Bilan d’adénopathie en médecine générale: quand rassurer et quand référer?

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Inès Dufour1, Géraldine Verstraete1, Juliette Raedemaeker1, Fabio Andreozzi1, Sarah Bailly1, Eric Van Den Neste1, Cédric Hermans1, Marie-Christiane Vekemans1 Publié dans la revue de : Mars 2022 Rubrique(s) : Hématologie
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Résumé de l'article :

L’investigation d’une adénopathie nécessite une approche systématisée, afin de determiner le caractère bénin ou malin de cette adénopathie. Il est primordial de pouvoir reconnnaître les signes de gravité, qui vont nécessiter un bilan complémentaire et généralement une biopsie. L’objectif de cet article est d’aborder d’un point de vue pratique les étapes de la prise en charge d’une adénopathie en médecine générale, et de revoir les principaux diagnostics différentiels à évoquer.

Mots-clés

Adénopathie, médecine générale, malignité, biopsie

Article complet :

Introduction

Une adénopathie correspond à l’augmentation pathologique du volume d’un ganglion lymphatique. Un diamètre supérieur à 1 cm est retenu comme pathologique, sauf pour les ganglions inguinaux où le seuil est fixé à 2 cm. Les ganglions épitrochléens et sus-claviculaires sont considérés comme pathologiques quelle que soit leur taille. L’adénopathie est soit isolée (adénopathie localisée) ou multiple (polyadénopathie). Elle peut être secondaire à une vaste gamme de processus pathologiques (Tableau 1), dont les grandes catégories sont facilement mémorisables à l’aide de l’acronyme « MIAMI », qui représente les tumeurs Malignes, les Infections, les maladies Auto-immunes, les affections diverses et inhabituelles (Miscellaneous en anglais) et les causes Iatrogènes (1).

La découverte d’adénopathies est fréquente en médecine générale. La plupart du temps, il s’agit d’adénopathies réactionnelles à une complication infectieuse. Une étude rétrospective réalisée par une équipe de chercheurs hollandais a montré que l’incidence des adénopathies malignes en médecine générale est faible, de l’ordre de 1 à 2%. En effet, sur les 2556 patients de l’étude qui ont consulté leur médecin de famille pour une adénopathie inexpliquée, 256 (10 %) ont été aiguillés vers un spécialiste et 82 (3,2 %) ont dû subir une biopsie, mais seulement 29 (1,1 %) avaient une tumeur maligne (2). Ce pourcentage augmente toutefois avec l’âge, un cancer est en effet diagnostiqué chez 4% des patients au-delà de 40 ans vs 0.4% chez les moins de 40 ans (2). En cas d’adénopathie supraclaviculaire, l’incidence de néoplasie sous-jacente est par contre majorée à 50%.

Le rôle du médecin généraliste est dès lors primordial et consiste à distinguer les quelques patients atteints d’une maladie grave, des nombreux patients qui ont une pathologie bénigne et spontanément résolutive. Cet article a pour but d’aider les médecins de première ligne à identifier rapidement les principales hypothèses étiologiques face à une adénopathie, en insistant sur l’identification des patients potentiellement atteints d’une maladie qui engage le pronostic vital.

Démarche étiologique

Diagnostic différentiel

La première question face à une grosseur palpable est d’établir s’il s’agit d’une adénopathie. En effet, il ne faudra pas confondre une adénopathie avec un éventuel lipome, une hypertrophie des glandes salivaires, des kystes congénitaux au niveau du cou, une hydrosadénite en particulier axillaire ou encore une hernie inguinale.

Anamnèse

L’anamnèse devra rechercher des symptômes locaux suggestifs d’une infection ou d’une néoplasie dans le territoire de drainage, ainsi que des symptômes généraux évoquant une atteinte disséminée (3).

Age et mode d’apparition

La plupart des adénopathies chez les enfants sont bénignes ou d’origine infectieuse. Interroger sur le mode d’apparition et l’évolution de l’adénopathie peut nous aider à cheminer dans la recherche étiologique. En effet, si le mode de présentation est aigu (quelques jours à deux semaines), il s’agit probablement d’une infection, d’autant plus que le patient est jeune. Au contraire, la persistance d’une adénopathie chez une personne plus âgée évoque plutôt une maladie lymphoproliférative ou une métastase. Retenons qu’une adénopathie qui persiste moins de deux semaines ou plus de 12 mois sans changement de taille a une faible probabilité d’être néoplasique, à l’exception des lymphomes non hodgkiniens indolents et de la leucémie lymphoïde chronique (LLC).

