Docteur, j’ai une douleur dans le thorax ?

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Shakeel Kautbally, François Simon, Alisson Slimani, Christophe Beauloye Publié dans la revue de : Octobre 2018 Rubrique(s) : Examens cliniques
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Résumé de l'article :

La douleur thoracique est une plainte très fréquente en consultation de médecine générale. La décision de transfert du patient en milieu hospitalier repose sur la caractérisation de la douleur, les antécédents cardiovasculaires, la réalisation d'un électrocardiogramme et l'état hémodynamique du patient. Le diagnostic de syndrome coronarien aigü (SCA) reste le premier diagnostic à évoquer. Il requiert dans la plupart des cas la réalisation d’une coronarographie mais le délai dépendra du type de SCA. L'infarctus avec sus-décalage du segment ST (STEMI) nécessite un transfert rapide en salle d'urgence car le délai de prise en charge (le temps entre le diagnostic et l’ouverture de l’artère coronaire, idéalement de moins de 60 min) conditionne le pronostic du patient. Le patient avec un infarctus sans sus- décalage du segment ST bénéficiera d'une coronarographie dans un délai de 24 à 72 heures. La pierre angulaire du traitement pharmacologique repose sur les inhibiteurs plaquettaires (aspirine et inhibiteurs du récepteur P2Y12) qui seront en général maintenus pour une durée d'un an. Le rôle du médecin généraliste est aussi crucial pour assurer la continuité des soins après l'hospitalisation car ces patients sont à haut risque de récidive.

Mots-clés

Douleur thoracique, syndrome coronarien aigu

Article complet :

INTRODUCTION

La douleur thoracique est une plainte qui représente 1 à 2% des motifs de consultation en médecine générale en Belgique et aux Pays-Bas (1). Si les douleurs sont le plus fréquemment bénignes, elles sont liées dans un peu plus de 8% des cas à une étiologie mettant directement en jeu la survie du patient (1) et pour laquelle la rapidité de mise en œuvre du traitement impacte directement le pronostic. Or, l’évaluation des douleurs est souvent rendue difficile en raison de la variété des plaintes présentées et de la différence de perception de ces douleurs entre les patients. L’arsenal diagnostique dont le médecin traitant dispose étant limité, il est surtout essentiel qu’il puisse identifier les situations nécessitant un transfert urgent en centre hospitalier.

 

LA PRISE EN CHARGE INITIALE EN MÉDECINE GÉNÉRALE. QUAND FAUT-IL RÉFÉRER LE PATIENT EN SALLE D’URGENCE OU DANS UNE STRUCTURE HOSPITALIÈRE ?

Lors de l’évaluation initiale d’un patient qui consulte pour douleur thoracique, plusieurs éléments sont à déterminer par le médecin généraliste :

  •  les caractéristiques, la persistance et l'évolutivité de la douleur ;
  •  l'état hémodynamique du patient
  •  la présence d’antécédents ou de facteurs de risque cardiovasculaires
  •  la présence de modifications électriques à l’électrocardiogramme (ECG).

 

CARACTÉRISTIQUES DE LA DOULEUR, RESTONS CLINICIENS !

La détermination des caractéristiques de la douleur thoracique reste au centre de la prise en charge du patient.La crise d’angor typique est caractérisée par une sensation d’oppression rétrosternale irradiant dans le bras gauche (moins fréquemment au niveau des deux bras ou du bras droit), la mâchoire ou le cou, qui peut être intermittente (quelques minutes) ou persistante. L’exacerbation des symptômes à l’effort et la disparition au repos augmente la probabilité d’ischémie myocardique. Par contre, l’amélioration des symptômes sous traitement par dérivés nitrés n’est pas toujours spécifique de la douleur angineuse et peut être associée à d’autres étiologies (2). Les douleurs sont plus fréquemment atypiques chez la personne âgée, le patient diabétique et chez la femme. Lorsque le patient se présente pour douleur thoracique, les caractéristiques suivantes doivent orienter vers un diagnostic de syndrome coronarien aigu et nécessiteront un transfert hospitalier en urgence :

  • douleur thoracique d’une durée de plus de 20 minutes
  •  un tableau de douleur thoracique associé à une instabilité hémodynamique (hypotension, tachycardie, oedème pulmonaire)
  • la présence de symptômes associés tels que nausée, vomissement, dyspnée, syncope
  • la présence d’une douleur thoracique suspecte d’angor de novo, y compris à l’effort et/ou crescendo(détérioration d’un angor stable préalable), avec récurrence de douleur thoracique au repos ou au moindre effort
  • La récidive d’une douleur après un syndrome coronarien aigu.

