à dose réduite dans la prévention secondaire de la maladie thrombo-embolique veineuse. Ces mêmes AODs pourront probablement se substituer aux héparines de bas poids moléculaire (HBPMs) chez les patients cancéreux avec antécédents thrombo-emboliques veineux. Un antidote spécifique est disponible pour le dabigatran (idarucizumab). Dans l’attente de la validation d’antidotes spécifiques pour les anticoagulants ciblant le facteur Xa, les concentrés du complexe prothrombinique (PCCs) ont démontré leur efficacité, même à dose réduite, chez les patients devant bénéficier d’une réversibilité rapide de leur anticoagulation induite par un agent anti-Xa. Dans le domaine de l’hémophilie, le développement d’un anticorps bispécifique mimant l’action du FVIII (émicizumab) et les premiers succès de la thérapie génique de l’hémophilie A laissent entrevoir une réelle révolution dans la prise en charge de cette maladie rare.

Mots-clés

Nouveaux anticoagulants oraux, antidotes, cancer, hémophilie, thérapie génique

Article complet :

Prévention secondaire de la maladie thrombo-embolique veineuse par les anticoagulants oraux directs

La prise en charge de la maladie thromboembolique veineuse (MTEV), à savoir les thromboses veineuses profondes des membres inférieurs (TVP) et les embolies pulmonaires (EP), ne cesse d’évoluer et de s’améliorer. Les anticoagulants oraux directs (AODs) ont fondamentalement simplifié le traitement de la phase aiguë de la MTEV. Plusieurs AODs peuvent en effet être d’emblée utilisés sans traitement parentéral préalable (habituellement une héparine de bas poids moléculaire (HBPM)).

Il est bien établi que le taux de récidives d’accidents thromboemboliques à l’arrêt du traitement anticoagulant est faible pour les TVP et/ou EP associées à des facteurs de risque transitoires, réversibles ou circonstantiels tels qu’une chirurgie ou un traumatisme majeur. Une durée d’anticoagulation de généralement trois à 6 mois mois est donc suffisante dans ces événements thromboemboliques clairement provoqués. Les TVPs ou EPs survenant en cas de cancer actif, de syndrome des anticorps antiphospholipides ou en cas de thrombophilie sévère (déficit en antithrombine, thrombophilie mixte) sont associées à un risque élevé de récidive. Elles justifient une anticoagulation prolongée ou au long cours avec une réévaluation régulière des risques et des bénéfices.

Il persiste une incertitude concernant l’attitude à recommander après un premier événement de TVP ou EP idiopathique, c’est-à-dire un événement thromboembolique veineux survenant sans facteur de risque favorisant identifié. Récemment, les consensus de l’European Society of Cardiology (ESC) (1) et celui de l’American College of Chest Physicians (ACCP) (2) ont proposé une anticoagulation thérapeutique au long cours chez les patients avec TVP et/ou EP idiopathiques, à condition que le risque hémorragique du patient soit faible. Près de 50 % de l’ensemble des événements thromboemboliques veineux étant idiopathiques, le suivi strict de ces recommandations aboutirait à une anticoagulation au long cours chez un nombre important de patients. La prévention au long cours de la MTEV est donc un problème d’actualité et les AODs ont récemment été testés dans cette indication.

Dans l’étude AMPLIFY EXTENSION, les patients avec un premier épisode thrombotique qui avaient bénéficié d’une anticoagulation thérapeutique initiale de 6 à 12 mois, ont été randomisés pour recevoir de l’apixaban à dose thérapeutique (2 × 5 mg/jour), de l’apixaban à dose prophylactique (2 × 2,5 mg/jour) ou un placebo (3). Cette étude a démontré que la dose prophylactique d’apixaban était associée à une efficacité similaire à celle de la dose thérapeutique, avec un risque hémorragique moindre. Ceci suggère qu’une anticoagulation à dose prophylactique est probablement suffisante pour la prévention de la MTEV au long cours après un premier épisode de MTEV.

