« Nous sommes tous Charlie ! » Quelles conséquences cardio-vasculaires ?

Précédent
Christophe Scavée Publié dans la revue de : Novembre 2016 Rubrique(s) : GRAPA
Télécharger le pdf

Résumé de l'article :

Les maladies cardio-vasculaires restent la première cause de décès naturel dans le monde. A côté des facteurs de risque traditionnels, il y a le stress, source sous-estimée d’événements cardiaques. Parmi les causes de stress il y a les catastrophes naturelles, le terrorisme. Ce dernier s’est installé en Europe. Une étude révèle qu’après les attaques de Charlie Hebdo à Paris, le nombre de morts subites, d’hospitalisations pour événements cardiovasculaires était en forte augmentation. Des statistiques similaires furent observées aux USA après les attentats de 2001 à New-York, à Los Angeles après un tremblement de terre. Les effets néfastes du stress doivent être mieux identifiés afin de minimiser son impact sur la santé des individus.

Que nous apporte cet article ?

Cet article synthétise les observations dont on dispose pour évaluer l’ampleur des conséquences du stress sur la santé cardiovasculaire des individus. Il permet également de mieux comprendre le lien étroit entre stress aigu tel que déclenché par des événements majeurs comme des attentats, guerres, tremblements de terre et l’activation d’une cascade complexe d’événements physiques et biologiques qui mènent à l’accident cardiaque.

Recommandations pratiques

Au même titre que les facteurs de risque conventionnels, le stress aigu peut causer des affections cardiaques sévères comme un infarctus ou une mort subite. Ce risque est peu connu, sous-estimé et doit faire l’objet de la mise en place de mesures spécifiques (campagnes de sensibilisation par exemple) pour être détecté, et traité au même titre que l’HTA, le diabète, le cholestérol, le tabagisme.

Mots-clés

Stress, terrorisme, maladies cardiaques, mort subite

Article complet :

INTRODUCTION ET DEFINITIONS

Les maladies cardiovasculaires, première cause de mortalité en Belgique comme dans le reste monde se développent de façon exponentielle, en particulier dans les pays dits « industrialisés » (1).

Les facteurs de risque sont le tabac, le cholestérol, le diabète, l’HTA, l’obésité, la sédentarité. Comme le souligne l’OMS, pour diminuer l’incidence des pathologies cardiovasculaires il faut encourager l’arrêt du tabac, le contrôle du régime alimentaire et faire de l’exercice physique. Moins connu est le stress. Ce dernier est devenu un problème de santé public extrêmement préoccupant. Il a en effet un impact sur la santé mentale et physique des individus qu’ils soient en bonne ou mauvaise santé. Il représente aussi un coût important pour la société.

On distingue deux formes de stress : le stress aigu et chronique. On parlera de stress aigu, lorsque l’individu est confronté brutalement à une situation « critique » qui le perturbe profondément voire l’annihile (« mourir de peur »). Le stress chronique fait référence à des situations répétées ou permanentes et vécues négativement par l’individu sur le long terme. Ce stress peut être la conséquence d’un stress plus aigu, lorsque l’individu revit, se remémore des instants pénibles

Toutes ces situations stressantes font bien entendu partie du quotidien de chacun. Elles sont vécues lors de l’exercice d’une profession (travail dangereux ou répétitif, contraintes, etc.), dans la cellule familiale, au niveau social (déplacements, urbanisation, etc.) par exemple. Le niveau de stress vécu est dépendant de l’intensité du « danger » réel ou imaginé auquel un individu est confronté : accident, altercation, maladie, émotion, agression, ... et de sa façon d’y faire face, de s’adapter.

L’impact d’une situation vécue comme stressante est mesurable sur le plan psychique, physique mais également biologique. Les conséquences physiologiques observées sont généralement liées au caractère imprévisible, brutal et non contrôlé de la mise en situation stressante. Parmi les situations qui mettent à mal l’équilibre de l’individu, il y a le terrorisme. Ces faits criminels touchent aujourd’hui les Grandes Nations occidentales, dont la Belgique. Par terrorisme, selon la définition de la Société des Nations de 1937, on entend : « la présence de faits criminels contre un Etat et dont les fins ou la nature consistent à provoquer la terreur à l’encontre des personnes déterminées, de groupes de personnes ou du public ».