Exposition

Il est important d’interroger le patient sur ses antécédents et son mode de vie :

- Antécédent de cancer (personnel ou familial)?

- Tabagisme?

- Toxicomanie ?

- Médicament ?

- Voyage récent ?

- Exposition à des animaux (principalement les chats)?

 - Piqûres ou morsure ? 

- Comportement sexuel à risque ?

Symptômes

Une anamnèse systématique est primordiale pour identifier les « Red Flags » ou symptômes évocateurs d’une néoplasie sous-jacente. Les symptômes B, à savoir une fièvre principalement vespérale, des sueurs nocturnes et une perte de poids inexpliquée, sont caractéristiques du lymphome de Hodgkin, et présents chez 68% des patients au stade IV. Ces symptômes sont également observés chez 10 % des patients atteints d’un lymphome non hodgkinien. Poser la question plus spécifique de la présence éventuelle d’une douleur réveillée par l’ingestion d’alcool peut permettre de révéler un symptôme pathognomonique du lymphome hodgkinien. Les symptômes comme la fatigue, le malaise général et la fièvre, souvent associés à des adénopathies cervicale volumineuses et à une lymphocytose atypique, sont évocateurs d’un syndrome mononucléosique. Arthralgies, faiblesse musculaire, et éruptions cutanées suggèrent plutôt une étiologie auto-immune.

Examen clinique

Un examen clinique attentif nous aide également dans notre diagnostic différentiel. Une adénopathie chaude et douloureuse est évocatrice d’une infection, une adénopathie fixe, adhérente, dure évoque plutôt un cancer non hématologique, alors qu’une adénopathie mobile, indolore, volumineuse plaide en faveur d’une hémopathie maligne.

Le diagnostic d’une adénopathie posé et ses caractéristiques connues, il faut préciser s’il s’agit d’une adénopathie unique ou de polyadénopathies. Dès lors, l’examen des autres aires ganglionnaires superficielles doit être systématique (cervicales, sus-claviculaires, axillaires, épitrochléeennes, inguinales). On y associera la recherche d’une éventuelle splénomégalie, qui peut être retrouvée dans la mononucléose infectieuse, mais aussi dans les lymphomes, la LLC et la sarcoïdose. La peau doit également être examinée de manière minutieuse afin de repérer une éventuelle porte d’entrée infectieuse (plaie, griffure de chat, intertrigo, ...) .

Adénopathie localisée

Adénopathie cervicale

Palper des ganglions cervicaux chez l’enfant est assez fréquent. L’incidence diminue avec l’âge. La cause la plus fréquente d’adénopathie cervicale est l’infection, en général une infection aiguë virale, spontanément résolutive. Bien que la plupart se résolvent rapidement, certaines entités, telles que les mycobactéries atypiques, la maladie des griffes du chat, la toxoplasmose ou la sarcoïdose peuvent être responsables d’adénopathies persistantes pendant plusieurs mois, et être dès lors confondues à tord avec des néoplasies. Des ganglions cervicaux durs chez un patient âgé et tabagique doivent faire évoquer la possibilité d’adénopathies métastatiques d’une néoplasie de la sphère tête et cou.

Adénopathies sus-claviculaires

Il est important de retenir que les ganglions sus-claviculaires sont fréquemment associés à une cause néoplasique ; pulmonaire ou mammaire si adénopathie sous-claviculaire droite et abdomino-pelvienne si adénopathie gauche (ganglion de Troisier) et doivent toujours être bilantés, même chez les enfants. En effet, on retrouve une néoplasie dans 54 à 85% des cas (4, 5).

Adénopathie axillaire

Les infections des membres supérieurs sont une cause potentielle d’adénopathie axillaire. Il faut également penser à la maladie des griffes du chat ou plus rarement à la tularémie si contact avec du gibier. L’absence de source infectieuse ou de lésions traumatiques est très suspecte pour une étiologie maligne de type lymphome. Les adénocarcinomes mammaires peuvent également métastaser aux ganglions axillaires, qui peuvent être palpables avant même la découverte de la tumeur primitive. Les néoplasies pulmonaires, thyroïdienne, pancréatique, ovarienne, colo-rectal, rénale ou les mélanomes peuvent aussi métastaser dans le creux axillaire.