C’est dans ce contexte que s’inscrit l’étude EINSTEIN CHOICE qui a été publiée dans le New England Journal of Medicine fin 2017 (4). L’étude a inclus 3 365 patients qui avaient été traités par anticoagulant (AVK, dabigatran, rivaroxaban, apixaban ou édoxaban) pendant 6 à 12 mois pour une TVP ou une EP (Figure 1). Ces patients avaient en moyenne 59 ans et 55% étaient des hommes. La question du relais ou non par un traitement préventif se posait pour tous ces patients qui ont été randomisés en 3 groupes de traitement: 1) une dose thérapeutique de rivaroxaban (20 mg/jour) ; 2) une dose prophylactique de rivaroxaban (10 mg/jour) ou 3) de l’aspirine (100 mg/jour). L’étude visait à démontrer la supériorité des doses de 20 mg ou 10 mg de rivaroxaban par rapport à l’aspirine.

Après un suivi moyen de 351 jours, une récidive thromboembolique fatale ou non (critère de jugement primaire) a été constatée chez 1,5 % des patients du bras rivaroxaban 20 mg, 1,2 % du bras rivaroxaban 10 mg et 4,4 % du bras aspirine (Figure 2). La supériorité du rivaroxaban par rapport à l’aspirine était ainsi démontrée. Le critère composite secondaire de l’étude, qui comportait les récidives de MTEV, les infarctus du myocarde, les accidents vasculaires cérébraux ischémiques et embolies artérielles était également significativement réduit: 1,7 % (20 mg), 1,8 % (10 mg) versus 5 % (aspirine). L’incidence des saignements majeurs a été sensiblement identique dans les trois groupes (respectivement 0,5 % (20 mg), 0,4 % (10 mg) et 0,3 % (aspirine)).

Même si cette étude est très prometteuse, des limites importantes doivent être soulignées. Premièrement, le nombre total d’événements thrombotiques (80) était limité. Cela est probablement dû à la proportion substantielle (60%) dans l’étude de patients atteints de MTEV provoquée par un facteur de risque transitoire. Ce groupe est connu pour présenter un faible risque de récidive sans traitement anticoagulant et leur inclusion dans l’étude est donc controversée. De plus, la durée du traitement était limitée à un an. Pour les patients confrontés au choix d’une anticoagulation prolongée cela peut signifier des décennies de traitement, un scénario que l’étude n’a pas envisagé. Enfin, l’étude n’a pas été réalisée pour déterminer si la posologie de 10 mg de rivaroxaban n’est pas inférieure à la dose de 20 mg en termes d’efficacité.

Dans l’ensemble, les résultats de l’étude EINSTEIN CHOICE montrent qu’une anticoagulation par rivaroxaban à faible dose est supérieure à l’aspirine, et qu’elle n’entraîne pas plus de risque hémorragique. Le message clé de cette étude est donc que les patients qui souhaitent poursuivre un traitement antithrombotique pour se protéger d’une récidive de MTEV auront peu de en passant à l’aspirine. Cependant, cette étude ne confirme pas que le rivaroxaban 10 mg une fois par jour est suffisant pour les patients présentant un risque élevé de récidive de MTEV. Pratiquement, il serait prématuré de recommander une dose réduite de rivaroxaban à tous les patients nécessitant une anticoagulation prolongée.

Anticoagulants oraux directs et cancer : l’étude HOKUSAI CANCER-VTE

La survenue d’une maladie thrombo-embolique veineuse est une complication fréquente chez les patients présentant un cancer. De même la récidive d’accidents thrombotiques ainsi que les complications hémorragiques sont fréquentes chez le patient oncologique. Les HBPMs représentent actuellement le traitement de choix tant pour la prévention que le traitement de la MTEV associée au cancer. Les AODs apparaissent très prometteurs et permettraient d’éviter les injections sous-cutanées quotidiennes. Peu d’études de large ampleur ont toutefois évalué l’efficacité et la sécurité des OADs directs chez les patients cancéreux.