Terreur ! le mot est lâché et au-delà des victimes directes, des dégâts matériels, ce sont aussi les retombées psychiques sur la population générale qui sont difficilement visibles mais certainement visées par les terroristes du XXIème siècle. Ces retombées qui modifient notre vécu par rapport à la société sont perçues depuis peu comme une cause de maladies cardio-vasculaires, de morts subites.

BREF RAPPEL HISTORIQUE DU TERRORISME EUROPÉEN

Les pays occidentaux, la Belgique en particulier, ont connu des vagues successives de violence aveugle. Les années 50, 60, 70 ou 80 ont été marquées en Europe par des attentats émanant de corpuscules politisés s’en prenant à des lieux et/ou personnes symboliques : les Brigades rouges (Italie), la Bande à Baeder (Allemagne) les CCC (Belgique), tout ce que l’extrême droite et gauche comptaient d’indépendantistes vendus à diverses causes politiques plus qu’obscures. De façon surprenante quasiment aucunes données médicales ne corroborent ces périodes noires avec un possible lien vers les maladies cardiaques. Aujourd’hui, le (risque de) terrorisme est devenu presque quotidien, avec comme point de ralliement la cause religieuse, et le choc des civilisations Occident-Orient. Ces divergences gouvernent les terroristes à Paris (deux fois), Nice, Bruxelles, et même au—delà de l’Europe. De fait, il faut constater que même les pays musulmans sont touchés : la Tunisie (El- Kantaoui), Istanbul en Turquie, l’Indonésie, … la liste est longue.

Les premiers attentats liés à des questions religieuses en Europe remontent aux années 90. Plusieurs attaques attribuées au groupe (algérien) islamique armé (le « GIA ») ont ébranlé la France faisant 8 victimes. Dans les années 2000, les premiers faits d’armes des djihadistes se revendiquant d’Al-Quaeda se déroulent en Espagne un 11 mars 2004, faisant 191 morts. Un 07 juillet 2005, on dénombre 56 morts dans le Métro londonien, dont environ 700 blessés. Plus récemment, les premiers attentats à Paris ont lieu à Charlie Hebdo et l’Hypercacher en janvier 2015 (17 morts), le 13 novembre de la même année, à nouveau à Paris 130 morts et 350 blessés. La Belgique, considérée depuis longtemps comme base arrière et logistique des corpuscules djihadistes et à ce titre souvent épargnée a été touchée le 22 mars de cette année (des dizaines de morts, plus de 200 blessés), et enfin Nice. Les agressions se multiplient, se déplacent, orchestrées par DAECH qui affaibli en Irak, en Syrie répond au coup par coup sur le sol Européen. De faibles lueurs d’espoir existent. Selon Rik Coolsaet (spécialiste du terrorisme à l’Université de Gand) interrogé dans le Vif L’Express (N°12, 2016) : « Le terrorisme s’éteint toujours car il ne parvient jamais à réaliser ce qu’il promet ». Sans attendre son extinction naturelle, et pour enrayer cette spirale violente, les Nations s‘unissent pour contrecarrer les terroristes et les états qui les hébergent. Le 16 novembre 2015 à Versailles, François Hollande s’exprimait en ces mots : « Nous éradiquerons le terrorisme cas nous sommes attachés à la liberté, nous éradiquerons le terrorisme pour que la France continue à montrer le chemin ».
Ou en sommes-nous aujourd’hui ? L’OCAM qui avait élevé le niveau d’alerte à 4 (sur une échelle de 4 max), a confirmé ce 04 avril que des mesures renforcées sur tout le territoire sont toujours d’application et correspondent à un niveau de 3/4. Vigilance de tous, présence renforcée des forces de police, de l’armée pour contrer une menace toujours présente et imprévisible qui modifie nos comportements, notre vision de la société qui jusque-là était plutôt épargnée. Cette vigilance, les politiques ne la cachent pas. Ainsi en novembre 2015, invité aux 20 heures de TF1, Manuel Valls affirmait : « les menaces vont durer, c’est une question de mois, peut-être d’années. Les Français doivent être forts ». Les mêmes constatations s’appliquent aux Belges. Charles Michel à Val Duchesse tenait ces paroles : « Nous sommes côte à côte (NDLR France-Belgique) pour lutter contre le terrorisme, le fanatisme ». Avec ces paroles peu réjouissantes, même s’il faut apprendre à vivre avec le risque, le niveau d’angoisse des belges s’élève alors que l’odeur de la haine, de la mort se répand en Europe avec la montée de l’extrémisme (par ex. victoire du parti FPO à la présidentielle autrichienne). Avec elle notre peur de l’autre, de lendemains incertains, et malgré nos facultés d’adaptation un très probable impact négatif sur la santé cardiaque des citoyens.