Adénopathie inguinale

Des ganglions mesurant 1 à 2 cm peuvent être palpables chez des adultes en bonne santé. Si l’adénopathie mesure > 2cm, il faut rechercher une infection ou un cancer dans le territoire de drainage (membres inférieurs, organes génitaux, périnée). Les étiologies courantes comprennent les infections sexuellement transmissibles telles que l’herpès simplex, le lymphogranulome vénérien, ou la syphilis. Les lymphomes, qu’ils soient de type hodgkinien ou non hodgkinien, sont rarement présents dans la région inguinale.

Adénopathies généralisées

Un large éventail de maladies systémiques peut être associé à des polyadénopathies. Voici quelques maladies particulièrement importantes à évoquer face à une clinique évocatrice :

Mononucléose infectieuse : La mononucléose classique est causée par le virus EBV (Epstein-Barr virus) et touche les patients entre 15 et 40 ans généralement. Elle se caractérise par un syndrome grippal, une angine, des adénopathies cervicales bilatérales dans 75% des cas (généralement la chaîne cervicale postérieure) et généralisées dans 50%. Une spénomégalie est parfois présente. Les adénopathies culminent au cours de la première semaine, puis diminuent graduellement de taille pendant les deux à trois semaines suivantes. Biologiquement, on note la présence de lymphocytes réactionnels et la présence d’IgM anti-EBV. Aucun traitement n’est nécessaire chez le patient immunocompétent. Certains autres virus ou parasites, comme le CMV, le HIV, ou la toxoplasmose, peuvent également être responsables de syndrome mononucléosique.

HIV : Des adénopathies cervicales multiples apparaissent au moment de la primo-infection. Elles disparaissent ensuite ou s’installent dans toutes les aires ganglionnaires. Elles vont disparaître après plusieurs années. Ce sont des ganglions cliniquement silencieux.

Mycobactéries : Les infections mycobactériennes peuvent donner des polyadénopathies ou se présenter sous la forme d’une adénopathie unique, en particulier dans le cou. Ces adénopathies ont alors tendance à la fistulisation (écrouelle). L’intradermoréaction à la tuberculine est généralement positive. Mycobacterium tuberculosis est la cause habituelle chez les adultes; d’autres mycobactéries, telles que M. avium et M. scrofulaceum, sont plus fréquents chez les enfants.

Lupus érythémateux disséminé: Environ 50% des patients avec un lupus ont des polyadénopathies. Elles sont plus fréquentes au diagnostic et associées aux exacerbations. Ces adénopathies sont souvent discrètes et localisées en cervical, axillaire et inguinal.

Sarcoïdose : 40% des patients présentent des adénopathies périphériques. La plupart présentent également des adénopathies hilaires symétriques, assez caractéristiques, ainsi que des images réticulo-nodulaires au niveau du parenchyme pulmonaire. Sur le plan symptomatique, les patients ont souvent des plaintes respiratoires, telles que de la toux et une dyspnée, associés à des plaintes systémiques comme de la fièvre et une perte de poids.

Médicamenteux : La présence de polyadénopathies peut être secondaire à une réaction de type hypersensibilité retardée . Elle apparaît souvent au 9ème-15ème jour de la prise médicamenteuse. Elle peut être associée à des symptômes de fièvre, myalgies, atrhralgies ou éruption cutanée. Les molécules les plus souvent associées sont les antibiotiques (aminopénicilline, céphalosporines, sulfamidés), les anti-épileptiques (carbamazéine, phénytoïne) et l’allopurinol (Tableau 2).

Lymphome : Le diagnostic de lymphome doit être systématiquement envisagé devant toute polyadénopathie, d’autant plus si elle est associée à la présence de symptômes B. Les ganglions sont généralement fermes et indolores.

Examens complémentaires

La prescription d’examens complémentaires doit être raisonnée et graduelle, guidée par le contexte clinique et l’évolution. En l’absence d’étiologie, lorsque l’adénopathie est isolée avec peu de symptômes associés, des explorations complémentaires, et ce y compris une biopsie, seront envisagées en cas de persistance au-delà d’un délai de trois semaines à un mois. Il n’y a pas de consensus sur la période d’observation appropriée pour les adénopathies inexpliquées. Plusieurs auteurs suggèrent que la présence d’adénopathies inexpliquées au-delà d’un mois mérite des investigations complémentaires. Il ne faut jamais prescrire de corticostéroïdes à l’aveugle avant d’avoir un diagnostic de certitude, car cela risquerait de négativer les éventuelles biopsies à venir.