Les résultats de l’étude Hokusai-VTE CANCER ont été récemment dévoilés (5). Cette étude a visé à évaluer l’efficacité et l’innocuité de l’édoxaban, un anticoagulant oral inhibant le FXa pris une fois par jour par rapport à une HBPM, la daltéparine, dans le traitement de la MTEV associée au cancer (5). L’étude avait pour objectif d’évaluer l’édoxaban en le comparant à la daltéparine dans la prévention d’un critère combinant la récidive de TEV et les saignements majeurs chez les patients atteints de TEV associée au cancer. Ce critère combiné est justifié par le fait que le risque de récidive de MTEV et de saignement est plus élevé chez les patients atteints d’un cancer. Ces deux complications peuvent en outre retarder le traitement du cancer et nécessiter une hospitalisation. Les autres objectifs comprenaient l’évaluation des effets du traitement sur les récidives de TEV, les saignements cliniquement significatifs et la survie sans événement, définie comme la proportion de sujets sans récidive de TEV, sans saignement majeur et toujours en vie. L’étude a porté sur 1050 patients sur une période de 12 mois. Les patients ont été répartis au hasard pour recevoir l’édoxaban à une dose de 60 mg une fois par jour (réduite à 30 mg chez les patients présentant une clairance de la créatinine [Clcr] de 30 à 50 mL/min ou un poids corporel ≤ 60 kg ou utilisant en concomitance des inhibiteurs de la glycoprotéine P [P-gp]), à la suite d’un traitement par HBPM pendant au moins cinq jours, ou la daltéparine à une dose de 200 UI/kg administrée par voie sous-cutanée une fois par jour pendant 30 jours, puis à la dose de 150 UI/kg une fois par jour pendant le reste de l’étude.

L’étude Hokusai-VTE CANCER a atteint le critère principal de non-infériorité de l’édoxaban (combinant la première récidive de TEV et les saignements majeurs selon la définition de l’ISTH) au cours de la période d’étude de 12 mois (Figure 3). Au total, ce critère a été observé chez 67 patients sur 522 (12,8 %) dans le groupe édoxaban et 71 patients sur 524 (13,5 %) dans le groupe daltéparine (rapport des risques instantanés pour l’édoxaban, 0,97; IC à 95 % : de 0,70 à 1,36; p = 0,006 pour la non-infériorité), avec une différence de risque (édoxaban moins daltéparine) de -0,7 % (IC à 95 %: de -4,8 à 3,4). La différence de risque pour la récidive de TEV était de -3,4 % (IC à 95 % : de -7,0 à 0,2), alors que la différence de risque correspondante pour les saignements majeurs était de 2,9 % (IC à 95 % : de 0,1 à 5,6). La fréquence des saignements majeurs sévères (catégories 3 et 4) était comparable au cours du traitement par l’édoxaban ou la daltéparine (12 patients dans chaque groupe). Aucun saignement mortel n’a été observé dans le groupe édoxaban, alors que deux saignements mortels sont survenus dans le groupe daltéparine. Les saignements observés parmi les patients sous édoxaban concernaient surtout des patients avec cancer digestif. L’étude a également rencontré le critère d’évaluation secondaire, soit la survie sans événement (sans récidive de TEV, saignement majeur ou décès) à 12 mois avec des taux similaires associés à l’édoxaban ou à la daltéparine (55,0 % et 56,5 %, respectivement).

Cette étude nous apporte plusieurs enseignements. L’édoxaban n’est pas inférieur à une HBPM si l’on tient compte d’un critère combinant à la fois des accidents thrombotiques et des complications hémorragiques majeures. L’édoxaban entraîne davantage de complications hémorragiques majeures, principalement au niveau du tube digestif supérieur et surtout chez les patients avec cancer digestif. La sévérité des hémorragies majeures est toutefois moindre chez les patients traités par édoxaban. Aucun des patients du groupe édoxaban n’est décédé de complications hémorragiques alors qu’ils étaient 2 dans le groupe daltéparine. Dans cette étude, aucun patient n’est décédé d’une embolie pulmonaire ce qui confirme les bénéfices majeurs d’une anticoagulation bien conduite chez les patients cancéreux avec MTEV.