LE STRESS AIGU, CAUSE DE MALADIES CARDIAQUES FULGURANTES

Le stress, même s’il est parfois vu comme quelque chose de positif quand il nous pousse à agir, n’en reste pas moins néfaste pour l’individu. Source d’épuisement, d’irritabilité et de dépression sur le plan mental, il cause parfois des accidents cardiaques sévères. Des situations stressantes et désagréables peuvent en effet être la cause d’une insuffisance cardiaque, d’un infarctus aigu, ou une mort subite.

Deux exemples de syndromes coronariens, et deux causes génétiques de mort subite cardiaque illustrent bien cette relation détonante :

1-Le syndrome de Takotsubo

2-L’angor de Prinzmetal

3-Le QT long congénital

4-La tachycardie polymorphe cathécolergique

Le premier syndrome coronarien aussi dénommé cardiopathie de stress a été décrit initialement au Japon en 1990 et correspond à une « sidération » myocardique aiguë faisant suite à la confrontation de l’individu (90% de femmes, d’âge moyen de 65 ans) à une situation intensément angoissante (agression, tremblement de terre, etc.). Elle se caractérise par une dysfonction ventriculaire gauche parfois sévère tout en épargnant les segments myocardiques basaux. L’ECG est généralement marqué par la présence d’une ischémie associant des sus et sous-décalages du segment ST dans le territoire de l’interventriculaire antérieure (Tracé 1). L’affection est généralement réversible, le patient retrouvant une fonction cardiaque correcte dans les jours qui suivent. La coronarographie est généralement sans particularité.

L’angor de Prinzmetal correspond à un spasme coronaire, plutôt nocturne survenant sur un segment artériel de dimension variable mais généralement le siège d’une lésion non significative (plaque d’athérome). Ce spasme présent surtout chez des fumeurs est de durée variable (généralement moins de 20 minutes), se déclenche parfois au stress et s’accompagne de douleurs thoraciques persistantes et typiques d’angor. L’ECG est généralement impressionnant et se caractérise par un sus-décalage majeur du segment ST comme illustré sur le Tracé 2. Bien que l’affection soit généralement de bon pronostic, des cas d’infarcissement, de morts subites ont été rapportés. La prescription d’anticalcique reste efficace bien que certains patients ont tendance à récidiver leurs symptômes, ce qui pousse parfois à implanter un stent au niveau du segment spasmé.

Le long QT syndrome (LQTS) est rarement de cause génétique mais secondaire à la présence d’une hypokaliémie, et/ou à la prescription de médicaments (antiarythmiques de classe III e. a.) allongeant fortement la durée de la période ventriculaire (QT corrigé >450 ms chez l’homme, 460ms chez la femme). Des mutations génétiques touchant les canaux ioniques transmembranaires potassiques ou sodiques peuvent occasionner un allongement significatif du QT/QTc sur l’ECG (Tracé 3). Il existe différents LQTS selon la mutation sous-jacente, avec des manifestations cliniques consistant généralement en syncopes, morts subites. Ces événements cliniques parfois dramatiques sont déclenchés par des épisodes de tachycardies polymorphes appelées torsades de pointes (TdP). Le LQT de type 1 se caractérise par des TdP précédées d’extrasystoles ventriculaires précoces et déclenchées par l’exercice et la stimulation adrénergique. Les TdP dans le LQT de type 2 sont plus fréquemment déclenchées par l’émotion, le stress (retentissement d’une alarme, radio réveil, klaxon).

Les tachycardies polymorphes cathécolergiques sont rares et touchent principalement des sujets jeunes. De pronostic sombre, 30% de décès avant 40 ans en l’absence de traitement ce syndrome se caractérise par des tachycardies ventriculaires déclenchées par des stimulations adrénergiques comme un exercice physique, des stimulations émotionnelles fortes. Sur le plan génétique, il s’agit de mutations de gènes codant pour les récepteurs à la Ryanodine du réticulum sarcoplasmique (gène RYR2).