Outre le syndrome coronarien aigu, les autres étiologies de douleur thoracique ne doivent pas être méconnues du médecin traitant car plusieurs nécessitent une prise en charge en urgence. Elles sont regroupées dans le tableau 1. C'est particulièrement le cas d'une dissection aortique qui peut entrainer une douleur intense et persistante mais avec un ECG normal. Une erreur diagnostic dans ce cas de figure peut être fatal.

 

LES ANTÉCÉDENTS CARDIOVASCULAIRES ET LES FACTEURS DE RISQUE NOUS RENSEIGNENT SUR LE CONTEXTE

La présence d’antécédents cardiovasculaires personnels ou familiaux au premier degré, l’âge, le sexe masculin, la tabagisme, l’hypertension artérielle, le diabète, la dyslipidémie, l’insuffisance rénale, sont autant d’éléments qui augmentent la probabilité a priori de la présence d’une maladie coronarienne et le risque du patient.

 

LA RÉALISATION D’UN ÉLECTROCARDIOGRAMME RESTE AU CENTRE DE LA PRISE EN CHARGE, Y COMPRIS EN MÉDECINE GÉNÉRALE

La réalisation d’un électrocardiogramme est un élément clef de la prise en charge d’un patient souffrant de douleur thoracique. Même si les caractéristiques de la douleur sont importantes à déterminer, de nombreux patients ne se présenteront pas avec une douleur thoracique dite typique. Une analyse de l’électrocardiogramme doit être réalisée, malgré tout, afin de détecter des signes électriques suggérant la présence d’un syndrome coronarien aigu. L’ECG permettra également de distinguer les deux types de syndrome coronarien aigu dont la prise en charge diffère.

Les critères de décision de transfert en milieur hospitalier sont repris ci dessous :

 

TRAITEMENT INITIAL DU PATIENT SOUFFRANT D’UNE DOULEUR THORACIQUE

En cas de douleur thoracique persistante, d’hypertension artérielle ou de décompensation cardiaque associée, l’administration de dérivés nitrés est indiquée. Ce traitement est par contre contre-indiqué en cas d’hypotension artérielle, de suspicion d’infarctus du ventricule droit ou de prise concomitante d’inhibiteur du phosphodiestérase 5 (Sildenafil, par exemple). Il est important de noter que pour la gestion de la douleur, les dernières recommandations européennes préconisent de ne pas utiliser de morphine en première intention, ce traitement pouvant être responsable d’une diminution d’absorption et donc d’un retard dans le délai d’action des antiagrégants plaquettaires (ce point sera discuté ci-dessous).

L’administration d’oxygène ne sera indiquée qu’en cas de saturation artérielle en oxygène <90% (3).

 

LE PREMIER DIAGNOSTIC, LE OU PLUTÔT LES SYNDROMES CORONARIENS AIGUS

Le syndrome coronarien aigu est le résultat d’une rupture ou de l’érosion d’une plaque athéromateuse qui va être le point de départ d’une thrombose ou d’une embolisation distale de thrombus, entraînant une hypoperfusion du myocarde ou ischémie. Le diagnostic de syndrome coronarien aigu sera posé sur base de trois éléments : la douleur thoracique, des modifications électriques (ECG) témoignant d’une ischémie (sus ou sous-décalage du segment ST, inversion des ondes T) et/ou la mesure de « biomarqueurs » cardiaques (plus particulièrement une élévation de la troponine I ou T). L’association de deux ou trois de ces facteurs permet d’affirmer la présence d’un syndrome coronarien aigu. Par exemple, une douleur avec un sous-décalage du segment ST ou une douleur avec une élévation de la troponine. La douleur seule ne permet pas d’affirmer le diagnostic sans autre investigation complémentaire. Comme nous venons de le souligner, l’ECG occupe une place importante dans la caractérisation des syndromes coronariens aigus puisqu’il permet de les diviser en deux grandes catégories dont la physiopathologie et le traitement sont différents :

  •  le syndrome coronarien aigu avec un sus-décalage du segment ST ou STEMI ;
  •  le syndrome coronarien aigu sans sus-décalage persistant du segment ST ou NSTE-ACS.

Il est toutefois important de noter que plus de 30% des patients qui présentent un syndrome coronarien aigu auront un électrocardiogramme normal au moment de la douleur thoracique (4). Les biomarqueurs et plus particulièrement la troponine I ou T nous renseignent sur la présence d’une mort cellulaire et donc d’un infarctus. Sur base de la troponine, nous pouvons faire la différence entre un angor instable ou un infarctus sans sus-décalage persistant du segment ST (NSTEMI).

