Dermatose bulleuse à IgA linéaire

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Antoine Costenoble, Dominique Tennstedt (1) Publié dans la revue de : Avril 2018 Rubrique(s) : Dermatologie
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Résumé de l'article :

La dermatose à IgA linéaire est une dermatose bulleuse auto-immune rare. Cependant, elle est la maladie bulleuse pédiatrique la plus fréquente et atteint surtout les enfants dans la deuxième enfance. L’aspect histopathologique de cette affection est hautement suggestif. L’analyse par immunofluorescence directe permet de mettre en évidence un dépôt linéaire intense et homogène d’anticorps IgA, signature de cette pathologie.

Classiquement, deux présentations de la maladie sont décrites : une forme primaire plutôt associée à l’enfance et une forme post-pubertaire, voire adulte, souvent secondaire à la prise de médicaments. Cliniquement, les lésions sont assez caractéristiques, formées de vésicules ou éventuellement de bulles disposées en rosettes ou en bouquets herpétiformes. Celles-ci sont la plupart du temps retrouvées sur la partie basse du tronc et sur les organes génitaux. L’atteinte périorale, périombilicale, auriculaire et/ou fessière est également caractéristique.

Le traitement principal de cette affection consiste en la prise de Dapsone® (diaminodiphénylsulfone), pour lequel certaines précautions préthérapeutiques doivent être prises. On observe, dans beaucoup de cas, une rémission spontanée en trois à six ans. Les évolutions prolongées sont extrêmement rares.

Que savons-nous à ce propos ?

- Maladie bulleuse (auto-immune) la plus fréquente en pédiatrie mais dont les errances diagnostiques sont classiques

- Aspect immunohistochimique pathognomonique

- Traitement spécifique par Dapsone®

Que nous apporte cet article ?

- Nécessité d’une biopsie pour la mise au point immunohistochimique avant un traitement spécifique long

- Nécessité d’une mise au point préthérapeutique lors de l’utilisation de Dapsone®

- Nécessité d’une collaboration dermatopédiatrique dans la prise en charge des maladies bulleuses pédiatriques

Mots-clés

Dermatose à IgA linéaire, maladie bulleuse, Dapsone®

Article complet :

INTRODUCTION

La dermatose à IgA linéaire est une dermatose bulleuse auto-immune rare. Cependant, elle est la maladie bulleuse pédiatrique la plus fréquente et atteint surtout les enfants dans la deuxième enfance (1-12) (quatre à six ans, en général).

Les lésions présentent des caractéristiques cliniques relativement spécifiques. Elles se présentent sous forme de vésicules ou de bulles prurigineuses, généralement disposées de manière arrondie ou arciforme, en rosettes. Leur localisation est également caractéristique : la partie basse du tronc, la région périombilicale, les membres ainsi que le périnée sont les régions les plus souvent décrites (1-12).

L’analyse par immunofluorescence directe d’une lésion biopsiée permet le diagnostic de certitude de cette pathologie. Le dépôt linéaire et homogène d’IgA mis en évidence est pathognomonique (1-6).

Le cas d’une jeune patiente présentant cette affection sera décrit et illustré. Son affection sera décrite tant sur le plan clinique qu’histologique. La prise en charge spécifique de sa maladie sera également développée. Les diagnostics différentiels à éliminer seront revus.

Deux présentations de la maladie sont reconnues : une forme primaire plutôt associée à l’enfance et une forme post-pubertaire, voire adulte, souvent secondaire à la prise de médicaments (2).

La guérison de la dermatose bulleuse à IgA linéaire est aisée mais nécessite une médication spécifique à base de Dapsone® (diaminodiphénylsulfone). Ce médicament peut cependant être à l’origine d’effets secondaires (méthémoglobinémie, anémie hémolytique aigue) et nécessite des précautions d’emploi particulières.

