Prise en charge d’une fracture du radius distal chez l’adulte : le bon traitement pour le bon patient

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Antoine Vanderlinden, Ghady El Khoury, Maxime Bonnelance, Xavier Libouton, Olivier Barbier Publié dans la revue de : Mai 2022 Rubrique(s) : Orthopédie
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Résumé de l'article :

La fracture du radius distal est la fracture la plus fréquemment rencontrée dans nos services d’urgences (1). L’objectif de sa prise en charge est la récupération de la fonction nécessaire et non douloureuse (2).

Le choix du traitement dépendra des caractéristiques anatomiques de la fracture ainsi que de la demande fonctionnelle du patient, elle peut aller d’une immobilisation par contention élastique à une prise en charge chirurgicale complexe (1).

Chez les patients qui ont une demande fonctionnelle élevée, le traitement chirurgical des fractures qui présentent un des critères radiologiques suivants après réduction par manœuvres externes : un raccourcissement du radius de plus de 3 mm, une bascule postérieure de plus de 10° ou un déplacement intra-articulaire de plus de 2 mm, mène à de meilleurs résultats cliniques et radiologiques que le traitement conservateur (3). À l’inverse, avec une demande fonctionnelle limitée, un traitement conservateur doit être privilégié (3), celui-ci donnant les mêmes résultats fonctionnels et moins de complications que la chirurgie (3).

Cet article propose une stratégie de prise en charge et de suivi des fractures du radius distal chez l’adulte.

Que savons-nous à ce propos ?

La fracture du radius constitue la première localisation de fracture au niveau du membre supérieur (1) et constitue avec la fracture de la hanche les deux localisations les plus fréquentes de fractures dans nos services d’urgences (4).

Les modalités de prise en charge sont multiples, allant de la simple contention à des traitements chirurgicaux complexes.

Que nous apporte cet article ?

Cet article propose un guide pour la prise en charge des fractures du radius distal chez l’adulte basé sur les connaissances actuelles, tenant compte des caractéristiques de la fracture et du patient.

L’immobilisation plâtrée après réduction de la fracture constitue la base du traitement. En cas d’insuffisance de réduction, d’instabilité ou de déplacement articulaire, la chirurgie est indiquée chez les patients jeunes avec des demandes fonctionnelles élevées car dans ce groupe, la fonction et l’anatomie sont en étroite relation.

Mots-clés

Fracture du radius distal, traitement

Article complet :

Introduction

La fracture du radius distal est l’une des fractures les plus fréquemment rencontrées dans nos services d’urgences en Europe, et sa prévalence ne va faire qu’augmenter avec le vieillissement de notre population (2). Son incidence est de 195,2/100.000, ce qui est comparable à celle des fractures de hanche (4).

La distribution de ce type de fracture en fonction de l’âge est bimodale. Il existe un premier pic dû à des traumatismes à haute énergie chez des individus jeunes (5-24 ans) avec un os de bonne qualité. Le second pic a lieu principalement après un traumatisme de faible énergie dans une population composée majoritairement de femmes ménopausées avec un os ostéoporotique (1,5). La densité osseuse de cette dernière population devra donc systématiquement être investiguée dans le décours d’une fracture du radius distale.

La planification du traitement de ces fractures dépend largement de l’âge et des demandes fonctionnelles des patients. La perception de celles-ci est en partie subjective, rendant l’orientation thérapeutique plus difficile.

L’association entre les fractures du radius distal et la densité minérale osseuse chez la femme ménopausée est bien établie. Ces patientes sont également plus à risque de tassements vertébraux, de fracture de l’humérus proximal ainsi que du fémur proximal. C’est pourquoi un bilan d’ostéoporose/ostéopénie devrait être initié à la suite de ces fractures chez la personne âgée (5).