Les antidotes des anticoagulants oraux : état des lieux

Les AODs comprennent le dabigatran, qui inhibe la thrombine, et l’apixaban, l’édoxaban et le rivaroxaban, qui inhibent le facteur de coagulation Xa. Bien que les études cliniques sur les AODs aient été menées sans antidotes spécifiques, les résultats des patients traités par AODs présentant un saignement majeur n’étaient pas plus graves que ceux des patients traités avec un antagoniste de la vitamine K.

Néanmoins, chez les patients présentant un saignement menaçant le pronostic vital ou nécessitant une intervention chirurgicale urgente, la capacité de réversibilité rapide d’un OAD est susceptible d’augmenter la sécurité du patient. Trois agents de réversibilité des OADs sont à différents stades de développement: l’idarucizumab, un agent neutralisant spécifique pour le dabigatran; l’andexanet alfa, qui réverse les inhibiteurs du facteur Xa; et le ciraparantag, censé assurer la réversibilité de tous lesOADs.

L’idarucizumab est validé et enregistré dans de nombreux pays, les organismes de réglementation examinent l’andexanet alpha et le ciraparantag est en cours d’évaluation (étude de phase III). En l’absence d’agents de reversion autorisés pour les inhibiteurs oraux du facteur Xa, les concentrés de complexe prothrombinique ou PCCs sont souvent utilisés chez ces patients qui présentent un saignement potentiellement mortel ou pour neutraliser l’effet anticoagulant en cas de geste invasif urgent (6) .

L’idarucizumab (Praxbind®) (7) est un agent de réversion spécifique du dabigatran. Il s’agit d’un fragment d’anticorps monoclonal humanisé (Fab). Il se lie au dabigatran avec une très forte affinité, approximativement 300 fois plus puissante que l’affinité du dabigatran pour la thrombine (Figure 4). Le complexe idarucizumab-dabigatran se caractérise par une vitesse de constitution rapide et une vitesse de dégradation extrêmement lente, aboutissant à un complexe très stable.

L’idarucizumab est disponible dans quasi toutes les institutions hospitalières belges suite à l’étude pivot qui a conduit à son enregistrement et qui décrivait des résultats partiels de l’étude RE-VERSE AD publiée en 2015 (7). Les résultats complets de cette étude ont été publiés en 2017 (8).

L’étude RE-VERSE AD a étudié l’efficacité de l’idarucizumab à la dose de 5 g sous la forme de deux injections intraveineuses de 2,5 g administrées à 15 minutes d’intervalle chez 301 patients avec une hémorragie non contrôlée (groupe A) et chez 202 patients avant une intervention chirurgicale urgente (groupe B). Les patients inclus avaient un âge moyen de 78 ans, étaient anticoagulés pour une fibrillation auriculaire dans 95 % des cas et avaient une insuffisance rénale avec une clairance à la créatinine inférieure à 50 ml/min pour 43,3 % d’entre eux. En se basant sur les temps de coagulation, le dabigatran a été neutralisé dans 98 % des cas en quelques minutes et l’hémostase des patients du groupe B a été assurée dans 93,4 % des cas. Le taux d’événements thromboemboliques à 90 jours était de 6,3 % dans le groupe A et de 7,4 % dans le groupe B, avec une mortalité de 19 % dans les deux groupes, probablement en relation avec les comorbidités des patients et une prévalence importante d’hémorragies cérébrales et de traumatismes sévères.