ATTENTATS, CATASTROPHES NATURELLES, ÉVÉNEMENTS SPORTIFS ET PATHOLOGIES CARDIAQUES

Parfois des accidents cardiaques sont intimement liés à certains événements de l’actualité. En France les attentats de Charlie Hebdo ont eu des conséquences sur le taux des événements cardio-vasculaires enregistrés loin de Paris, comme à la Clinique Pasteur de Toulouse. Durant ce mois de janvier 2015, 346 personnes ont été admises dans l’unité de douleur thoracique de l’hôpital pour des plaintes angoreuses. Au total, 162 sujets ont été hospitalisés (63.2% d’hommes ; âge moyen de 71.8 ans), alors que les autres, tous indemnes de maladies cardiaques ont été renvoyés à leur domicile. En comparaison avec la même période 1 an plus tôt (07-09/01/2014) il s’agissait d’une augmentation de 78.4% du taux d’hospitalisation. Les raisons de ces hospitalisations étaient diverses, allant du STEMI à la mort subite cardiaque. La majoration importante des affections cardiaques consistait en :

- Infarctus STEMI : +180%

- Infarctus NSTEMI : +60.92%

- Arythmies et morts subites : +71.93%

Insuffisance cardiaque et autres conséquences cardio-vasculaire : +86.67%

De façon étonnante, durant les 3 jours qui suivent les attentats (10-12/01/2015), le taux d’hospitalisation est réduit de façon significative (-46.15%, p=0.004) ce qui illustre l’effet aigu des attentats sur le taux d’affections cardiovasculaires des individus, parfois localisés à grande distance de l’événement. Cette première étude analysant l’impact d’attentats commis sur le sol européen est interpellante dans le sens où elle confirme le lien délétère qui existe entre les émotions fortes et le déclenchement d’une pathologie cardiaque. Ce stress est d’ailleurs mal détecté, et ses effets néfastes probablement sous-estimés. (2). Depuis lors, une étude évaluant l’impact des attentats en France sur les maladies cardiaques au niveau de tous les départements a été mise en place par le Gouvernement français. Les résultats ne sont pas encore connus.

D’autres faits d’actualité ont également causés de façon similaire des pathologies cardiaques. Lors de la première guerre du Golfe, Israël (Tel Aviv, région d’Haifa) a été touché par des missiles lancés depuis l’Irak. Tirés essentiellement la nuit, aux trajectoires incertaines et visant les populations civiles, ces missiles semaient la terreur parmi les habitants. Meise et al rapportait durant cette période d’instabilité une majoration importante (x2) des infarctus, et des morts subites extrahospitaliers (58%). (3).

En 2001, tout le monde se souvient de l’attaque du World Trade Center qui fit des milliers de victimes à New-York (NY). En dehors des victimes directes, cet événement aux répercussions planétaires a causé une importante majoration des infarctus (de presque 50%) dans les différents départements médicaux autour de NY. (4). Les catastrophes naturelles sont également des sources de stress imprévisibles et de fortes intensités. Les bons exemples sont les tremblements de terre. Ainsi en 1999, Taiwan était touché par des secousses sismiques. Douze sujets portaient des monitorings cardiaques au moment du tremblement de terre. On y a constaté une majoration brutale et importante du rythme cardiaque des patients et une majoration du ratio basse/haute fréquence (baisse de la variabilité sinusale). (5). Seuls certains des sujets traités par béta-bloquants semblaient être épargnés par ces modifications physiologiques. Les béta-bloquants ont donc probablement un effet protecteur. En 1994, Los Angeles est également touché par des ondes sismiques importantes. Vivre avec des secousses est quotidien dans cette région du monde traversée par la faille de San Andrea. La secousse de 4h31 du matin qui réveille en sursaut les habitants est plus forte que d’habitude. On observera en dehors des victimes directes retrouvées au milieu des décombres une majoration de 35% des infarctus. Quant aux morts subites cardiaques, ces dernières seront 6 fois plus nombreuses (4.6±2.15 la semaine qui précède contre 24 le jour du tremblement de terre) ; la majorité des victimes présentait des facteurs de risque coronariens, étaient des hommes âgés de 68 ans en moyenne. A noter que durant les 2 semaines qui ont suivi le tremblement de terre, a été observé chez des patients cardiaques une majoration des chocs délivrés par leurs défibrillateurs implantables (6). Fait également observé après le WTC, avec une incidence d’arythmies ventriculaires malignes déclenchant le fonctionnement de défibrillateurs implantables de sujets américains 2.8 fois plus importante que durant les 8 mois qui précédaient. Cette majoration des arythmies a été observée durant une période de 30 jours. Les événements rythmiques ne touchaient pas que les New-Yorkais mais également des patients vivant à des milliers de kilomètres de là (Floride) (7).

