Polémique, intolérance, non adhérence et autres contrariétés autour de la prescription des statines ? Comment y faire face ?

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Olivier S. Descamps Publié dans la revue de : Novembre 2016 Rubrique(s) : GRAPA
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Résumé de l'article :

La prescription de médicaments hypolipémiants, particulièrement des statines a été marquée ces dernières années par diverses polémiques qui remettent en question les croyances des patients en la justification, l’innocuité et l’utilité de ce traitement. Les médecins sont aussi confrontés régulièrement à des plaintes de patients, spécialement, de type musculo-articulaire qu’ils tendent à attribuer très facilement à leur traitement par statine. Tout cela a fait grossir ces dernières années le nombre de patients qui abandonnent leur traitement parfois sans avis médical. La survenue d’effet indésirable causé ou non par le médicament et l’installation de telles croyances chez un patient constituent de véritables défis pour le médecin d’aujourd’hui. Au point que certains n’hésitent pas à dire qu’il faut du courage pour prescrire une statine et se confronter à ce contre-courant public. Face à ces problèmes, cet article tente de répondre aux accusations de ces polémiques et évoque quelques recommandations que peut utiliser un médecin pour tenter de remettre en route le traitement de son patient.

Que savons-nous à ce propos ?

- Les recommandations publiées par les sociétés européennes d’athérosclérose (EAS) et de cardiologie (ESC) se basent sur les preuves développées au fil des études pour asseoir leurs propositions et conseillent l’utilisation en première ligne (après corrections diététiques) des statines pour corriger les taux de cholestérol LDL (LDL-C) et réduire de manière significative le risque cardiovasculaire.
- Aux obstacles classiques de la prévention se sont ajoutées ces dernières années la surmédiatisation des effets musculo-articulaires des statines et des polémiques remettant en question la justification, l’innocuité et l’utilité des statines.

Que nous apporte cet article ?

Cet article développe quelques stratégies pour répondre aux problèmes d’observance engendrées chez le patient par des effets indésirables (causés ou non par la statine) et par leurs doutes face aux polémiques actuelles.

Mots-clés

Maladies cardiovasculaires, prévention cardiovasculaire, cholestérol, athérosclérose, intolérance médicamenteuse, effets indésirables, adhèrence, médias

Article complet :

1. INTRODUCTION

Depuis leur apparition sur le marché à la fin des années 1980, les statines traversaient une véritable « success story ». Actuellement, on estime que plus d’un million et demi de Belges prennent des statines. Pourtant, comme tout traitement préventif, on observe une tendance à l’arrêt du traitement par statine, plus chez les patients en prévention primaire que les patients en prévention secondaire sans doute plus motivés (1). Les patients qui arrêtent leur traitement par statine le font souvent pour une raison qu’il est important de comprendre. Cela peut être le fait d’une perte d’intérêt avec le temps pour leur problème de cholestérol (car occupés à d’autres priorités ou souffrant d’autres problèmes de santé), d’un manque de temps pour renouveler ses prescriptions chez son médecin ou encore des problèmes financiers. Mais aussi parfois, le patient peut être découragé de poursuivre son traitement à cause d’impression que le médicament est responsable d’un effet indésirable gênant, ou même à cause des croyances qui prolifèrent ces dernières années et sont amplifiées par certains media sur les faux dangers des statines, leur inutilité et leur usage intempestif ….

La survenue d’effets indésirables et l’installation de telles croyances chez un patient constituent de véritables défis pour le médecin d’aujourd’hui.

2. POLÉMIQUES AU SUJET DE LA « DANGEROSITÉ » DES STATINES

La fréquence des effets secondaires est un grand sujet de controverses. Alors que dans les études d’intervention, la fréquence des effets secondaires chez les patients recevant les statines n’est pas fondamentalement différente en comparaison du groupe recevant le placebo, le pourcentage d’effets secondaires apparait très élevé dans les études d’observation (2). Des publications en 2013 dans le BMJ (3, 4) avait ainsi créé une polémique dans les médias en avançant le chiffre de 20% d’effets « inacceptables » (incluant myalgie, désordres gastro-intestinaux, troubles du sommeil, de la mémoire et de la fonction érectile). Par la suite, les auteurs durent retirer cette affirmation (5) sur base du fait qu’ils émanaient d’études d’observations non contrôlées incapables d’assurer une relation de cause à effet.