Ces données sur l’efficacité de l’antidote du dabigatran sont corroborées par plusieurs descriptions de cas où l’idarucizumab a été utilisé avec succès chez des patients sous dabigatran se présentant avec un AVC ischémique. Ces derniers ont bénéficié avec succès d’une neutralisation rapide du dabigatran par le Praxbind®, permettant une thrombolyse et/ou une thrombectomie qui n’aurait pas été envisageable sans neutralisation préalable rapide et efficace (9).

Pour antagoniser l’effet des inhibiteurs directs du facteur Xa et en attendant l’andexanet alpha (10) les PCCs contenant 4 facteurs de coagulation sont en général recommandés dans la gestion des hémorragies menaçant la vie. Ils ont été administrés dans 38 % (281/732) des cas d’hémorragies majeures en plus du traitement standard dans une étude observationnelle française (11).

Une autre étude prospective publiée récemment a inclus 84 patients anticoagulés par du rivaroxaban ou de l’apixaban avec une hémorragie majeure et chez lesquels des PCCs ont été administrés pour contrôler le saignement (12). Le critère de jugement principal pour évaluer l’efficacité de ce traitement était défini par ceux établis par l’ISTH concernant la prise en charge des hémorragies majeures. La plupart des patients inclus avaient une hémorragie cérébrale (70,2 %) ou une hémorragie gastro-intestinale (15,5 %). La dose de PCC administrée était définie par le poids du patient : 1500 UI pour les patients avec un poids inférieur à 65 kg, sinon 2000 UI. Une dose supplémentaire de PCC était autorisée si le médecin en charge le jugeait nécessaire (ce qui est arrivé dans 3 cas seulement). La dose médiane administrée a été finalement de 26,7 UI/kg ce qui contraste avec les données chez les volontaires sains qui suggéraient un effet optimal à la dose de 50 UI/kg. La prise en charge de l’hémorragie comprenant l’administration de PCC (en médiane 6 heures après le début du saignement) a été jugée efficace chez 58 patients (69,1 %). On note cependant la survenue de 2 AVC ischémiques dans les 10 jours après l’administration de PCC et une mortalité de 32 % à 30 jours, principalement chez des patients avec hémorragie cérébrale. Même si les auteurs concluent à une bonne efficacité des PCCs dans la plupart des cas, avec une incidence faible d’événements thromboemboliques, l’absence de randomisation est une limite certaine de cette étude. En revanche, le fait que la dose médiane de 26,7 UI/kg utilisée dans cette étude soit associée à une efficacité considérée comme adéquate dans la majorité des cas suggère que cette posologie pourrait être proposée dans certaines situations, à la place des doses plus importantes qui sont parfois utilisées.

Les nouveaux traitements de l’hémophilie

L’hémophilie est la conséquence d’un déficit de production complet (hémophilie sévère) ou partiel (hémophilie modérée ou mineure) en facteur VIII (FVIII) ou IX (FIX) de la coagulation sanguine. Le déficit en FVIII ou IX de la coagulation sanguine entraîne des hémorragies plus ou moins sévères chez les patients hémophiles. Ces hémorragies surviennent avec prédilection dans les articulations, les muscles, voire les structures internes (y compris le cerveau).

Le traitement de l’hémophilie repose sur le remplacement du FVIII ou du FIX qui fait défaut. Il s’agit d’un traitement dit de substitution. Chez les patients hémophiles sévères (FVIII ou FIX en-dessous de 1 %), les hémorragies articulaires et musculaires surviennent bien plus fréquemment que chez les patients présentant une forme modérée (FVIII ou FIX de 1-5 %). Cette observation est à l’origine de l’introduction du traitement de substitution dit prophylactique, à savoir, des injections régulières de FVIII ou de FIX, idéalement par le patient lui-même, tous les deux jours ou 3 fois par semaine afin de corriger le déficit et de maintenir une concentration de FVIII ou de FIX au-delà de 1 à 2 % avec l’intention de prévenir des hémorragies spontanées.