Biologie sanguine

Débuter par un examen biologique nous semble judicieux. En effet, celui-ci est facile d’accès en médecine générale. On recherchera la présence d’un syndrome inflammatoire, d’un syndrome mononucléosique (hyperlymphocytose réactionnelle), la présence ou non de cellules blastiques. Les sérologies EBV, CMV, HIV, toxoplasmose, Bartonella henselae ne sont pas systématiques mais guidées par la présentation clinique. Une intradermoréaction à la tuberculine peut être réalisée à la recherche d’une tuberculose. On peut également doser les anticorps anti-nucléaires et le facteur rhumatoïde devant une clinique évocatrice d’une maladie auto-immune. En cas de suspicion d’hémopathie, un immunophénotypage sanguin est indiqué. Les lactates déshydrogénases (LDH), l’acide urique et la bêta-2-microglobuline permettent d’évaluer la masse tumorale et seront utiles pour établir le score pronostic en cas d’hémopathie.

Évaluation radiologique

Celle-ci doit être intelligemment guidée par la clinique et la biologie.

L’évaluation radiologique a essentiellement pour but de : préciser la taille de l’adénopathie, de rechercher d’autres adénopathies profondes et/ou une hépatosplénomégalie, d’exclure une néoplasie primitive éventuelle et également d’aiguiller vers la cible la plus facile d’accès à la biopsie.

Les modalités de l’imagerie sont multiples et peuvent varier de la simple échographie, au 19FDG-PET-scanner. Ce dernier donnant une cartographie précise de l’ensembles des territoires ganglionnaires entrepris.

Ponction ou biopsie ganglionnaire

En l’absence de cause précise ou devant une adénopathie suspecte, un examen anatomo-pathologique est indispensable. Une ponction avec analyse cytologique ou bactériologique pourra être proposée dans le cas d’un cancer solide ou d’une infection, mais la biopsie sera préférée pour les cancers hématologiques. En effet, la ponction ne permet pas de préciser l’architecture ganglionnaire, à l’inverse de la biopsie,. Il existe toutefois une exception, lorsque la localisation du ganglion ne permet pas une biopsie, une ponction sera alors réalisée (ex : ponction par écho-endoscopie bronchique ou EBUS).

En cas de polyadénopathie, la biopsie doit être réalisée idéalement au niveau d’une adénopathie la plus facilement accessible mais aussi celle dont les caractéristiques cliniques et métaboliques la rendent la plus suspecte. Notons que les adénopathies inguinales offrent le rendement le plus faible, tandis que les sus-claviculaires ont le rendement le plus élevé.

Recommandations pratiques

Chez la plupart des patients en médecine générale, les adénopathies sont secondaires à un processus réactionnel ou infectieux facile à diagnostiquer. Lorsque l’origine de l’adénopathie demeure inexpliquée, une période d’observation de trois à quatre semaines est appropriée lorsque le contexte clinique indique une forte probabilité de maladie bénigne (Figure 1).

A contrario, si le patient présente des « Red Flags » (Tableau 3), il est conseillé de le référer en milieu hospitalier pour un complément d’imagerie et une biopsie.

 

Affiliations

1. Cliniques universitaires Saint-Luc, Departement d’Hématologie,B-1200 Bruxelles, Belgique

Correspondance

Dr. Inès Dufour
Cliniques universitaires Saint-Luc
Departement d’Hématologie
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles, Belgique

Références

  1. Gaddey HL, Riegel AM. Unexplained Lymphadenopathy: Evaluation and Differential Diagnosis. Am Fam Physician. 2016; 94(11): 896-903.
  2. Fijten GH, Blijham GH. Unexplained lymphadenopathy in family practice. An evaluation of the probability of malignant causes and the effectiveness of physicians’ workup. J Fam Pract. 1988; 27(4): 373-6.
  3. Morland B. Lymphadenopathy. Arch Dis Child. 1995; 73(5): 476-9.
  4. Ellison E, LaPuerta P, Martin SE. Supraclavicular masses: results of a series of 309 cases biopsied by fine needle aspiration. Head Neck. 1999; 21(3): p. 239-46.
  5. Karadeniz C, et al. The etiology of peripheral lymphadenopathy in children. Pediatr Hematol Oncol. 1999; 16(6): 525-31.