L’ostéome ostéoïde intra-articulaire du coude : une pathologie rare mimant une synovite inflammatoire chez un jeune patient. Diagnostic et traitement

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Daniel Glesener, Jean-François De Wispelaere, Jean-François Nisolle, Yves Boutsen Publié dans la revue de : Mars 2021 Rubrique(s) : Cas cliniques
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Résumé de l'article :

L’ostéome ostéoïde est une petite tumeur osseuse bénigne du jeune adulte, atteignant habituellement les portions extra-articulaires du squelette appendiculaire des membres inférieurs et du rachis et provoquant une douleur inflammatoire avec une recrudescence nocturne. Nous rapportons le cas d’un patient de 16 ans qui présente une localisation intra-articulaire rare de la palette humérale du coude, compliquée d’une arthrite réactionnelle. Cette atteinte inflammatoire peut causer une impotence fonctionnelle irréversible en cas de diagnostic et de prise en charge retardés. La thermoablation percutanée par radiofréquence sous guidage scanographique en ambulatoire, moins invasive que la chirurgie, est devenue le traitement de référence. Ce cas clinique illustre les particularités cliniques atypiques, diagnostiques et thérapeutiques de cette pathologie rare.

Mots-clés

Ostéome ostéoïde, intra-articulaire, tumeur bénigne, arthrite inflammatoire, coude, thermoablation percutanée par radiofréquence sous contrôle scanographique

Article complet :

Introduction

L’ostéome ostéoïde est une tumeur osseuse atteignant majoritairement les os longs des membres inférieurs (les fémurs et les tibias dans 75% des cas) et le rachis. La localisation intra- ou périarticulaire compliquée d’une arthrite et d’un déficit de la mobilisation est rare, notamment au niveau de la palette humérale du coude (1), raison pour laquelle le diagnostic est souvent malaisé à établir et retardé. Nous rapportons le cas d’un patient de 16 ans, chez lequel une ablation percutanée par radiofréquence a été réalisée avec succès.

Cas clinique

Un jeune homme de 16 ans nous est adressé en raison d’une arthrite du coude gauche, d’apparition spontanée et isolée persistant depuis 14 mois. Il a eu dans un premier temps une tuméfaction douloureuse du coude. Progressivement, il développe une ankylose articulaire, alors que les phénomènes inflammatoires diminuent spontanément. Lorsqu’il se présente en consultation, il signale encore une symptomatologie douloureuse, essentiellement nocturne. Il ne décrit pas de psoriasis, de phénomène de Raynaud, ni d’autre douleur articulaire. L’examen clinique retrouve un déficit de 30° en extension, une mobilité limitée à 90° en flexion, ainsi qu’une amyotrophie du bras gauche. La prono-supination est relativement conservée. Cliniquement, le coude ne présente plus de synovite exsudative ni de réaction inflammatoire cutanée.

Plusieurs diagnostics différentiels ont été évoqués précédemment, notamment une suspicion d’ostéochondrite, d’entorse traumatique, de tendinite, d’algodystrophie, d’arthrite ou de crise de goutte. Les douleurs sont bien soulagées par la prise d’anti-inflammatoires non-stéroïdiens (piroxicam 20 mg par jour), mais ce traitement n’a jamais permis d’obtenir une amélioration de la mobilité articulaire.

Biologiquement et sérologiquement, il n’y pas d’anomalie hormis une légère hyperuricémie à 7.5 mg/dl. Deux scintigraphies osseuses (figure I) réalisées 5 mois et 9 mois après le début des symptômes avaient documenté une hyperfixation de l’articulation cubito-humérale gauche mais une résonance magnétique (figure II) et un arthro-scanner du coude gauche réalisés respectivement après 1 mois et 4 mois d’évolution s’étaient révélés négatifs. Une radiographie standard (figure III), réalisée après plus d’un an d’évolution, détecte de petites calcifications en projection antérieure à la fosse coronoïde associées à des appositions périostées.

 

Devant le caractère inflammatoire des douleurs et la notion « d’arthrite » sans anomalie biologique, le diagnostic d’ostéome ostéoïde est évoqué et finalement confirmé par un CT-scanner en coupes fines (figure IV) par la présence d’un nidus d’un diamètre de 8 mm de la palette humérale et d’appositions périostées de voisinage. La biopsie du nidus réalisée préalablement à la thermoablation par radiofréquence a mis en évidence une substance ostéoïde immature compatible avec un ostéome ostéoïde. Le patient est revu en consultation 9 mois après l’intervention. Il ne présente plus aucune limitation fonctionnelle et le nidus s’est ré-ossifié sans lésion séquellaire scanographique (figure V), si ce n’est la persistance d’un minime ostéophyte postérieur au niveau de la fossette olécranienne qui ne cause pas d’obstacle mécanique significatif.