Clinique

Le patient présente une douleur au niveau du poignet tant au repos qu’à la mobilisation. On observe fréquemment un gonflement et une déformation du poignet. Devant ces fractures du poignet, surtout dans le cadre d’un traumatisme à haute énergie, un bilan clinique soigneux doit être réalisé dès l’arrivée. Il faut toujours rechercher une souffrance nerveuse, notamment du nerf médian (6). La recherche d’une plaie cutanée devra être réalisée afin de déterminer le caractère fermé ou ouvert de la fracture.

En cas de suspicion d’une fracture du radius, une immobilisation temporaire sera réalisée et des radiographies de face et de profil seront demandées.

Imagerie

La précision des images doit être adaptée au groupe de patients : les patients avec des demandes fonctionnelles élevées/ les patients avec une faible demande fonctionnelle.

Pour une fracture, chez un patient présentant une faible demande fonctionnelle, dans la grande majorité des cas, les radiographies seront suffisantes à la prise de décision thérapeutique, tandis que pour une fracture chez un patient avec une grande demande fonctionnelle un complément par CT scanner sera souvent utile en cas de fracture intra-articulaire.

Les radiographies du poignet et du coude sont essentielles au bilan des fractures du radius distal, permettant aussi de s’assurer qu’il n’y ait pas d’autres lésions osseuses associées.

L’analyse doit se faire sur une imagerie radiologique de bonne qualité. Un minimum de deux incidences sera nécessaire : antéro-postérieure et profil (Figure 1).

Deux groupes de patients

Ils seront distingués selon l’âge et les demandes fonctionnelles du patient.

L’art du médecin expérimenté consistera grandement à percevoir toutes les dimensions de son patient pour l’orienter vers le traitement le plus adéquat.

Fractures chez les patients qui ont une faible demande fonctionnelle

Face aux fractures chez un patient avec une faible demande fonctionnelle, le meilleur facteur radiographique prédictif de la fonction est l’alignement du carpe et du radius (4,5,7). C’est ce que l’on cherche à contrôler par les radiographies de face (Figure 2a) et de profil (Figure 2b).

Le respect de la congruence articulaire a son importance mais peut être relativisé dans cette catégorie de fractures. Il a été démontré que 100% des fractures qui présentaient un déplacement intra-articulaire de plus de 2mm, menaient à un poignet arthrosique (5), mais contrairement aux idées reçues, les répercussions cliniques d’arthrose radio-carpienne sont limitées et incertaines (4,5).

Fractures chez les patients qui ont des demandes fonctionnelles élevées

Dans ce cadre, les critères d’analyses seront plus stricts, et suivront les recommandations de l’American Academy of Orthopedic Surgeon (AAOS) de 2009 (et ses révisions suivantes (3)).

Les déformations maximales acceptables sont :

-bascule dorsale jusqu’à 10° ;

- raccourcissement du radius jusqu’à 3 mm ;

- déplacement intra articulaire jusqu’à 2 mm.

Des déformations plus marquées appellent un traitement chirurgical qui améliore les résultats radiologiques et cliniques (3).

Plan de traitement

Le traitement orthopédique ou chirurgical de la fracture du radius a pour objectif l’antalgie et le retour à une bonne fonction du poignet (2). Les critères radiologiques recherchés dépendent du groupe de patients auquel le traitement s’adresse (patients avec une faible demande fonctionnelle/patients avec des demandes fonctionnelles élevées) (8).

Fractures chez les patients qui ont une faible demande fonctionnelle

L’objectif du traitement dans cette population (Figure 3) est l’atteinte d’une consolidation avec conservation de l’axe radius-carpe (correspondant aussi habituellement à un raccourcissement modéré du radius par rapport à l’ulna).

Fractures chez les patients qui ont demandes fonctionnelles élevées

Il faut être plus précis sur le rétablissement de l’anatomie dans cette population. Le traitement sera chirurgical si l’imagerie met en évidence un raccourcissement du radius de plus de 3 mm, une bascule postérieure de plus de 10° ou un déplacement articulaire de plus de 2 mm (Figure 4).