Dans d’autres circonstances plus festives, le niveau de stress peut atteindre une très grande intensité chez le spectateur. Certaines compétitions sportives, aux enjeux planétaires sont sources d’émotions fortes, de stress et peuvent déclencher des syndromes coronaires aigus. L’exemple qui suit est assez démonstratif. La FIFA a organisé en 2006 la World Cup de football en Allemagne. L’événement s’est étalé sur plusieurs semaines du 9 juin au 9 juillet. Cette manifestation sportive a donné l’opportunité d’évaluer son impact sur le taux d’événements cardiaques au sein de la population germanique. Lors de cette compétition, l’Allemagne a eu l’occasion de rencontrer 7 adversaires (Costa Rica, Pologne, Equateur, Suède, Argentine, Italie, Portugal). L’Allemagne s’est inclinée contre l’Italie en demi-finale. Les observateurs ont noté durant cette compétition une association entre le nombre de syndromes coronaires aigus (STEMI et NSTEMI ; respectivement 2.49 (95% CI 1.47-4.23; p<0.001) et 2.61 (95% CI 2.22-3.08; p<0.001)), le nombre d’arythmies (3.07 (95% CI 2.32-4.06 ; p<0.001) et les matchs joués par la Mannschaft. Le quart de final contre l’Argentine fut un match intense et fut la rencontre associée au plus grand nombre d’événements cardiaques. Il est à noter que certaines phases de jeu étaient propices à déclencher des événements cardiaques comme le coup de sifflet pour un pénalty. Quant au profil de victimes, il rejoint ce qui a été décrit dans d’autres études : sexe masculin, d’âge moyen (65 ans) qui dans 47% des cas était connu pour une maladie coronaire. (8).

DU STRESS AUX PATHOLOGIES CARDIAQUES ET À LA MORT SUBITE : IMPLICATIONS DE MÉCANISMES NEURO-HORMONAUX

Il est reconnu que les facteurs majeurs favorisant les émotions fortes dans la société sont les catastrophes naturelles, les agressions et attentats. Selon le modèle de Lazarus (1966), par ailleurs développé par d’autres auteurs comme Frankenhaeuser en 1986, Kagan et Levi en 1974 (voir schéma) le stress psychologique est un processus qui ne reste pas isolé mais interagit avec d’autres systèmes anatomiques ou biologiques.

Au départ, il y a le déclencheur ou l’agresseur qui produit des changements physiologiques qui conduisent à la maladie. (9). L’individu répond au stress selon ses capacités, sa personnalité, ses expériences, sa génétique et d’autres dispositions diverses (soutiens, environnement, etc.). Les systèmes impliqués sont le système cardio-vasculaire, le cerveau et le système neuro-végétatif (ortho et parasympathique), et endocrinien (cortisol, adrénaline). Ces derniers médiateurs sont rapidement libérés dans l’organisme et permettent une réponse physique rapide. Il est reconnu que déjà un stress mental majore la fréquence cardiaque, la tension artérielle (surtout chez les hypertendus) ce qui en retour occasionne une majoration de la demande en oxygène, et rend propice la dégradation ou la rupture de plaques artérielles. Ce stress mental réduit l’apport en oxygène du myocarde particulièrement chez des sujets prédisposés présentant des facteurs de risque ou des antécédents coronariens. À l’inverse des sujets normaux, où le stress occasionne une réaction adaptée de l’organisme (comme une vasodilatation artérielle), les situations angoissantes ont un effet inverse sur les sujets malades ou présentant de l’athérosclérose (vasoconstriction). Cette vasoconstriction « survit » parfois au stress et peut perdurer plusieurs jours. Ainsi, chez les patients prédisposés comme les coronariens, un état de frustration, de tension, de tristesse peut doubler les chances d’observer de l’ischémie sur un monitoring Holter (10, 11).

