Abidjan-Bruxelles : expérience d’un partenariat de recherche fructueux à propos d’une maladie rare

Précédent
Catherine Lambert Publié dans la revue de : Mars 2021 Rubrique(s) : Ama Contacts
Télécharger le pdf

Résumé de l'article :

L’hémophilie est une maladie héréditaire et rare de la coagulation, caractérisée par des saignements spontanés, notamment dans les articulations, et un saignement prolongé après un traumatisme ou une opération

Article complet :

L’hémophilie est une maladie héréditaire et rare de la coagulation, caractérisée par des saignements spontanés, notamment dans les articulations, et un saignement prolongé après un traumatisme ou une opération. En l’absence de diagnostic et/ou de traitement, les hémophiles peuvent développer des dommages articulaires irréversibles, un handicap, voire décéder prématurément. L’hémophilie affecte les hommes et est transmis par les femmes (appelées conductrices). Ces dernières peuvent également présenter un risque accru de saignement, souvent négligé par le corps médical. Le traitement de l’hémophilie repose sur une prise en charge multidisciplinaire et un traitement coûteux par facteurs de coagulation, des conditions rarement remplies dans les pays en développement. La méconnaissance de la maladie et l’accès quasi inexistant aux facteurs de coagulation dans les pays à ressources limitées ont un impact majeur sur la mortalité et la morbidité associées à l’hémophilie.

Depuis de nombreuses années, le centre international de traitement de l’hémophilie des Cliniques universitaires Saint-Luc (CUSL) collabore étroitement avec la Fédération Mondiale de l’Hémophilie (FMH) afin d’améliorer la prise en charge de l’hémophilie à l’échelle globale. Dans ce contexte, un jumelage entre les centres d’hémophilie des CUSL et le CHU de Yopougon à Abidjan a été établi en 2014 sous l’égide de la FMH.

Ce partenariat belgo-ivoirien a été le catalyseur d’un projet de thèse de doctorat original visant à évaluer l’impact de différentes stratégies (non basées sur les facteurs de coagulation) permettant d’améliorer la prise en charge de l’hémophilie dans les pays en développement. L’organisation et la mise en œuvre de ce travail ont été exceptionnelles à plusieurs niveaux : il s’agit d’une thèse de doctorat de l’UCLouvain avec une recherche clinique transnationale, entièrement effectuée en Côte d’Ivoire et validée par les Comités d’Ethique belges et ivoiriens. Les équipes multidisciplinaires (hématologues, kinésithérapeutes, biologistes et généticiens) des 2 pays ont activement collaboré à toutes les étapes du projet, notamment dans les publications scientifiques. Enfin, des outils d’évaluation et des stratégies d’intervention ont été sélectionnés et développées en tenant compte des contraintes économiques locales et du contexte socio-culturel.

Une phase d’état des lieux suivie du développement, de la validation et de l’implémentation de mesures pour améliorer la prise en charge de l’hémophilie en Côte d’Ivoire ont permis de dégager des bénéfices multiples et concrets résumés ci-dessous.

En premier lieu, un registre détaillé des hémophiles et des conductrices a été établi afin d’identifier les défis et besoins en Côte d’Ivoire. Dans un second temps, nous avons développé des supports pédagogiques originaux et adaptés au contexte local afin promouvoir une meilleure connaissance de l’hémophilie et de ses implications. L’hémophilie étant une maladie héréditaire, la compréhension de son mode de transmission (notamment par les mères) est cruciale pour offrir un dépistage efficace. L’éducation est aussi la clé pour améliorer la sensibilisation à l’hémophilie et l’adoption de thérapies préventives par la communauté hémophile mais aussi les prestataires de soins de santé.

Un programme d’auto-kinésithérapie a été mis en œuvre pour soulager les complications articulaires, sans frais pour les hémophiles. Enfin, l’adaptation transculturelle d’outils évaluant de la qualité de vie des hémophiles permettra de collecter des données indispensables pour les négociations avec le gouvernement et la participation à des études à l’échelle internationale.

Les initiatives décrites ci-dessus ont favorisé l’implémentation de soins de l’hémophilie en Côte d’Ivoire, en utilisant des mesures peu coûteuses, disponibles et adaptées localement. La création d’un registre national été le point de départ pour engager des négociations avec les autorités sanitaires et la reconnaissance de l’hémophilie par le gouvernement ivoirien. Il convient d’ajouter que le jumelage médical a laissé place à une jumelage associatif belgo-ivoirien.

Ce travail de thèse illustre les potentiels et bénéfices de la coopération Nord-Sud multidisciplinaire. Il démontre qu’une recherche rigoureuse et de qualité peut se faire dans le cadre d’un travail humanitaire avec plus de 7 publications dans des revues internationales peer reviewed. Ce projet souligne également la richesse d’une équipe multidisciplinaire et internationale notamment dans la capacité de construire les bases de la prise en charge d’une pathologie rare et complexe dans des pays à ressources limitées. L’expérience a été extrêmement enrichissante sur le plan scientifique et humain pour l’ensemble des partenaires. C’est enfin la source de liens sincères et profonds qui vont tisser une toile de fond pour de nombreux projets dans le futur et encourager d’autres candidats à sauter le pas et se lancer dans ce type d’aventure passionnante.

Remerciements : ce projet a été soutenu par la Fédération mondiale d’hémophilie, l’AHVH, et des grants des sociétés Bayer, CSL Behring, Pfizer, Takeda, Sanofi et Sobi.
Thèse défendue à UCLouvain le 1er Septembre 2020. Le manuscrit intégral est disponible sur dial.uclouvain.be

Contact
Pr Catherine Lambert
Email: catherine.lambert@uclouvain.be
Telephone: +32-2-764.17.08 Hemostasis and Thrombosis Unit, Division of Hematology, Cliniques universitaires Saint-Luc, 10, avenue Hippocrate. 1200 Brussels, Belgium