 

OBSERVATION

Une jeune patiente de 9 ans se présente « en urgence » à la consultation de dermatologie car sa maman est désespérée par la dermatose chronique de sa fille qui a débuté depuis un peu plus de deux ans. Le prurit est considérable et insomniant. De multiples médecins (pédiatres et dermatologues) ont été consultés. Aucun diagnostic précis n’a été proposé. Différents diagnostics ont été évoqués soit, une gale atypique, une urticaire systémique, une dermatite atopique « bizarre », ou encore un prurigo strophulus.

De très multiples traitements (par voie locale et/ou générale) ont été essayés en vain. Seuls les corticoïdes locaux ont permis une amélioration partielle, rapidement associés à une corticophobie de la mère qui a arrêté leur application. L’examen clinique permet de mettre en évidence de très nombreuses excoriations punctiformes parfois réparties « en rosettes » particulièrement en zone péri-ombilicale ainsi que, de manière plus diffuse, sur l’abdomen (Fig. 1 et Fig. 2). L’une ou l’autre vésicule peut s’observer (particulièrement en dermoscopie).

Sur les membres, il existe de multiples maculo-papules arrondies ou arciformes à évolution lentement centrifuge (Fig. 3, Fig. 4, Fig. 5).

Il n’existe pas de douleur associée. La palpation des ganglions est négative.

À l’anamnèse, elle aurait présenté cette éruption dans le décours d’une fièvre, provoquée par une angine importante qui n’avait cédé que grâce à une antibiothérapie par voie générale. Elle ne prend pas de médicament et aucun antécédent familial significatif n’a été mis en évidence.

La jeune patiente paraît en excellent état général. Il n’existe aucun problème concernant le tube digestif (en particulier pas d’intolérance alimentaire). La courbe de croissance est normale depuis la naissance.

Le diagnostic de dermatose à IgA linéaire a pu être posé de manière formelle suite à une biopsie cutanée révélant une image caractéristique tant en microscopie conventionnelle qu’en examen en immunofluorescence (Fig. 6, Fig. 7).

Après un essai infructueux de traitement par voie locale (émollients, corticoïdes puissants) et la mise en évidence d’une absence de déficit en glucose 6-phosphate déshydrogénase, un traitement par diaminodiphénylsulfone (Dapsone®) à la dose de 1 mg/ kg/jour a permis une résolution rapide de l’affection. La thérapeutique a pu être arrêtée après environ 6 mois (dégression progressive). Aucune récidive n’a été constatée pendant les deux années de suivi.

 

DISCUSSION

La dermatose à IgA linéaire est une dermatose bulleuse auto-immune rare. L’incidence est estimée entre 0,5 et 1 cas/millions/an (1,3,4). Cependant, elle est la maladie bulleuse pédiatrique la plus fréquente et atteint surtout les enfants dans la deuxième enfance.

Les lésions, généralement prurigineuses, sont assez caractéristiques et formées de vésicules ou bulles arrondies disposées en rosettes ou en bouquets herpétiformes. Des lésions papuleuses arciformes très suggestives peuvent coexister. La disposition lésionnelle peut être symétrique ou asymétrique. Celles-ci sont, la plupart du temps, retrouvées sur la partie basse du tronc et aux organes génitaux. L’atteinte péri orale, péri ombilicale, auriculaire et/ou fessière est assez caractéristique (1,5,6,7). L’atteinte muqueuse est rare mais peut être importante. La bouche et les conjonctives sont les plus touchées.

Un retard de prise en charge peut mener à des infections cutanées secondaires et, beaucoup moins fréquemment à des sténoses pharyngolaryngées, cause de dyspnée haute. Une conjonctivite chronique associée à une perte de vision est décrite (3,7).

L’affection peut disparaître de manière spontanée pour récidiver de manière tout aussi spontanée. L’évolution est totalement imprévisible mais le plus souvent favorable chez l’enfant. Classiquement, en absence de traitement, une rémission spontanée est observée en trois à six ans (3).