Selon la dernière revue en date publiée dans le même journal par Collins et al. (6), le pourcentage d’effets indésirables réellement associés aux statines tel qu’on peut l’examiner dans les études d’intervention est inférieur à 2%. Ainsi, selon ses auteurs, le traitement de 10.000 patients pendant 5 ans avec une statine telle qu’atorvastatine 40 mg par jour pourrait causer cinq cas de myopathie (dont un pourrait progresser vers la rhabdomyolyse), 50 à 100 cas de diabètes, et 5 à 10 une AVC hémorragique (Tableau 1). Cela doit être balancé avec les bénéfices puisque ce même traitement pendant cinq ans permettant d’abaisser le LDL-C de 80 mg/dL (compte tenu par exemple d’un taux de LDL de départ de 160 mg/dL avec une réduction de 50%), appliqué chez un patient où le risque de complication cardiovasculaire est de 20% à 10 ans (10% à 5 ans) préviendrait une complication cardiovasculaire chez 1000 des 10000 patients en prévention secondaire et 500 des 10.000 patiente en prévention primaire, avec un bénéfice plus grand encore pour une utilisation prolongée au cours de la vie. De plus, contrairement aux effets secondaires incriminés aux statines qui sont totalement réversibles sans aucun effet résiduel après arrêt de la statine, les conséquences d’une complication cardiovasculaire sont irréversibles.

Reste toutefois que les études d’interventions sont limitées en termes d’analyses chez les personnes âgées ou d’autres groupes fragiles, n’ont pas la puissance suffisante pour estimer les effets indésirables et manquent de cohérence sur la manière dont les effets indésirables sont collectés.

3. POLÉMIQUES AU SUJET DE LA « PRESCRIPTION ABUSIVE » EN BELGIQUE

Les statines sont les traitements les plus prescrits en Belgique. En 2012, près d’un million et demi de Belges (1,439,955) en prenaient selon le rapport de la réunion de consensus sur l’usage rationnel des hypolipémiants (7). Ces médicaments coûtaient à l’assurance maladie annuellement plus 165 millions en 2012 (dont 75 millions rien que pour la rosuvastatine qui n’est pas génériquée et qui est pourtant deux fois moins prescrite que la simvastatine), soit plus de 5% du budget des médicaments hors hôpitaux. L’utilisation des statines a énormément augmenté (20 fois plus ! ) au cours de ces vingt dernières années. L’augmentation observée est principalement liée à un accroissement important de la prévention primaire, chez les personnes qui n’ont pas encore eu d’incident cardiovasculaire.

Certaines mutuelles semblent suggérer que certaines prescriptions n’étaient peut-être pas nécessaires : ainsi, par exemple, les statines sont prescrites majoritairement à des femmes en prévention primaire (alors que le risque est plus élevé chez les hommes), à un âge relativement jeune et sans évidence d’indices suggérant un risque cardiovasculaire élevé (repérables par les traitements concomitants tels que antihypertenseurs, antidiabétiques, aspirine …). Il est vrai que 80% des belges entre 35 et 74 ans ont un taux trop élevé de cholestérol. Chez la plupart, toutefois, leur risque cardiovasculaire calculable sur base de la charte SCORE reste faible, et chez ceux-ci modifier le style de vie (c’est-à-dire adopter une alimentation saine, arrêter de fumer et bouger plus) suffit.

Par contre, le problème semble inversé chez les patients à haut risque cardiovasculaire. Ainsi, après une hospitalisation pour un accident cardiovasculaire (spécialement en cas d’accident vasculaire cérébral), tous n’entament pas un traitement par statines.

Le problème n’est pas propre à la Belgique puisque en 2010 ; l’HAC en France (8) a émis les mêmes inquiétudes avec plus de 5,000,000 de français sous statine et avec la même suspicion de mésusage par recours abusif aux statines en prévention primaire en même temps qu’un défaut de prescription de statines chez des patients qui le justifieraient.

Malheureusement, les médias ont répercuté des messages mettant en doute la capacité des médecins à prescrire rationnellement : « beaucoup de médecins ont tendance à soigner des chiffres plutôt que des patients » ; « Les statines sont généralement trop peu prescrites dans les bonnes indications (le fait de fumer, d’avoir du diabète, le fait d’avoir déjà fait soit un infarctus, soit un AVC) et malheureusement, beaucoup trop prescrites chez les gens qui n’ont jamais rencontré ce type de problèmes» (9). Ce type de messages n'est évidemment pas propice à la confiance dans le corps médical.