L’angor instable est défini par une ischémie myocardique en l’absence de nécrose pouvant survenir dans trois situations : un angor au repos pendant une durée courte, un angor de novo, ou encore un angor crescendo (déstabilisation d’un angor stable). Cette entité fait partie de l’entité des syndromes coronariens aigus.

Sur le plan physiopathologique, le STEMI correspond la plupart du temps à une occlusion complète d’une artère coronaire tandis que le NST-ACS correspond généralement à une thrombose qui n’est pas totalement occlusive. Ceci explique évidemment une différence de prise en charge.

 

LE SYNDROME CORONARIEN AIGU AVEC UN SUS-DÉCALAGE DU SEGMENT ST

La réalisation d’un ECG doit permettre d’affirmer la présence d’un syndrome coronarien aigu avec sus- décalage du segment ST (STEMI). Les critères diagnostiques électrocardiographiques du STEMI sont repris dans le tableau 2 (3). La mise en évidence d’un STEMI par le médecin généraliste imposera un transfert hospitalier le plus rapidement possible, le pronostic du patient étant directement lié à la rapidité de la revascularisation de la lésion coronaire coupable. L’urgence est donc de tout mettre en œuvre pour que le patient soit transféré vers un centre d’angioplastie et plus particulièrement en salle de cathétérisme cardiaque. Le temps est compté. Le chronomètre est déclenché dès la réalisation de l’ECG, y compris par le médecin traitant. Comme la figure 1 le montre, les délais de temps sont court. Idéalement, si le diagnostic est posé en extra-hospitalier, un délai de 90 minutes ne doit pas être dépassé entre la réalisation de l’ECG et la reperfusion, c’est à dire le passage du filament métallique à travers l’occlusion de l’artère.

 

LE SYNDROME CORONARIEN AIGU SANS SUS-DÉCALAGE PERSISTANT DU SEGMENT ST

En cas de syndrome coronarien aigu de type NSTEMI ou d’angor instable, le délai avant la coronarographie sera variable en fonction du niveau de risque du patient (score GRACE) et de la situation hémodynamique du patient. Une évaluation du patient est donc nécessaire avant la décision de réaliser une coronarographie. Une mesure de troponine T ou I est indispensable et sera même répété (dans un délai d’1 à 3 h). Certains patients à très faible risque (souvent sans élévation de la troponine) bénéficieront d’un test d’ischémie avant la réalisation d’une coronarographie dans un deuxième temps (si ce test est positif). Les patients à haut risque (qui ont des modifications électriques à l’ECG ou une élévation de la troponine) iront en salle de cathétérisme cardiaque dans les 24 heures. Sur base des résultats de la coronarographie, on optera soit pour un traitement médical, soit pour une angioplastie coronaire, soit pour une chirurgie de pontages aorto-coronaires. La voie radiale sera privilégiée pour la coronarographie dans tous les syndromes coronariens aigus en raison du moindre risque de complications hémorragiques associé.

 

LE TRAITEMENT PHARMACOLOGIQUE ASSOCIÉ AU SYNDROME CORONARIEN AIGU

La prise en charge d’un patient après syndrome coronarien aigu va s’articuler en trois axes : le traitement anti- plaquettaire, les inhibiteurs de l’axe rénine-angiotensine, les b-bloquants et le contrôle des facteurs de risque cardiovasculaires.

 

Le traitement anti-plaquettaire

Le traitement pharmacologique repose sur l’association d’une double anti-agrégation plaquettaire par Aspirine et un inhibiteur du récepteur P2Y12 et une anticoagulation. L’anticoagulation sera administré au cours du séjour hospitalier et ne sera pas poursuivie au-delà. Par contre, tout patient souffrant d’un syndrome coronarien aigu sortira de l’hôpital avec une double anti-agrégation plaquettaire. En l’absence d’indication d’anticoagulation au long cours, l’aspirine sera administré à vie. Le traitement par inhibiteur du P2Y12 est indiqué pour une durée de 12 mois. En cas de risque hémorragique élevé, la durée peut éventuellement être diminuée à 6 mois. Le cas particulier des patients avec indication d’anticoagulation au long cours, notamment dans un contexte de fibrillation auriculaire, est repris dans la figure 2.

 

Les inhibiteurs de l’axe rénine-angiotensine et les b-bloquants

En fonction de l’importance de l’altération de la fonction cardiaque, du territoire touché par l’infarctus et de la revascularisation, un traitement par antagoniste du récepteur de l’angiotensine, beta-bloquant et antagoniste du récepteur minéralocorticoïde seront instaurés (tableau 3).

 

Le traitement des facteurs de risque cardiovasculaires

Chez le patient fumeur, l’arrêt du tabac est probablement la plus efficace des mesures de prévention secondaire. Une méta-analyse a en effet montré une réduction de mortalité de 36% suite à l’arrêt.