L’association de la dermatose à IgA avec certaines entéropathies est décrite dans la littérature. Aucune preuve n’a pu être apportée mais l’amélioration spontanée de l’affection dermatologique constatée après colectomie totale chez des patients atteints de rectocolite ulcéro-hémorragique suggère une stimulation antigénique commune (8,9).

Chez l’enfant, comme chez l’adulte, il existe des formes secondaires à la prise de médicaments, ou à une agression cutanée (par les UV (10) par exemple). Lors de l’instauration d’un traitement « susceptible », des lésions se développent deux à trente jours après celui-ci. Les médications impliquées, citées par ordre de fréquence et de manière non exhaustive sont : vancomycine (11), amiodarone, AINS (piroxicam, naproxène), pénicillines, ceftriaxone, antiépileptiques (2,4,11).

À l’arrêt de la médication responsable, la guérison spontanée est observée dans les jours, voire les semaines qui suivent.

Dans la littérature sont décrits des cas adultes de dermatose à IgA linéaire concomitante à l’apparition de néoplasmes (lymphomes non-hodgkinien, leucémie lymphoïde chronique, cancer vésical) (3). Aucune preuve n’a pu être apportée quant à l’étiologie de ces cas. Il pourrait s’agir de manifestations paranéoplasiques, d’une forme liée aux médicaments anticancéreux ou d’une simple association fortuite (5).

Les manifestations dermatologiques et histologiques sont similaires dans la forme primaire ou secondaire.

 

PRÉSENTATION CLINIQUE

Les deux variantes cliniques de la dermatose à IgA linéaire sont la forme pédiatrique et adulte.

La forme pédiatrique aussi appelée maladie bulleuse chronique de l’enfance (chronic bullous disease of childhood) se déclare au cours de la deuxième enfance (vers cinq ans en moyenne) et persiste très rarement après la puberté. Les lésions apparaissent généralement brutalement et sont situées sur le périnée et les organes génitaux avant une généralisation vers le tronc et les extrémités(1-8).

La forme post-pubertaire se déclare en général au-delà de soixante ans. Les lésions se situent majoritairement au niveau du tronc mais se développent également parfois sur la face, le scalp, les membres et les extrémités. La forme adulte est généralement secondaire à la prise d’un médicament. La présentation clinique des formes tardives semble plus atypique et plus sévère que la forme primaire (2).

 

DIAGNOSTIC

Le diagnostic de certitude est posé par l’analyse microscopique et immunohistochimique de biopsies cutanées (1-8,12).

L’examen anatomopathologique d’une bulle est caractéristique : image de bulle sous épidermique avec formation de micro abcès aux sommets des papilles dermiques (composés essentiellement de polynucléaires neutrophiles et quelques éosinophiles) (Fig. 6).

Cependant, il est difficile de distinguer avec certitude la dermatose à IgA linéaire des autres pathologies bulleuses sous-épidermiques (dermatite herpétiforme, épidermolyse bulleuse acquise, …) avec l’unique analyse histologique.

L’immunofluorescence directe (peau péri lésionnelle), gold-standard dans le diagnostic de la pathologie, objective la présence d’un fin dépôt linéaire d’IgA situé le long de la membrane basale (et parfois d’IgG ou de C3). En immunofluorescence indirecte, il existe le plus souvent des anticorps circulants IgA anti membrane basale épidermique (Fig. 7).

 

PHYSIOPATHOLOGIE

Le mécanisme déclenchant la réaction auto-immunitaire est à l’heure actuelle inconnu. Une susceptibilité génétique semble exister, vu la plus grande proportion d’un haplotype particulier : HLA Cw 7. Celui-ci n’est en revanche pas strictement spécifique.

Sur le plan moléculaire, les autoanticorps IgA reconnaissent de nombreux sites antigéniques de la membrane basale. Sont classiquement décrits : le collagène VII ainsi que les antigènes 97-kDa et 120-kDa. Ces deux derniers étant les produits protéolytiques d’un domaine antigénique extracellulaire : BP-180. Ce dépôt d’anticorps IgA mène à l’activation du complément et la migration de neutrophiles. Il en résulte une perte d’adhésion de la jonction dermo-épidermique (1,6,13) et la formation de bulles.