On peut se demander toutefois si tout cela est bien fondé ! D’une part, les patients visités par les spécialistes se voient rarement retirer leur traitement. J’ai personnellement constaté peu de cas, où je trouvais le traitement injustifié. D’autre part, les statistiques de la consommation sont basées sur le nombre de patients qui reçoivent au moins une fois sur l’année un conditionnement. On pourrait se demander dans quelle mesure la pratique d'hétéroprescriptions (prescrire un médicament au nom du patient visité par le médecin alors qu’il est destiné à un membre de sa famille) ne rend pas l’interprétation de ces chiffres top simpliste.

4. POLÉMIQUES AU SUJET DE « L’INUTILITÉ » DES STATINES

Depuis les années 1990, des polémiques remettent aussi en cause l’utilité même des statines. Trois livres récents ont particulièrement fait parler d’eux : « Cholestérol, mensonges et propagande » de Michel de Lorgeril , «Le guide des 4 000 médicaments utiles, inutiles, ou dangereux» de Bernard Debré et Philippe Even et « la Vérité sur le cholestérol » de Philippe Even. Brièvement, ils dénoncent « la folie des statines » et les dérives de la prévention, proclament que les statines ne diminuent pas la mortalité, accusent les essais cliniques d’être biaisés, « multipliant les pièges, les illusions, les non-dits, les chausse-trapes et pour tout dire les truquages ou les falsifications de la part de l’industrie» et enfin que ces médicaments entraînent des effets indésirables, parfois graves, pudiquement passés sous silence par les laboratoires. La motivation de ces auteurs n’est pas très claire, mais font songer à la version moderne d’un « complexe d’Érostrate » (Tableau 2). Aujourd’hui, les «Erostrates» fleurissent un peu partout, et seuls, les temples ont changé.

Le problème ne s’est pas limité qu’à la France, puisqu’en Belgique, les médias ont repris leurs messages. Dans un contexte où le doute est mis sur l’utilité et la dangerosité de certaines classes de médicaments et parfois à juste titre, comme pour l’affaire du Médiator®, la mise au pied de l’échafaud d’autres médicaments est chose aisément relayée et orchestrée par les médias. Ainsi l’émission de la RTBF « Question à la une » intitulée « Le cholestérol, faux problème ou vrai business ? », montrant en sauveur Philippe Even, a été rediffusée plusieurs fois (2014 et 2015), et ce malgré une lettre appelant à la prudence adressée par les différentes sociétés scientifiques de médecine au directeur de la RTBF (10). Plus récemment, la chaine culturelle ARTE a réitéré avec une émission vieille de 2014 "Le bluff du cholestérol" et qui a été vivement décriée simultanément par la société belge d'athérosclérose, la société française de cardiologie et l'association belge des patients souffrant d'hypercholestérolémie familiale (Belchol, ASBL).

Inquiéter les malades, provoquer leur défiance vis-à-vis d’un traitement utile et vis-à-vis des médecins qui prescrivent leur traitement n’est pas responsable. Faire courir le risque d’arrêter leur traitement à des malades qui en ont réellement besoin fait porter une lourde responsabilité aux auteurs de ces livres et émissions !

5. CONSÉQUENCES DES POLÉMIQUES

Malheureusement, de tels messages et un tel climat de doute contribuent à conduire certains patients à arrêter leur traitement sans avis médical, spécialement au moindre signe révélant d’un possible gêne musculaire ou articulaire.

Personne n’aime prendre des médicaments, plus encore si cela est de manière chronique, si on ne ressent aucun symptôme pour la maladie pour laquelle on est traité et si on ne peut pas mesurer les résultats (dans ce cas, le bénéfice cardiovasculaire). Ainsi, le moindre soupçon faisant imaginer que les médecins prescrivent sans discernement, que les médicaments n’aient aucun effet et soient même dangereux, met à mal la « croyance » en la vertu du médicament prescrite par son médecin.

Il est question ici de croyance car il ne faut pas oublier que la motivation par laquelle un patient est prêt à prendre un médicament nait plus d’une croyance que d’une connaissance au sujet de ce traitement, de sa maladie ou des effets de l’un sur l’autre, quels qu’aient été les efforts du médecin pour lui expliquer (11). La croyance est une forme de savoir, qui contrairement à la connaissance scientifique n’est pas basé sur une recherche de vérité démontrable mais plutôt sur des éléments intégrant la confiance en celui qui la transmet, le sentiment de clarification des faits qu’elle suggère et parfois, ce qui la renforce d’autant plus, une certaine complaisance par laquelle cette croyance lui ménage son bien-être en le libérant de ces angoisses et ses anxiétés (12).