Parmi les autres mesures médicamenteuses, l’introduction d’un régime méditerranéen, la perte de poids éventuel en vue d’un indice de masse corporelle (IMC) de 20 à 25kg/m2 et l’inclusion dans un programme de revalidation cardiaque seront proposés au patient. Quant à l’hypertension artérielle et la dyslipidémie, le cardiologue et le médecin traitant travailleront de concert afin d’améliorer au maximum le profil de leurs patients. La tension artérielle systolique cible sera <140mmHg voire <120mmHg chez le patient à très haut risque. Au niveau du l’hypercholestérolémie, un traitement par agressif par statine doit être démarré aussi tôt que possible, en l’absence de contre-indications, et poursuivi au long cours, avec un LDL cible <70mg/dl ou une diminution d’au moins 50% si le taux de base de LDL est compris entre 70 et 135 mg/dL. Si le LDL reste >70mg/dl malgré un traitement bien conduit, d’autres thérapies doivent être introduites (ezetimibe). Les inhibiteurs du PCSK9 sont jusqu’à présent réservés aux patients atteins d’hypercholestérolémie familiale.

 

L’ANGOR D’EFFORT ET L’ANGOR STABLE

L’angor stable est une douleur thoracique constrictive apparaissant lors d’un effort et dont l’intensité va augmenter de manière progressive en quelques minutes au cours de l’effort. Ce qui définit le caractère stable de l’angor est la stabilité dans le temps d’apparition de la douleur au cours de l’effort : le patient décrira une douleur thoracique survenant au cours d’exercices physiques d’intensité similaire. L’intensité de l’effort physique que le patient est capable de faire avant l’apparition de la douleur va définir la sévérité de l’angor. C’est de cette manière que l’on peut séparer les angors en quatre catégories (Canadian Cardiovascular Society Classification of Angor Pectoris, tableau 4). Des variations dans le temps sont cependant possibles en fonction de certaines circonstances, par exemple, le froid ou la période post-prandiale sans considérer qu’il s’agisse d’un angor instable. Elles sont le simple reflet d’une variation du tonus vasomoteur des artères coronaires.

La décision de réaliser une coronarographie (qui sera dans ce cas élective) dépendra de l’importance des symptômes et/ou de la démonstration et de l’étendue d’une ischémie myocardique, détectée par une évaluation non invasive.

L’angor stable est donc caractérisé par une douleur thoracique survenant à l’effort. Le diagnostic différentiel dans cette situation est plus limité. Outre une origine coronarienne, une douleur thoracique à l’effort peut être le symptôme d’une sténose aortique, une cardiomyopathie hypertrophique obstructive ou une hypertension artérielle pulmonaire.

 

CONCLUSION ET RECOMMANDATIONS

La douleur thoracique est une cause fréquente de consultation chez le médecin traitant. La reconnaissance d’un syndrome coronarien aigu en médecine générale est fondamentale dans la prise en charge du patient, et conditionne son pronostic surtout en cas de STEMI. Au moindre doute, il conviendra de référer le patient en salle d’urgence où l’arsenal diagnostique plus important permettra une prise en charge appropriée.

 

AFFILIATIONS

Cliniques universitaires Saint Luc, Service de Cardiologie, B-1200 Bruxelles

 

CORRESPONDANCE

Pr. CHRISTOPHE BEAULOYE

Cliniques universitaires Saint Luc
Service de cardiologie
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles
Tel : +322764 2750
Email : christophe.beauloye@uclouvain.be

 

RÉFÉRENCES

  1. Hoorweg BB, Willemsen RT, Cleef LE, Boogaerts T, Buntinx F, Glatz JF and Dinant GJ. Frequency of chest pain in primary care, diagnostic tests perfor- med and final diagnoses. Heart. 2017;103:1727-1732. Ouvrir dans PubMed
  2. Rubini Gimenez M, Twerenbold R and Mueller C. Sex-specific chest pain characteristics--reply. JAMA Intern Med. 2015;175:650. Ouvrir dans PubMed
  3. Ibanez B, James S, Agewall S, Antunes MJ, Buccia- relli-Ducci C, Bueno H, et al.;. 2017 ESC Guidelines for the management of acute myocardial infarction in patients presenting with ST-segment elevation. Rev Esp Cardiol (Engl Ed). 2017;70:1082. Ouvrir dans PubMed
  4. Savonitto S, Ardissino D, Granger CB, Morando G, Prando MD, Mafrici A, et al. Prognostic value of the admission electrocardiogram in acute coronary syndromes. JAMA. 1999;281:707-13. Ouvrir dans PubMed