Même si le traitement de l’hémophilie par prophylaxie a fondamentalement changé l’espérance et la qualité de vie des patients hémophiles, il est contraignant, impose des injections intraveineuses régulières et ne permet qu’une une correction partielle et fluctuante du FVIII ou FIX. Le patient hémophile sévère sous prophylaxie reste donc exposé à d’éventuels accidents hémorragiques. En outre, le FVIII étant particulièrement immunogène, près de 20 % des jeunes enfants hémophiles développent dans le décours de l’instauration du traitement de substitution des allo-anticorps, appelés inhibiteurs qui neutralisent et rendent inefficaces le traitement de l’hémophilie. Il s’agit de la complication actuelle la plus dramatique et redoutable du traitement de l’hémophilie. La présence d’un inhibiteur impose le recours à d’autres agents hémostatiques permettant d’assurer la coagulation en court-circuitant le FVIII ou IX (on parle d’agents de bypass) et un traitement d’éradication par désensibilisation obtenue par une exposition prolongée et intense à d’importantes quantités de FVIII (induction d’une tolérance immune).

Les principales innovations dans le domaine de l’hémophilie concernent le développement de concentrés de FVIII à FIX modifiés à demi-vie prolongée, l’introduction d’agents mimant l’action du FVIII et la thérapie génique. L’année 2017 a été marquée par la publication de résultats très prometteurs qui concernent le développement d’un anticorps bispécifique mimant l’action du FVIII et surtout les succès de la thérapie génique, essentiellement pour l’hémophilie A.

Succès d’un anticorps bispécifique mimant l’action du FVIII

Le FVIII est un co-facteur dont la fonction principale est de « créer un pont » entre le FIX activé (FIXa) et le FX de manière à activer ce dernier en FXa, élément essentiel du complexe prothrombinase. L’ACE910 (émicizumab, Hemlibra®) a été identifié par un screening systématique de 40 000 anticorps et remplit cette fonction du FVIII (13). L’emicizumab est un anticorps bispécifique humanisé qui imite l’activité cofacteur du facteur VIII en se liant au facteur IX activé et au facteur X (Figure 5). En permettant le rapprochement de ces deux facteurs, l’émicizumab restaure l’amplification de la génération de thrombine qui fait défaut chez les personnes avec une hémophilie A sévère.

La première étude chez l’homme, publiée en 2016 (14), a inclus des volontaires sains chez qui des doses croissantes d’émicizumab ont été administrées par voie sous-cutanée. Cette étude a permis notamment de mesurer la demi-vie de l’émicizumab (qui est d’environ un mois) et de démontrer in vitro que ce médicament pouvait compenser de manière dose-dépendante l’effet de la neutralisation du facteur VIII par l’inhibiteur. Les résultats d’une première étude de phase 1 chez 18 personnes avec hémophilie A sévère (avec ou sans inhibiteurs dirigés contre le FVIII) étant très prometteurs (15), une étude de phase 3 a été menée et les résultats ont été publiés en 2017 (étude HAVEN 1) (16). Dans cette étude randomisée mais ouverte, 109 patients hémophiles, avec inhibiteurs, âgés de 12 ans ou plus ont été inclus. Les patients qui avaient reçu des traitements prothrombotiques (FVII activé (Novo Seven®) ou PCC activés (FEIBA®)) uniquement lors d’épisodes hémorragiques (à la demande) étaient randomisés selon un rapport 2:1 dans un bras émicizumab (groupe A, n = 35, 3 mg/kg sous-cutané une fois par semaine pendant 4 semaines, puis 1,5 mg/kg une fois par semaine) ou dans un bras sans émicizumab - poursuite du traitement habituel lors des hémorragies (groupe B, n = 18). Les patients qui avaient une prophylaxie régulière par des agents prothrombotiques dans le passé recevaient tous l’émicizumab à la place de cette prophylaxie (groupe C, n = 24). Le suivi a été d’au moins 6 mois. L’efficacité du traitement a été spectaculaire avec un taux de saignement annualisé de 2,9 (IC 95 % : 1,7–5,0) dans le groupe A par rapport à 23,3 (IC 95 % : 12,3–43,9) dans le groupe B, ce qui représente une diminution des saignements de 87 % dans le groupe traité par émicizumab. Dans le groupe non randomisé (groupe C), le taux de saignements était du même ordre que celui du groupe A (3,3 événements, IC 95 % : 1,3–8,1) et nettement plus bas que le taux calculé sur les 6 mois qui précédaient l’inclusion dans l’étude (15,7 événements, IC 95 % : 11,1–22,3). L’étude de sous-groupes et les critères de jugements secondaires, notamment la qualité de vie, étaient tous en faveur de l’émicizumab.