Discussion

L’ostéome ostéoïde représente 2-3% des tumeurs osseuses et 12% des tumeurs osseuses bénignes, il atteint surtout les sujets masculins âgés de 20 à 30 ans. Décrit pour la première fois en 1935 par Jaffe (2) comme entité unique, l’ostéome ostéoïde excède rarement un diamètre de 1,5-2 cm et se présente sous la forme de tissu ostéoïde trabéculé contenu dans une substance ostéogénique fortement vascularisée. La zone de tissu ostéoïde appelée nidus, est cernée d’une ostéosclérose périphérique réactionnelle.

Dans 75% des cas, l’ostéome ostéoïde atteint la diaphyse des os longs des membres inférieurs mais toutes les structures osseuses peuvent être concernées. Sa localisation intra-articulaire, plus fréquemment rencontrée en coxo-fémoral et au poignet, est rare et ne représente que 10% des cas décrits. La localisation au coude n’est que très rarement rapportée. Dans une série de patients de 331 cas, établie par Dahlin (3), 12 ostéomes ostéoïdes seulement se localisaient au niveau du coude.

Cliniquement, la douleur d’expression inflammatoire, nocturne et soulagée par la prise d’anti-inflammatoires non-stéroïdiens ou de salicylés, constitue le symptôme caractéristique. Les localisations sous-périostées ou intra-articulaires posent souvent des problèmes de diagnostic de par leur symptomatologie, associée à une arthrite avec perte d’amplitude articulaire. Kattapuram et al. (4) ont rapporté un délai de diagnostic de 4 mois à 5 ans chez 23 des 25 cas. Ce retard de diagnostic est un des facteurs principaux de complication au long terme des ostéomes ostéoïdes intra-articulaires, la persistance de l’inflammation réactionnelle causée par la tumeur pouvant induire une chondrolyse irréversible.

Les patients atteints d’ostéome ostéoïde ne présentent pas de signes systémiques ni biologiques spécifiques.

La radiographie standard peut mettre en évidence le nidus arrondi, peu radio-opaque, entouré d’un halo présentant une densité osseuse majorée. Park et al. (5) ont constaté que 28.6% des ostéomes ostéoïdes avec haute suspicion clinique ne présentent pas d’anomalie radiographique. Le décalage entre l’apparition de la symptomatologie et les signes radiologiques en est la cause principale, raison pour laquelle d’autres techniques d’imagerie complémentaires doivent être considérées en cas de discordance entre la clinique et l’imagerie.

La scintigraphie osseuse présente une sensibilité qui atteint les 100% et peut montrer un signe de double intensité sous forme d’un « hot spot », spécifique de l’ostéome ostéoïde, défini par une avidité centrale pour le produit de contraste, entouré d’une périphérie moins avide, correspondant à la zone de sclérose osseuse réactionnelle. Elle ne permet pas de confirmer le diagnostic positif mais sert à cibler les autres examens d’imagerie, d’autant plus si la radiographie standard est négative (5).

L’IRM n’est que rarement indiquée étant donné la présence d’une trame osseuse réactionnelle d’une part et d’un œdème de la moelle osseuse pouvant masquer les caractéristiques typiques de la tumeur d’autre part, menant in fine à manquer le diagnostic dans 35% des cas, comme chez notre patient (6). L’IRM est utile pour le diagnostic différentiel si la scintigraphie osseuse est négative (5).

Le CT-scanner constitue l’examen de choix. À condition de réaliser des coupes fines, millimétriques, il permet de retrouver un nidus radiotransparent en cocarde pouvant contenir des calcifications centrales (7). Il augmente la spécificité du diagnostic par cette image pathognomonique par rapport à la radiographie standard et la scintigraphie. Szendroi et al. (8) ont rapporté une spécificité de 66% du CT-scanner pour les ostéomes ostéoïdes intra-articulaires et de 90% pour les localisations extra-articulaires. Il permet par ailleurs de visualiser les calcifications et la délimitation exacte du nidus, ce qui est important pour définir la stratégie thérapeutique des atteintes articulaires complexes.

L’arthro-scanner n’a pas d’intérêt pour le diagnostic d’ostéome ostéoïde intra-articulaire. Chez notre patient, l’injection de produit de contraste iodé a masqué l’ostéome sur le premier CT-scanner réalisé. Sur le plan thérapeutique, les anti-inflammatoires non-stéroïdiens ainsi que les dérivés salicylés constituent le traitement de choix de première ligne pour les ostéomes paucisymptomatiques et extra-articulaires. En effet, le nidus sécrète en abondance des prostaglandines (PGE2 et PGI2) qui induisent la douleur inflammatoire et la chondrolyse en cas d’atteinte intra-articulaire (9). La résolution algique définitive est obtenue après en moyenne 33 mois de traitement anti-inflammatoire par sclérose progressive du nidus hyperactif.

Le traitement médical par anti-inflammatoires peut être considéré comme une option satisfaisante en cas de lésion osseuse extra-articulaire, mais compte tenu du risque de chondrolyse, il faut proposer une ablation de la lésion en cas de localisation intra-articulaire.