Cette observation est corroborée avec des expériences comme le simple fait de prendre la parole en public, situation redoutée de nombreux individus. Cette situation parfois pénible est suffisamment angoissante que pour observer chez certains des modifications électrocardiographiques comme de l’ischémie myocardique. Cette ischémie peut être à son tour suffisamment intense pour provoquer des anomalies de la contractilité myocardique. Lorsque la situation stressante se répète, elle modifie le psychisme du sujet. Ce dernier présente un profil de risque à long terme qui devient inquiétant : développement d’une HTA, d’une obésité, d’une coronaropathie, ou d’un AVC. Ainsi, des personnes confrontées à des attentats gardent des souvenirs intenses de cette expérience effrayante. Aux USA, les conséquences du WTC ont occasionné chez plus de 30% des sujets ayant œuvré dans les décombres des syndromes anxieux chroniques, de la dépression, sources secondairement d’affections cardiaques. Dans les cas les plus sérieux, il s’agit de syndromes post-traumatiques. Ces derniers sont connus depuis le Vietnam, où 15 % des hommes partis au combat en souffraient. Ce syndrome post traumatique nécessite au départ une exposition à un danger imminent avec menace de l’intégrité de la personne. Sur un plan purement physiologique l’exposition brutale à un stress intense provoque une cascade d’événements vasculaires, hormonaux ou hématologiques qui peuvent engendrer chez certaines personnes prédisposées des accidents vasculaires par occlusion artérielle comme décrits dans le tableau suivant :

Sur le plan hormonal, cela s’explique par la sollicitation de l’axe hypothalamo-pituito-surrénalien (HPS). Lorsqu’il est actif, on observe une cascade d’événements hormonaux : sécrétion de catécholamines (axe neuronal), une activation de la CRH par l’hypothalamus, de la corticotrophine (corticotrophin-releasing hormone ou ACTH) produite par l’hypophyse (glande pituitaire antérieure). Cette dernière stimule les glandes surrénales et produit un relargage de cortisol. Celui-ci permet à l’individu de puiser dans ses réserves et lui fournit l’énergie nécessaire pour faire face au danger, au stress ; mais parfois quitte à développer des effets « néfastes » sur le plan cardio-vasculaire. A l’inverse des états de stress chroniques, un état d’anxiété aigu s’accompagne donc d’une stimulation brutale de cet axe hormonal. Son activation engendre divers événements cardio-vasculaires : tachycardie, élévation de la tension artérielle, et ischémie chez des sujets prédisposés. La formation d’un thrombus intra-coronaire suite à la rupture d’une plaque d’athérome et/ou vasospasme est à considérer comme le principal facteur responsable de la mort subite cardiaque et d’infarctus. Le stress par son action sur l’axe HPS contribue fortement à ce phénomène. L’activation des plaquettes, les anomalies de fibrinolyse qui s’y associent favorisent également la formation du caillot. La majoration des infarctus et AVC décès observés dans les suites d’un tremblement de terre au Japon (Hansin-Awaji) ou aux USA (Los Angeles, 1994). (12) s’accompagnaient d’une réduction de la fibrinolyse naturelle et d’une majoration des D-dimères. (13).

PRÉVENTION

Force est de constater que le stress vécu par l’individu est souvent sous-estimé, mal diagnostiqué. Hors, il est bien présent et corrélé avec les faits d’actualités. Pour les victimes des attentats de Bruxelles, Maggie De Block a proposé un soutien psychologique en vue de soigner leur stress post traumatique. Des actions similaires ont été mises en place pour les équipes de secours qui sont intervenues lors des attentats (14). Des campagnes de sensibilisation seraient bénéfiques à plus grande échelle. L’information au grand public fait en effet défaut. Sur le site belgium.be (informations officielles du gouvernement, disponible en ligne au http://www.belgium.be/fr/sante/risques_pour_la_sante), les risques pour la santé sont décrits : grippe, SARS, fièvres hémorragiques, ozone, chaleur, … mais aucunes mentions des risques cardiaques après attentats. Sur le site ibZ Crisiscentrum, une rubrique « faire face à des événements choquants » a vu le jour, sans mentions des conséquences cardiaques. (15).

Sur le plan médical, il est important de souligner que la majorité des victimes sont porteurs d’affections cardiaques parfois non diagnostiquées. Le bénéfice des béta-bloquants a été parfois observé mais jamais de façon prospective. (5).