Des réactions au site d’injection considérées comme « modérées » et réversibles ont été l’effet secondaire le plus fréquent (15 %). Neuf patients ont cependant présenté 12 effets secondaires majeurs. Hormis des événements hémorragiques, on note un purpura micro-angiopatique thrombotique (n = 3), une thrombose veineuse cérébrale (n = 1) et une nécrose cutanée associée à une thrombophlébite superficielle (n = 1). Ces événements thrombotiques se sont tous produits alors que les patients avaient été traités de façon concomitante par des doses souvent importantes de FVII activé ou de PCC activés (FEIBA®) en raison d’événements hémorragiques survenus sous émicizumab. Les résultats de cette étude peuvent être visionnés dans une capsule vidéo didactique à l’adresse http://www.nejm.org/do/10.1056/NEJMdo005186/full/.

L’émicizumab pourrait donc représenter une réelle révolution dans le traitement de l’hémophilie A sévère (avec ou sans inhibiteurs) (17). Les multiples avantages de cet anticorps bispécifique sont manifestes : délivrance sous-cutanée, demi-vie prolongée permettant des administrations toutes les semaines voire toutes les 4 semaines, correction stable de la coagulation en évitant les pics et vallées observées en cas de traitement de substitution par concentrés de FVIII à demi-vie courte, possibilité de traiter les patients avec et sans inhibiteur.

Il ne faudrait toutefois pas négliger certaines faiblesses potentielles ou sujets de préoccupations qui concernent l’émicizumab: obtention progressive de l’effet coagulant en quelques jours (délai d’action, éventuellement problématique dans certaines circonstances), complexité du monitoring, correction partielle du déficit avec besoin d’avoir éventuellement recours à du FVIII dans certaines situations (traumatismes, chirurgies), développement (peu probable et non décrite) d’immunisation contre cet anticorps bispécifique (ADA – antidrug antibodies), risque thrombotique sous forme de microangiopathie en cas de co-traitement avec du FEIBA®.

Premier succès de la thérapie génique de l’hémophilie A

En 2014, une étude clinique, publiée dans le New England Journal of Medicine (NEJM), avait montré qu’une injection d’un vecteur viral avec tropisme hépatique contenant une séquence génétique codant pour le facteur IX avait considérablement amélioré la qualité de vie de 10 patients atteints d’une hémophilie B, et ce pendant 3 ans (18).

Compte tenu de la taille du gène du FVIII, cette stratégie s’est avérée plus ardue à mettre en oeuvre pour l’hémophilie A. Le développement d’une séquence optimisée pour l’expression génomique d’un FVIII recombinant (hFVIII-SQ) intégrée dans un vecteur génomique d’origine virale, issu d’un adénovirus (ADN simple et non pathogène), appelé AAV5 (sérotype 5), ayant un tropisme hépatique a permis de mener avec succès une étude de thérapie génique dans l’hémophilie A. Ces résultats ont été publiés en décembre 2017 dans le NEJM (19) et ont suscité un enthousiasme extraordinaire. Les résultats de cette étude peuvent être visionnés dans une capsule vidéo didactique à l’adresse: www.nejm.org/do/10.1056/NEJMdo005239/full/.