Pour un patient face à son médicament, sa croyance peut ainsi facilement basculer de la perception de ce traitement comme allié pour lutter contre une maladie vers celle d'un ennemi encombrant contre sa propre santé.

6. CONSÉQUENCE D’UNE MOINDRE OBSERVANCE AVEC LES STATINES.

Arrêter une statine n’est pas anodin et a un impact majeur sur le risque cardiovasculaire. De nombreuses études d’observation ont mis en évidence un nombre significativement plus important d’évènements cardiovasculaires dans les jours qui suivent un épisode aigu (AVC, syndrome coronaire, revascularisation) si la statine a été arrêtée (13).

En chronique, il a été montré chez des patients âgés en prévention secondaire, une augmentation de 25 % de la mortalité en cas de faible observance versus une observance élevée (24% versus 16%) (14). De même une méta-analyse a montré une risque 15% plus bas de maladie cardiovasculaire chez les patients qui étaient plus observant aux statines comparés au moindre observant (15).

Après les articles de 2013 dans le BMJ (voir ci-dessus), une équipe (16) a examiné en Angleterre les conséquences de la campagne médiatique (d’octobre 2013 à Mars 2014) de dénigrement des statines et a conclu qu’environ 200 000 patients avaient arrêté de prendre la statine et que cela pourrait résulter en environ 2000 extra-événements cardiovasculaires dans les 10 ans.

En France, le groupe de Bordeaux (17) a aussi montré que la commercialisation en février 2013 du livre de Even et Debré affirmant l’inutilité des statines avait été associée à une augmentation de 40% de la proportion de patients arrêtant leur statine (proportion passant de 8,5% en 2011 et 2012 à 11,9% en 2013). Dans cette même population, ils constatèrent une augmentation simultanée de 17% du nombre de mortalité (toutes causes confondues passant de 1,4% en 2011 er en 2012 à 1,7% en 2013) atteignant surtout les groupes de patients vasculaires (coronaires ou AVC) (+26%) et ceux plus nombreux (67% des individus) souffrant de diabète et hypertension (+17%).

7. COMMENT ABORDER LE PROBLÈME DE L’ARRÊT

Dans tous les cas, il est d’abord important de (ré)évaluer si la prescription d’une statine est réellement justifiée. En prévention primaire, elle ne l’est que si le risque de mortalité cardiovasculaire sur 10 ans (SCORE) est supérieur à 5%.

Il est bien souvent aussi utile pour le patient que lui soit rappelé de la manière la plus imagée possible les mécanismes par lesquels le médicament et la chute du cholestérol agissent. Faire intervenir le patient dans la prise de décision sur les objectifs et les moyens mis en œuvre pour l’atteindre est fondamental. Souvent il est nécessaire de répéter des choses qui nous semblent à nous très évidentes mais ne le sont pas nécessairement pour le patient. Comme les faits, par exemple, que si on arrête le traitement, le taux de cholestérol remonte rapidement, et que l’effet hypocholestérolémiant du médicament ne s’accroit pas avec le temps.

7.1. Problèmes de croyances

Face à la méfiance qui semble entourer les statines, il faut redoubler d’effort. Sans doute des campagnes de sensibilisation pour restaurer la confiance vis-à-vis de ce traitement seraient utiles via des autorités neutres telles que l’INAMI, les mutuelles ou des associations de patients. Toutefois, une discussion au niveau individuel est importante pour identifier les barrières spécifiques à chacun. Il n’existe cependant pas de formule magique pour combattre les réserves des patients face aux statines (Tableau 3). Il est important de se focaliser sur les risques liés à la maladie plutôt que sur les mythes entourant les médicaments, risques qui sont irréversibles alors que les effets indésirables s’ils existent sont réversibles.

Bien souvent toutefois, mieux connaitre n’est pas synonyme d’action. Ce n’est pas parce que quelqu’un comprend l’utilité d’un traitement qu’il le mettra forcément en pratique. Il faut donc continuer de communiquer, encore et encore ! Le monde qui nous entoure prouve en permanence les progrès permis par la science et la raison, mais cela n’empêche pas les gens de préférer les pseudo-sciences et la superstition. La réponse simple est que les gens croient ce qu’ils veulent croire, ce qu’ils jugent réconfortant, pas ce que les preuves réelles démontrent. En règle générale, les gens ne veulent pas savoir, ils veulent croire. Il est important de garder cette notion en tête pour ne pas se décourager face à des comportements qui nous semblent parfois irrationnels.

