« La colonne brisée » - Frida Kahlo

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Chantal Daumerie Publié dans la revue de : Octobre 2021 Rubrique(s) : Ama Contacts
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Résumé de l'article :

Peut-être avez-vous été comme moi en regardant pour la première fois ce tableau intitulé « La colonne brisée », peint par Frida Kahlo ?

Un effroi nous glace le corps…

Il y a du Bacon, il y a du Pollock.

Article complet :

Peut-être avez-vous été comme moi en regardant pour la première fois ce tableau intitulé « La colonne brisée », peint par Frida Kahlo ?

Un effroi nous glace le corps…

Il y a du Bacon, il y a du Pollock.

Le temps d’un instant, celui de se ressaisir.

Le temps de scruter les détails comme on scrute les replis de sa conscience.

Et là surgit soudain cette compassion qui est le propre de notre condition.

Une femme, jeune et belle, est éventrée et nous livre, par-delà sa déchirante douleur, son immense désarroi, mettant à nu sa souffrance et ses sentiments.

Cet auto-portrait, une huile sur bois aggloméré de 40 cm sur 30,5 cm, visible au musée Frida Kalho de Mexico, a été peinte en 1944.

Un accident de bus à l’âge de 18 ans fut le drame de sa vie : fractures multiples de la colonne vertébrale, mais aussi perforation vaginale fatidique, source de fausses couches ultérieures. Un double handicap, empêchant la belle de se mouvoir mais aussi d’enfanter. La peinture allait désormais être sa voie.

Douleurs physiques intenses et douleurs morales tout aussi intenses, aggravées par les nombreuses infidélités de son mari Diego Riviera, mondialement connu pour ses peintures murales, font son quotidien jusqu’au bout … « Deux accidents » dira-t-elle : « le bus et Diego »!

Frida, aisément reconnaissable à son large mono sourcil, apparaît crucifiée comme le Christ de Grünewald du XV°, soulignant l’intemporalité de la souffrance.

L’allure christique du visage, dont l’évocation est renforcée par les multiples clous qui entravent davantage, nous fait percevoir que comme Lui, elle accepte son destin. Face à l’impossible, droite et résignée.

Le ciel tourmenté augurant de peu d’espoir, la rudesse de la terre parsemée de trous qui aspirent à piéger, des larmes nombreuses…n’ayant plus qu’elles, alors que le discret maquillage des yeux, le soin coloré des ongles des mains et surtout la beauté du jeune corps aux seins parfaitement galbés sont autant d’appel à la reconnaissance : j’existe.

Destin la condamnant à rester figée, mal aimée.

La ceinture blanche qui, tel un corset, enlace et soutient le corps, le voile pudique au bas de l’abdomen ne peuvent rien face aux brisures de la colonne artificielle, révélant les limites que peuvent avoir les techniques médicales, si pointues soient- elles.

Dans ce drame, le corps perdu, l’affect meurtri, le désir d’être encore au monde se dessine au travers de l’oreille gauche, discrètement dévoilée qui témoigne de la volonté d’écouter encore et toujours, mais surtout d’entendre plus subtilement, de comprendre peut-être. « Pour créer son propre paradis, il faut puiser dans son enfer personnel »

La force de cette œuvre est le reflet de ce que fut Frida Kahlo, une battante ; atteinte à 6 ans de poliomyélite affectant le développement de sa jambe droite, une claudication notable lui valut le surnom pas ses camarades de classe de « Frida la coja », « Frida la boiteuse ». Brillante élève, elle fréquenta les meilleurs établissements mexicains.

Inscrite au parti communiste, elle offrit l’asile au révolutionnaire Léon Trotski, dont elle aurait été la maîtresse, comme elle le fut de Joséphine Baker.

Avant- gardiste, elle a inspiré considérablement l’art contemporain et le couturier Jean Paul Gauthier en fit son égérie. Admirée par André Breton, elle bénéficia d’une reconnaissance nationale et internationale.

Précurseur du féminisme, elle voulait casser les codes rejetant le rôle traditionnel de la femme dans un Mexique catholique et conservateur. Défendant l’émancipation des femmes et l’égalité des genres, elle a toujours aimé la différence et n’avait pas peur d’être différente. Elle aurait apprécié l’évolution des temps actuels, elle qui mourut en 1954.

Sur son dernier tableau, représentant des pastèques de toutes formes et coloris, peint deux mois avant sa mort, elle, qui venait d’être amputée pour gangrène, avait inscrit en guise de leg optimiste, trois mots, trois simples mots : « VIVA LA VIDA ».