Cette étude a inclus 10 adultes atteints d’hémophilie A sévère qui ont reçu 3 dosages différents. Sept patients ont reçu une forte dose de AAV5-hFVIII-SQ. Ils avaient tous une forme sévère d’hémophilie et ne présentaient pas d’inhibiteur ou d’hépatite active.

Les auteurs ont constaté que chez les 7 patients recevant une dose élevée d’AAV5-hFVIII-SQ, les concentrations de FVIII ont augmenté de façon significative entre la deuxième et la neuvième semaine après l’injection. Chez 6 de ces 7 patients, la concentration de FVIII est même devenue normale (50 % de la normale). Ce résultat s’est maintenu pendant 1 an et demi.

Cette correction du FVIII est associée à une chute impressionnante du nombre de saignements et de l’utilisation de concentrés de FVIII. Chez les 7 patients ayant reçu la dose élevée d’AAV5-hFVIII-SQ, le nombre d’épisodes hémorragiques pendant un an était en moyenne de 16 avant l’injection et de 1 épisode après le traitement par thérapie génique. Une réduction semblable a été observée pour le nombre de perfusions de FVIII.

En termes de tolérance, seule une élévation des transaminases à 1,5 fois la norme a été relevée. Le seul effet indésirable sérieux a été la progression d’une arthropathie chronique préexistante chez un patient. Aucun inhibiteur n’a été détecté.

Comme le souligne le Dr van den Berg dans un éditorial accompagnant cette publication (20), d’autres pistes thérapeutiques, également prometteuses, sont actuellement testées pour guérir l’hémophilie A et B: autres vecteurs viraux (lentivirus), thérapie cellulaire faisant appel à des cellules souches fabriquant des FVIII ou FIX, utilisation des “ciseaux à ADN” (CRISPR-Cas9) pour éditer le génome défectueux. Mais malgré ces réserves et si les études en cours confirment ces résultats ainsi que la stabilité de la production de FVIII dans le temps, Dr van den Berg estime que “la guérison de l’hémophilie est désormais à notre portée” et que la thérapie génique pourrait devenir le traitement de référence, en particulier pour les patients atteints d’hémophilie A dans les pays ne permettant pas d’avoir accès aux concentrés de FVIII en prophylaxie.

Que retenir de 2017 ?

  • Une anticoagulation orale préventive par des doses réduites d’anticoagulant oral direct peut être envisagée chez certains patients pour la prévention au long cours d’une récidive d’événement thromboembolique veineux. Chez les patients à risque élevé de récidive, les données sont actuellement insuffisantes pour valider cette approche.
  • L’idarucizumab a démontré son efficacité pour neutraliser efficacement l’effet du dabigatran lors d’hémorragies majeures ou en cas de geste invasif. Les concentrés du complexe prothrombinique même à doses réduites (25 UI/kg) s’avèrent efficaces pour neutraliser les anticoagulant oraux directs ciblant le facteur Xa dans l’attente de la validation d’antidotes spécifiques.
  • Un anticorps bispécifique (émicizumab) mimant l’action du FVIII s’avère très prometteur pour la prise en charge des personnes avec hémophilie A avec et sans inhibiteur.
  • Les succès de la thérapie génique se succèdent avec la publication des premiers résultats très prometteurs pour l’hémophilie A.

Affiliations

Cliniques universitaires Saint-Luc
Hématologie Hémostase-thrombose / hémophilie
Avenue Hippocrate 10 B-1200 Bruxelles

Correspondance

Pr. Cedric Hermans, MD, PhD, FRCP (Lon, Edin)
cedric.hermans@uclouvain.be

References

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Conflit d’intérêts

L’auteur C. Hermans déclare avoir a reçu au titre d’orateur ou d’expert/consultant des honoraires des sociétés: Bayer, Boehringer-Ingelheim, BMS, Pfizer, Daiichi Sankyo, Roche.