Mais il faut surtout rester éthique, garder nos valeurs et avant tout, rester du côté de la vérité, ce que tout patient attend d’un médecin. Se mettre aussi au niveau de la sensibilité du patient qui n’est pas un scientifique. Entre autres choses, il est aussi utile de s’appuyer sur des histoires vécues ou connues de la personne (histoire familiale ou de connaissance).

7.2. Problème des "intolérances" aux statines

7.2.1. Peut-on les traiter par d’autres médicaments ?

Des traitements complémentaires, incluant l’ubiquinone (coenzyme Q10 [CoQ10]) et la vitamine D ont été suggéré pour améliorer la tolérance aux statines. Une étude en double aveugle et une méta-analyse (18) ont réfuté l’idée que la CoQ10, même à haute dose pouvait réduire les symptômes chez les patients avec SAMS. Les preuves de l’efficacité du vitamin D sont également controversées (32) même si beaucoup de patients avec SAMS ont un taux bas de vitamine D. Les dernières recommandations de l’EAS/ESC ne conseillent pas la supplémentation en CoQ10 ou vitamine D pour traiter ou prévenir les SAMS.

7.2.2. Peut-on substituer les statines mal tolérées par d’autres traitements dits naturels ?

Une idée très en vogue est qu’en cas d’intolérance aux statines, on pourrait leur substituer des extraits de levure rouge de riz ou de extraits de pleurotes. C'est ce type d’indication qui a fait le succès de ces produits sur le marché actuel.

Les produits dits « levure rouge de riz » (Red yeast rice) sont issus de la fermentation d’une levure, le Monascus purpureus sur un substrat composé de riz blanc, fermentation qui engendre diverses monacolines, dont la monacoline K. Un nouveau venu (ZELTRIN), quant à lui contient des extraits de miscelles de pleurotes (Pleurotus Ostreatus) cultivées sur un substrat artificiel qui confère une plus grande capacité à synthéser la même monacoline K.

Dans des études randomisées et contrôlées, ces produits ont démontré être capable de réduire le taux de LDL-C de 20 à 30 % à court terme. Toutefois, les effets hypocholestérolémiants sont principalement dus à la présence de la monacoline K, autre nom pour la lovastatine, première statine commercialisée aux USA. La présence des stérols végétaux qui réduisent l’absorption du cholestérol, ou de beta-glucanes (dans le Zestrin®, équivalent des beta-glucanes de l’orge et de l’avoine) est aussi avancée comme mécanisme d’action supplémentaire. Cependant les quantités présentes (moins de 500 mg de phytostérol, ou moins de 1 g de beta-glucanes) sont dérisoires comparées aux quantités nécessaires pour réduire le taux de LDL-C (respectivement 2 g et 7 g).

Une variété de levure rouge de riz (Xuezhikang) contenant pourtant une faible quantité de monacoline K a démontré dans l’étude d’intervention « China Coronary Secondary Prevention Study ou CCSPS » (5,000 patients post-infarctus, suivi pendant 4,5 ans) en Chine (19 ,20) une belle réduction des évènements cardiovasculaires versus placebo, dite même supérieur à celle observée avec les statines. Toutefois, il est bien connu que les effets cardioprotecteurs des statines dans les populations asiatiques se produisent à des doses plus faibles que celles nécessaires dans les populations occidentales. Avant de pouvoir recommander ces produits aux patients à risque accru de maladies cardiovasculaires, il serait nécessaire de disposer d’études contrôlées et randomisées, conçues avec rigueur sur une population occidentale.

Envisager ce type de produits ou comme alternatives aux statines médicamenteuses en cas d’intolérance aux statines est discutable et il reste un certain nombre de questions en suspens, (Tableau 4), dont notamment l’absence de documentation complète des effets des autres composés et les études à long terme.

Même si elles sont étiquetées comme « compléments alimentaires » et sont clamés « naturelles », ces produits contiennent des statines et d’autres composés aux effets inconnus et leur vente livre pose question. C’est d’ailleurs ce qui a conduit, en février 2016, le Conseil Supérieur de la Santé à proposer d’interdire d’urgence la vente libre de la levure rouge de riz et de recommander qu’ils soient réexaminés par l’agence fédérale de médicaments afin, s’ils sont recevables, de les soumettre aux mêmes règles de prescription que tout autre médicament (le dossier est sur la table du ministre de la Santé, Maggie De Block).