Pour tous les groupes de patients, d’emblée ou après réduction par manipulation ou chirurgie, l’immobilisation sera confiée à une attelle plâtrée hémicirconférentielle ou à un plâtre circulaire fendu (en plâtre de Paris) réalisée dans un service d’urgences ou au bloc opératoire pour une durée de 48-72 heures. La raison de cela est de permettre au membre traumatisé de gonfler un peu sans risquer de conflit avec un plâtre circulaire, ce qui risquerait de mener à un syndrome des loges. Le poignet sera surélevé, au minimum à hauteur du cœur, pour favoriser le drainage et éviter le gonflement.

Si une prise en charge chirurgicale est retenue par l’orthopédiste, elle peut varier d’un fixateur externe à une chirurgie plus complexe (Figure 5).

Caractéristiques du plâtre

Le poignet sera immobilisé par un plâtre antébrachial en rectitude ou flexion dorsale (9). L’extrémité proximale commence à 3 travers de doigts du pli de coude, et l’extrémité distale s’arrête en dorsal sur les têtes des métacarpiens et en palmaire, sur le pli distal.

L’immobilisation de la pro-supination par la mise en place d’une attelle brachio anté-brachial (BAB) n’a pas montré de supériorité à une immobilisation antébrachiale (AB) avec le coude libre pour la fracture de l’extrémité distale du radius extra articulaire (10).

Cependant, nous immobilisons fréquemment les patients les 3 premières semaines par un plâtre brachio anté-brachial pour des raisons antalgiques.

Nous ne conseillons pas l’immobilisation en flexion palmaire, inclinaison ulnaire (position Cotton-Loder) qui semble mener à plus de rigidité du poignet, plus de compression du nerf médian (5) ainsi qu’une perte de force des fléchisseurs plus importante alors qu’elle ne participe pas au maintien de la réduction (9).

La réduction est maintenue par la tension du périoste, les tendons adjacents ainsi que la restauration de la corticale antérieure. La qualité de l’os (souvent corrélée à l’âge) a également une grande importance pour le maintien de la réduction (9).

Après 3 semaines, l’immobilisation est habituellement poursuivie par un « plâtre synthétique » antébrachial pour 3 semaines complémentaires (Figure 6).

Suivi

Les premières semaines il faudra veiller à diminuer le gonflement ainsi que la douleur. Pour ce faire, plusieurs conseils seront prodigués au patient. (

1) Garder la main surélevée, c’est-à-dire au-dessus de son cœur.

(2) Placer du froid par-dessus le plâtre, à raison de 20 minutes 4 fois par jour.

(3) Mobiliser les doigts.

(4) Il est également très important de prescrire des antalgiques en suffisance.

Recommandations de Saint-Luc (Pr. Lavand’Homme) :

L’antalgie préconisée devra être adaptée au patient (âge, antécédents,..).

Elle sera à base de paracétamol (3-4gr/jour), d’anti-inflammatoire non stéroïdien à longue durée d’action et de tramadol à courte durée d’action (max 400 mg/24h).

De la morphine à courte durée d’action (MS direct) peut également être proposée en cas de douleur récalcitrante.

Suivi radiographique

Le patient sera revu par son orthopédiste pour contrôle clinique et radiologique.

- Si une réduction a été réalisée, les contrôles seront organisés à 1-2-3-4 et 6 semaines. Ces contrôles rapprochés auront pour but de mettre rapidement en évidence un déplacement secondaire des fractures qui seront alors qualifiées d’instable (30-50% des fractures réduite) (4). Le risque de déplacement secondaire à partir de la 4ième semaine est presque nul (8).

- Si la fracture n’a pas nécessité de réduction ou qu’elle a bénéficié d’une chirurgie, les contrôles seront organisés à 1-3-6 semaines. Et ce pour s’assurer que la fracture reste bien alignée et que le matériel de synthèse reste bien positionné.

Rééducation

Après la période d’immobilisation stricte par plâtre, le patient sera encouragé à mobiliser son poignet. Les données actuelles ne sont pas suffisantes pour conclure à la nécessité d’un accompagnement par un kinésithérapeute (2) comparé aux exercices non supervisés (3).