EN CONCLUSION

Le stress aigu et intense peut chez certains individus prédisposés causer des dommages cardiaques sévères comme un infarctus, une mort subite cardiaque. Parmi les stress, le terrorisme et les menaces djihadistes qui touchent l’occident sont autant de situations de stress qui modifient les habitudes des citoyens et les poussent à vivre dans des états de vigilance accrue. Les conséquences cardiaques de ces attentats ont été étudiées aux USA, en France et démontrent qu’au-delà des victimes directes, le climat de terreur vécu par la population, et qui séjourne parfois à des milliers de kilomètres des lieux sinistrés augmentait de façon très significative le risque cardiovasculaire. Si le point final est un infarctus, une mort subite, il existe en amont une interaction complexe entre facteurs psychologiques, physiques et biologiques qu’il est important de comprendre. Des mesures préventives doivent être discutées.

Correspondance

Pr. Christophe Scavée
Responsable de l’Unité de Rythmologie
Cliniques universitaires Saint-Luc
Avenue Hippocrate 10
B-1200 Bruxelles

Références

  1. OMS, Centre des Médias, Maladies cardiovasculaires. http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs317/fr/

  2. Francesco Della Rosa et al. We are Charlie: emotional stress from “Charlie Hebdo Attack” extensively relayed by media increase the risk of cardiac event. Clin Res Cardiol 2016.

  3. Kark JD, Goldman S, Epstein L. et al. Iraqi missile attacks on Israel. The association of mortality with a life-threatening stressor. JAMA 1995 Apr 19;273(15):1208-10.

  4. Allegra JR, Mostashari F, Rothman J, Milano P, Cochrane DG. Cardiac events in New Jersey after the September 11, 2001, terrorist attack. J Urban Health 2005 Sep;82(3):358-63.

  5. Huang JL, Chiou CW, Ting CT, Chen YT, Chen SA. Sudden changes in heart rate variability during the 1999 Taiwan earthquake. Am J Cardiol 2001 Jan 15;87(2):245-8, A9.

  6. Leor J., Poole K., Kloner R. et al. Sudden cardiac death triggered by an earthquake. N Engl J Med 1996 ; 334 : 413-19.

  7. Omer L Shedd. The World Trade Center Attack: increased frequency of defibrillator shocks for ventricular arrhythmias in patients living remotely from New-York City. J Am Coll of Cardiol 2004; 44:1265-7.

  8. Wilbert-Lampen U, Leistner D, Greven S, Pohl T, Sper S, Völker C, et al. Cardiovascular events during World Cup soccer. N Engl J Med 2008 Jan 31;358(5):475-83. doi: 10.1056/NEJMoa0707427.

  9. Source :http://ec.europa.eu/health/mental_health/eu_compass/reports_studies/stre...

  10. Gullette EC, Blumenthal JA, Babyak M, et al. Effects of mental stress on myocardial ischemia during daily life. JAMA 1997; 277: 1521–1526.

  11. Gerin W, Pickering TG. Association between delayed recovery of blood pressure after acute mental stress and parental history of hypertension. J Hypertension 1995; 13: 603–610.

  12. Kario K, Ohashi T, on behalf of Tsuna Medical Association. After major earthquake, stroke death occurs more frequently than coronary heart disease death in very elderly subjects. J Am Geriatr Soc 1998; 46: 537–538.

  13. Kario K, Matsuo T, Kobayashi H, Yamamoto A, Shimada K. Earthquake-induced potentiation of acute risk factors in hypertensive patients: possible triggering of cardiovascular events after a major earthquake. J Am Coll Cardiol 1997; 365: 29: 926–933.

  14. Information lue le 25 septembre 16 : http://www.health.belgium.be/fr/news/soins-medicaux-soutien-psychologiqu....

  15. Information lue le 25 septembre 16 : http://crisiscentrum.be/fr/attentats-2203.

  16. Au même titre que les facteurs de risque conventionnels, le stress aigu peut causer des affections cardiaques sévères comme un infarctus ou une mort subite. Ce risque est peu connu, sous-estimé et doit faire l’objet de la mise en place de mesures spécifiques (campagnes de sensibilisation par exemple) pour être détecté, et traité au même titre que l’HTA, le diabète, le cholestérol, le tabagisme.

  17. Similarly, to standard risk factors, acute stress may result in serious cardiovascular events like myocardial infarction or sudden death. Given that this risk factor is not well-known and rather underestimated, sensibilization campaigns should be implemented to enable us to better identify these stress factors and treat them appropriately, in the same manner as we treat hypertension, diabetes, cholesterol, and smoking.