7.2.3. Recommandations de l’EAS/ESC

Les dernières recommandations de l’EAS/ESC (21) ont proposé un algorithme basé sur les symptômes et le taux de CPK. En cas de forte élévation des CPK, il est important de contrôler la fonction rénale. Face à ces augmentations d’enzymes, il faudra exclure d’autres causes, telles que, parmi les plus communes, efforts musculaires intenses et traumatismes (y compris injections intramusculaires et crampes).

Il faut rappeler également que si les taux de CPK doivent être mesurés au départ avant de commencer un traitement, il n’est pas utile de les remesurer régulièrement tant que le patient n’a pas de plaintes subjectives évoquant une possible toxicité musculaire. Par contre, la surveillance des enzymes hépatiques (Figure 1) est nécessaire tout au long de la thérapie. Tant que les enzymes hépatiques ne sont pas trop élevées (< 3 x la limite normale supérieure ou LNS), on peut poursuivre le traitement. Par contre, si les enzymes dépassent trois fois la LNS pour les enzymes hépatiques, on arrêtera la statine (c’est la même attitude que lorsque les CPK sont quatre fois la LNS) et on recontrôlera les enzymes quatre à six semaines plus tard. Lorsque les enzymes seront revenues à une valeur normale, on réintroduira prudemment le traitement. Face à ces augmentations d’enzymes, on exclura d’autres causes en pensant entre autres, chez les patients à risque cardiovasculaire élevé à la possibilité d’une stéatose hépatique.

5. CONCLUSIONS

Les statines sont sans doute victime de leur succès. Les statines souffrent, comme d’autres produits à « success story » du « syndrome Lamborghini» (22). Comme tout produit performant, il n’y a pas de risque zéro et donné à beaucoup de personnes, il y a un risque d’un plus grand nombre d’« accidents ». Comme tout produit qui inonde notre quotidien, aussi, elles sont une cible privilégiée de stigmatisation comme cause de « tous nos maux » et elles offrent le parfait candidat pour la chasse à la sorcière. On en arrive ainsi à une situation où le médicament, les médecins, les scientifiques, les firmes pharmaceutiques et même les assurances nationales sont tous suspects et où, d’inquiétude, les patients risquent d’arrêter leur traitement sans avis d’un médecin.

Face à ces problèmes, il existe quelques solutions. Mais le mieux, comme toujours, est encore la prévention, c’est-à-dire, prévenir l’installation de doutes ou des impressions d’effets indésirables. Et ceci peut être réalisé par la mise en place d’un bon climat de confiance et de dialogue entre le médecin et son patient.

Un tel dialogue implique d’engager le patient comme un partenaire dans le traitement et de développer une bonne relation avec lui. Le tableau 5 reprend les conseils que les recommandations européennes rappellent pour aider à l’observance des changements de mode de vie, mais ils valent aussi pour les médicaments. Pour ces derniers chez des patients souvent multipathologique (maladie coronarienne, diabète, hypertension, …), il faudra aussi jouer avec les affres de la polymédication (Tableau 6).

Il s’agit avant tout de s’assurer de la bonne compréhension du traitement (avec des instructions écrites et orales claires) et de son intérêt, d’explorer dès le départ les obstacles potentiels face à ce traitement, de garder aussi une vision réaliste face aux autres exigences de la vie de son patient en adaptant si nécessaire le traitement au mode de vie et aux besoins du patient (entre autre parfois de réduire les doses et les médicaments associés et de favoriser les alternatives les moins chères, même si elles sont moins puissante). Enfin, chaque fois que cela est nécessaire et possible le médecin s’adjoindra d’autres experts. Parmi les choses plus concrètes, organiser avec le patient un calendrier de prescriptions et de consultations (avec contrôle des tests lipidiques) est une bonne base pour assurer un suivi réaliste et utile.

Ce n’est qu’à travers tous ces éléments et un bon dialogue que l’on pourra faciliter l’observance du patient pour ces thérapies et que l’on sauvera quelques vies. Et c’est là le mieux que l’on peut souhaiter en matière de prévention cardiovasculaire.

Correspondance

Dr. Olivier S Descamps
Centres Hospitaliers Jolimont
Département de Médecine Interne
B-7100 Haine Saint-Paul
Tel 064/23 31 67
olivierdescamps@hotmail.com

Cliniques universitaires Saint-Luc
Service de cardiologie
B-1200 Bruxelles
Tel 02/764 2812

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