Il est intéressant de noter que la réponse thérapeutique est différente en fonction de l’antigène reconnu par l’autoanticorps IgA, ouvrant possiblement la voie à une définition de la maladie en fonction du sous-type antigénique et d’un suivi thérapeutique spécifique (12).

 

DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL

Les diagnostics différentiels à éliminer incluent la pemphigoïde bulleuse, la gale, le prurigo strophulus, la dermatite herpetiforme, la dermatite atopique, l’épidermolyse bulleuse acquise et le pemphigus.

 

TRAITEMENT

Le traitement de première intention tant chez l’enfant que chez l’adulte est la diaminodiphénylsulfone (Dapsone®) à la dose de 0,5 à 2mgr/kg/jour. Classiquement, une dose de charge de deux mois doit être recommandée suivi d’une dégressivité progressive du traitement pendant deux à douze mois. Avant son utilisation, un déficit en glucose-6-phosphate déshydrogénase doit systématiquement être recherché. Un hémogramme doit également être réalisé à la recherche d’une anémie hémolytique dans les premiers jours de l’instauration du traitement. Il est important de noter que, même en présence de l’enzyme, une légère hémolyse est possible. La méthémoglobinémie doit également être contrôlée. L’apparition d’une cyanose, d’une faiblesse générale ou une dyspnée doivent systématiquement être recherchées (1,3,5,6,7) (Fig. 8., Fig. 9).

En cas d’échec ou de contre-indication des sulfones, le recours à la sulfapyridine peut être envisagé à la dose de 1 à 3gr/jour ou à la colchicine à la dose de 0,5 à 1mgr/jour. De manière inconstante, les dermocorticoïdes puissants peuvent avoir une certaine utilité.

Les corticostéroïdes généraux, le myclophénolate mofétyl et les immunoglobulines intraveineuses ne seront considérés qu’en dernier recours (3).

Chez l’adulte, le premier acte thérapeutique sera l’arrêt du médicament incriminé. Le recours à une médication spécifique ne sera utilisé qu’en cas de persistance des lésions.

 

CONCLUSION

La dermatose à IgA linéaire est une affection dermatologique qui doit être reconnue par le pédiatre ou le dermatologue. Elle est peu fréquente mais il est important d’en faire le diagnostic pour le bien être des patients atteints. Avec ce case-report, nous avons montré l’importance de cette pathologie dans le diagnostic différentiel des lésions bulleuses chez l’enfant. L’aspect des lésions et l’immunohistochimie étant tout à fait typiques, il ne faut pas hésiter à pratiquer une biopsie cutanée avec examen histologique et en immunofluorescence qui permet d’objectiver les dépôts linéaires d’IgA à la jonction dermo-épidermique.

Il peut être également intéressant de rechercher une atteinte digestive à l’anamnèse.

Le traitement par Dapsone® (diaminodiphénylsulfone) est également spécifique mais nécessite toutefois des précautions préthérapeutiques par la recherche d’un déficit en glucose-6-phosphate déshydrogénase. Cette affection nécessite une collaboration dermatopédiatrique importante.

 

RECOMMANDATIONS PRATIQUES

  • Biopsie d’affections bulleuses pédiatriques en vue d’une analyse immunohistochimique
  • Traitement spécifique par Dapsone® (diaminodiphénylsulfone) après précautions thérapeutiques particulières
  • Chez l’adulte, vérifier les prises médicamenteuses doit être systématique

 

 

CORRESPONDANCE

Mr Antoine Costenoble

Clinique universitaire Saint-Luc
Dermatologie
Avenue Hippocrate, 10 B-1200 Bruxelles
E-mail : antoine.costenoble@student.uclouvain.be

 

RÉFÉRENCES

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