L’exérèse osseuse chirurgicale en bloc fut longtemps considérée comme le traitement de référence mais elle est de moins en moins pratiquée depuis l’avènement d’alternatives moins invasives ces dernières 20 années (1), parmi lesquelles notamment, la technique d’ablation percutanée par radiofréquence sous guidage scanographique, ici réalisée sous CB-CT (cone beam computed tomography) (figure VI). Proposée en 1992 par Rosenthal (10), cette dernière est devenue le traitement de choix de l’ostéome ostéoïde par son efficacité, sa sécurité et son coût. Il existe des avantages supplémentaires de cette technique par rapport à l’agressivité invasive disproportionnée de la chirurgie traditionnelle face à la bénignité de la tumeur, d’autant plus pour les lésions de petite taille de localisation complexe intra-ou périarticulaire, difficilement accessibles et pour lesquelles seul le traitement médical était possible. Le taux de succès rapporté est proche de 100% et le taux de récidive est d’environ 5% au long cours (11). Les complications peuvent être à la fois directes, liés à la trajectoire percutanée de l’aiguille ; et indirectes, par d’éventuels dommages thermiques des structures vasculaires, nerveuses, articulaires (cartilage, capsule, ligaments, tendons) musculaires ou cutanées. Des cas de chondrolyse focale iatrogène suite à une atteinte cartilagineuse lors du forage et de l’ablation par radiofréquence ont été rapportés, raison pour laquelle cette technique doit être utilisée avec précaution (après planification méticuleuse de l’intervention sur base de l’imagerie) dans les lésions complexes, notamment des articulations portantes (12). Certains auteurs ont utilisé des sondes pour surveiller la température per-procédurale en temps réel ou des électrodes refroidies à l’eau afin d’éviter les dommages thermiques à proximité des structures anatomiques délicates et des petites articulations (13).

Seuls quelques cas de résection arthroscopique d’ostéomes ostéoides péri-et intra-articulaires sont décrits. L’arthroscopie du coude offre une bonne vue de l’espace articulaire. Le nidus peut être vu et localisé avec précision, mais l’excision complète de lésions de taille importante est souvent difficile et entraîne des résultats thérapeutiques insuffisants. Une résection excessive, surtout en cas de tumeurs profondes, peut endommager la structure articulaire adjacente. Par ailleurs, une dissection prudente est nécessaire en présence d’adhérences intra-articulaires secondaires à la chronicité de l’atteinte afin de prévenir des complications neurovasculaires iatrogènes (14).

Le désavantage majeur consiste en l’absence de documentation histologique si le geste thérapeutique n’est pas précédé d’une biopsie, que ce soit par radiofréquence percutanée ou par arthroscopie.

Notons par ailleurs que le résultat est intimement lié au repérage précis du nidus et à sa résection complète (15), et ceci quelle que soit l’attitude interventionnelle. La littérature ne fournit pas de données quant à un éventuel risque de dissémination locale en fonction des techniques utilisées.

Conclusion

Compte tenu du mimétisme avec de multiples pathologies articulaires inflammatoires, le diagnostic d’ostéome ostéoïde intra-articulaire reste difficile et souvent retardé. La localisation à la palette humérale est exceptionnelle. L’ostéome ostéoïde doit être évoqué lors du diagnostic différentiel d’une arthrite inexpliquée chez un patient jeune, surtout en l’absence d’anomalie biologique. Le diagnostic radiologique d’un ostéome ostéoïde repose sur l’indentification d’un nidus aux caractéristiques bien définies. Ceci peut s’avérer complexe en cas de remaniements inflammatoires secondaires importants ou de localisation intra-articulaire, comme le démontre ce cas clinique où l’IRM et l’arthroscanner n’ont pas permis de mettre en évidence le nidus, alors qu’une radiographie standard puis un CT-scanner sans injection intra-articulaire de produit de contraste ont finalement permis de diagnostiquer l’ostéome ostéoïde. Il importe ainsi d’envisager la réalisation d’un scanner osseux en cas de synovite persistante et non-expliquée par d’autres méthodes d’imagerie, d’autant plus si une scintigraphie osseuse démontre une hyperfixation pathologique, étant donné que le retard diagnostic et la prise en charge tardive peuvent entraîner des conséquences irréversibles par chondrolyse chronique ou une ankylose articulaire secondaire. La thermoablation percutanée par radiofréquence sous contrôle scanographique est devenue le traitement de référence, surtout pour les atteintes intra-articulaires.

Affiliations

Université catholique de Louvain, CHU UCL Namur, B-5530, Yvoir, Belgique
1. Département de Rhumatologie
2. Département de Radiologie

Correspondance

Dr. Daniel Glesener
CHU UCL Namur
Département de Rhumatologie
Avenue G. Therasse 1
B-5530, Yvoir, Belgium
daniel.glesener@student.uclouvain.be

Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt

Références

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