Une attelle amovible, à visée antalgique, pourra être prescrite à la sortie du plâtre.

Il est important de rappeler que la récupération des amplitudes articulaires se fait sur plusieurs mois. Il a été démontré que la mobilité ne s’améliore que peu après la première année (4) et se stabilise en fin de deuxième année.

Complications

Lors du suivi, le praticien sera également attentif aux différentes complications possibles.

- Syndrome des loges.

- Syndrome du canal carpien (3%) (4).

- Compression de la branche sensitive du nerf radial (11).

- Problème de vascularisation des doigts.

- Complications cutanées (macération, points de pressions, escarres).

- Syndrome douloureux régional complexe (11) (il faut le suspecter en cas d’œdème et douleur importante).

- Ruptures tendineuses (2%) (4) (en cas de douleurs au niveau du 3e compartiment des extenseurs il faut demander un contrôle échographique pour dépister la rupture du long extenseur du pouce qui survient généralement en fin de traitement).

- Infection sur matériel de synthèse.

Des complications au long cours sont également décrites telles que la pseudarthrose (rare), l’arthrose, la raideur ainsi que la rupture du long fléchisseur du pouce (suite au conflit avec une plaque palmaire).

Affiliations

Clinique Universitaire du Membre Supérieur (CUMS), Cliniques universitaires Saint-Luc, Service d’orthopédie et de traumatologie de l’appareil locomoteur, B-1200 Bruxelles

Correspondance

Dr. Antoine Vanderlinden
Clinique Universitaire du Membre Supérieur (CUMS)
Cliniques universitaires Saint-Luc
Orthopédie et Traumatologie de l’appareil locomoteur
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles

Références

  1. Rundgren J, Bojan A, Mellstrand Navarro C, Enocson A. Epidemiology, classification, treatment and mortality of distal radius fractures in adults: an observational study of 23,394 fractures from the national Swedish fracture register. BMC Musculoskelet Disord. 2020;21(1):88. Published 2020 Feb 8. doi:10.1186/s12891-020-3097-8
  2. Levin L. S, Rozell J. C, Pulos N. Distal Radius Fractures in the Elderly. J Am Acad Orthop Surg. 2017; 25:179-187. doi: 10.5435/JAAOS-D-15-00676
  3. American Academy of Orthopaedic Surgeons. Management of Distal Radius Fractures Evidence-Based Clinical Practice Guideline. www.aaos.org/drfcpg. Published December 5, 2020.
  4. Barbier O. Fracture de l’extrémité distale du radius. In Orthopédie et traumatologie pratiques, BANSE X, BARBIER O, DOCQUIER PL (ss dir.), Université catholique de Louvain, Bruxelles, 2014.
  5. Wolfe S. W. Green’s operative hand surgery, seventh edition, 2017. In : Distal radius fracture, 1607- 2205.
  6. Camps C, Durant A, Merle M. Traitement des fractures articulaires partielles de l’extrémité distale du radius du sujet jeune actif. Hand Surg Rehab. 2016 ; S126-S132
  7. Hohmann E, Meta M, Navalgund V, Tetsworth K. The relationship between radiological alignment of united distal radius fractures and functional and patient-perceived outcomes in elderly patients. Journal of Orthopaedic Surgery. January 2017. doi:10.1177/2309499016684976
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  10. Caruso G, Tonon F, Gildone A, et al. Below-elbow or above-elbow cast for conservative treatment of extra-articular distal radius fractures with dorsal displacement: a prospective randomized trial. J Orthop Surg Res. 2019;14(1):477. Published 2019 Dec 30. doi:10.1186/s13018-019-1530-1
  11. Mulders MAM, Walenkamp MMJ, Goslings JC, Schep NWL. Internal plate fixation versus plaster in displaced complete articular distal radius fractures, a randomised controlled trial. BMC Musculoskelet Disord. 2016;17:68. Published 2016 Feb 9. doi:10.1186/s12891-016-0925-y